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'I.

TABLE AUX de nos idées, confidérés relativement à leur fimplicité,

A cet égard, les Tableaux de nos idées font fimples, complexes, & compofés.

1°. Ils font SIMPLES, lorfqu'ils ne renferment qu'une feule idée, un feul fujet, un feul attribut: lorfque nous difons, par exemple, le Soleil eft brûlant; l'Eau eft glacée; le Temps eft orageux.

2o. Ils font COMPOSÉS lorfqu'ils offrent plufieurs Êtres différens réunis à la même qualité, comme celui-ci :

» Alexandre, César, Attila, Gengiskan, furent les fléaux du genre » humain.

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Ou lorsqu'ils offrent plufieurs qualités réunies au même Être, comme dans ces louanges du Loup au Limier::

Que tu me parois beau, dit le Loup au Limier,

» Net, poli, gras, heureux & fans inquiétude;

par lesquelles il lui attribue fix qualités différentes.

Ils font encore Complexes, lorfque quelques-uns de leurs membres ne peuvent être exprimés que par la réunion de plufieurs mots: tel

celui-ci :

» L'Univers est l'ouvrage d'un Étre Tout-Puissant, qui réunit toutes les perfections & toutes les connoiffances.

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Les Tableaux de nos idées font COMPOSÉS, lorsqu'ils font formés par la réunion d'un grand nombre de Tableaux fimples, liés les uns autres par des conjonctions ou par le fens, pour ne former qu'un feul tour, de même que les diverfes parties du corps ne font qu'un Tout, au moyen de leur liaison les unes avec les autres.

I I.

TABLEAUX de nos idées, relativement à la nature des qualités de leurs objets.

Les qualités d'un objet quelconque, fur-tout de l'objet principal du Tableau, peuvent défigner, ou fa maniere d'exifter, ou fes actions, ou ce qu'il éprouve de la part des autres êtres.

Gram. Univ.

G

De-là trois fortes de Tableaux très-différens dans leur nature & dans leur expreffion, & que nous pouvons apeller:

Tableaux ÉNONCIATIFS.

Tableaux ACTIFS.

Tableaux PASSIFS.

Les premiers énoncent la simple existence, avec telles ou telles qualités

comme ceux-ci:

La Terre eft RONDE; l'Homme eft RAISONNABLE.

Les feconds préfentent les objets comme agiffans ; tels font ceux-ci : » Jules Céfar conquit les Gaules, & fubjugua l'Empire Romain.

» Colomb découvrit le Nouveau Monde.

» Les Hommes paffent, fans ceffe, d'une action à une autre.

Les troisièmes peignent les Étres comme objets de quelqu'action: ceux ci font néceflairement l'inverfe de ceux-là. Tels font ces Tableaux :

» Les Gaules furent conquifes, & l'Empire Romain fubjugué, par Jules

» Célar.

» Le Nouveau Monde fut découvert par Colomb.

» L'Univers fut formé par la Divinité.

Il n'eft point d'Homme qu'on ne puiffe peindre, tout à la fois, de ces trois manieres, parce qu'il n'existe point d'Homme qui ne renferme quelque qua lité, qui ne se porte à quelqu'action, ou qui ne reçoive l'impreffion de quel qu'Agent.

Tel eft ce Tableau :

» ERMINIE est une femme accomplie : fenfible & belle, elle emploie fes

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jours à faire du bien: elle eft chérie & refpe&tée de tous ceux qui la connoiffent.

Ces Tableaux différent autant par la nature des mots qui expriment cette diverfité de qualités, que par cette différence même de qualités; & il falloit qu'il en fût ainfi, afin que la peinture fût plus conforme à fon modéle, & que le contrafte de ces Tableaux fût plus fenfible & plus énergique.

Ainfi ceux de la premiere efpéce ne font compofés que d'Adjectifs, de cette Partie du Difcours dont nous avons dit qu'elle ne peignoit que les qualités des Ètres, confidérées en elles-mêmes, & indépendamment de toute action de ces Êtres.

Ceux de la feconde & de la troifiéme espéce font compofés de PARTICIPES 3. Partie du Difcours que nous avons dit n'exprimer que les qualités qui font relatives aux actions des Hommes, & qui se divisent en deux claffes; Parti

cipes actifs & Participes paffifs, à caufe du double raport que fupofe une action; une action ne pouvant avoir lieu fans la confidération de deux Objets ; dont l'un agit, & dont l'autre éprouve l'effet de cette action.

Il est vrai que dans les Exemples que nous avons donnés à l'égard des Tableaux de la feconde espèce, ou des Tableaux actifs, on ne voit point de PARTICIPES: mais obfervez auffi qu'on n'y voit point le Verbe Est, qui eft fi effentiel dens les Tableaux de nos idées, & qu'offrent les Tableaux énonciatifs, & les Tableaux Paffifs.

Il s'eft donc fait ici un mêlange du Verbe EST, & du Participe Adif, ou plutôt on leur a fubftitué une formule plus briève, qui en tient la place, & qui tire d'eux toute fon énergie, comme nons nous en aflurerons dans la fuite: obfervation qui fera difparoître une des plus grandes difficultés qu'offroit l'étude de la Grammaire, & qui a pour objet les Verbes Actifs.

I I I.

TABLEAUX des idées, confidérés relativement à l'expreffion de leurs diverfes Parties,

Ce

que nous venons de dire au fujet des Tableaux actifs, dont le Participe & le Verb: Eft ont difparu, nous fait voir qu'il exifte des Tableaux de la parole, irréguliers en apparence, & dans lesquels on ne fauroit reconnoître avec toute la précifion néceffaire, les Parties du Difcours dont nous avons fait l'énumération. Ces phrafes, il va, il fait, il aime, j'ecris, je lis, femblent anéantir tous nos principes ; ces principes où nous pofons, comme une vérité incontestable, que la peinture d'une idée quelconque exige trois termes; un fujet, une qualité, un mot qui les uniffe. Ici, au contraire, il n'y a que deux termes ; & dans plufieurs Langues, il n'y en a même qu'un feul. L'Italien, par exemple, dit è, au lieu de il eft: tout comme le Latin dit est, dans le même fens ; & le Grec, efti.

Ces Tableaux irréguliers font pourtant très-communs dans toutes les Langues: s'ils ne frappent pas dans les Langues maternelles, parce que l'habitude fait qu'on n'en eft point étonné, ils arrêtent fans ceffe dans les Langues étrangères, où tout eft nouveau : ils arrêtent fur-tout le Grammairien qui veut les analyser, & qui trouve fans ceffe fes principes en défaut.

Mais ne nous laiffons pas féduire par cette aparence trompeufe: pour peu que nous voulions percer au-delà de fon écorce, nous verrons que ces pré

tendues irrégularités font conformes aux principes les plus rigoureux de fa Grammaire, toujours fondés fur le vœu de la Parole.

Elle cherche à fe raprocher, le plus qu'elle peut, de la rapidité de la pen fée; mais, pour y parvenir, elle ne fe contente pas de rendre fes mots très-courts, de n'avoir fur-tout que des monofyllabes très-fimples pour les mots. qui reviennent continuellement dans le Difcours, tels que les articles, les conjonctions, les pronoms, la plupart des noms & des verbes, comme ce, lë, un, que, je, vous, lui, ceci, nez, main, pied, chef, &c. mots dont le nombre eft très-confidérable en toute Langue ; ce qui abrége beaucoup le Difcours, qui deviendroit à charge fi ces mots étoient plus longs, par la peine qu'ils donneroient pour s'en fouvenir, & par le tems qu'on perdroit en vain à les prononcer. La Parole s'eft encore ménagé deux autres reffources, non moins heureuses, pour parvenir au même but avec autant de fuccès.

1o.. Elle fond plufieurs mots en une feule fyllabe, afin de gagner plus de: tems, & d'arrêter l'attention fur moins d'objets. C'est ainsi qu'au lieu de dire, par une phrafe longue & pédantefque, ce livre eft le livre de moi, nous difons deft men livre, où CE, tient la place de ce livre; & MON, celle de ces trois mots, le...de moi: exemple par lequel on peut juger de l'économie fingu lière que la Parole fait du tems, par ce moyen.

2o. le suprime tout mot qui ne feroit point néceffaire pour l'intelligence du Tableau, & qui fe fupplée fans peine par la réunion des autres. Dans cette phrase, , par exemple: Des Savans font perfuadés que cet Auteur eft utile; d'autres, non: combien de mots & de parties du Difcours ont été omiles ? mais qu'on n'a fupprimées que parce qu'elles n'auroient rien ajouté à la clarté & à la force du Difcours en étant exprimées, & n'auroient fait que fatiguer l'attention: car, c'est comme fi l'on avoit dit: Un grand nombre d'Hommes Savans font perfuadés que l'Auteur dont nous parlons eft utile; Un grand nombre d'autres font perfuadés que cet Auteur n'est pas utile. Thrale qui ne fait que fatiguer par la longueur infipide, fans dire rien de plus. fa

C'est ainsi que le Difcours s'approche, le plus qu'il est possible, de la rapidité de nos idées; qu'on n'eft point arrêté par une foule de mots qui ne difens rien; qu'on parvient à cette brièveté que recommande HORACE (1);

Eft brevitate opus, ut currat Sententia, neu fei

Impediat verbis lafas onerantibus aures.

('1) Liv. I. Sat. X. 2.

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Soyez concis dans vos difcours, afin qu'ils s'avancent rapidement & qu'ils ne fe retardent pas eux-mêmes, par des mots qui achevent d'accablez » l'oreille fatiguée.

C'eft fur-tout dans les momens où l'on a befoin du plus preffant fecours. & dans ceux où l'ame et entraînée par les fentiniens les plus impétueux & les plus opofes, qu'en a recours à ces façons de parler; qu'on paffe par-deffus une exactitude grammaticale, néceffaire fans doute pour rendre la peinture des idées plus finie, plus régulière; mais incompatible avec la fituation dans la quelle on fe rencontre: alors on voudroit être auffi concis que le gefte, aussi rapide que le tems; on écarte donc le plus de mots qu'on peut on n'exprime que ceux qui font néceffaires pour remuer fortement ; on laiffe à l'intelligence des autres à deviner ce qu'on ne dit pas.

-L'on a encore recours à ces formules abrégées, pour éviter la monotonie: d'une marche toujours la même. Il en eft dans les Langues comme dans le Phyfique; la variété y plaît, autant que l'uniformité paroît infipide. Mais, par le moyen dont il s'agit ici, on diverfifie fes expreffions à l'infini: ce que l'on a dit d'une maniere, on le répéte d'une autre ; à un Tableau d'une espéce, en1 fuccéde un très-different; ce qui foutient infiniment plus l'attention', que fati gueroit un fon ou une harmonie toujours la même.

Qu'on réfléchiffe fur la langueur & la monotonie infuportable que répan-droit dans le Difcours l'usage de peindre les trois fortes de Tableaux dont nous avons parlé, Enonciatifs, Actifs & Pafifs, toujours de la même maniere,, rous par le Verbe Eft; qu'on dit également il EST fage; il EST lifant; il EST aimé : & l'on ne fera pas furpris qu'on ait cherché à varier ces formules.

De-là ces mots amphibies, comme on, qui n'apartenant à aucune partie du Discours en particulier, femblent hors de toute régle: de-là ces phrases fingulières qu'on ne peut foumettre à la même analyfe que les autres, & qui paroiffent l'effet d'un ufige capricieux &fantafque mais dont dépendent en› grande partie la fineffe & l'énergie des Langues.

Plus une Langue eft vive & fe raproche du gefte, & plus elle fera remplie de phrases pareilles : elles feront donc très-communes dans les Langues d'O-~rient: elfes abondent dans la Langue Latine, & nos Langues modernes en font auffi un grand ufage..

C'est ainsi que nous abrégeons les Tableaux actifs, en disant il lit, au lieu de dire il eft lijant; & que les Latins abrégent également les Tableaux paffifs » en difant, par exemple, amatur, au lieu de ille eft amatus, il eft aimé,

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