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La Grammaire doit donc s'occuper effentiellement de ces objets: elle en doit déveloper les caufes & les effets.

Elle donne à ces formules abrégées le nom d'ELLIPSES, d'un mot Grec qui fignifie omiffion, action de laiffer.

Plufieurs Graminairiens s'en font occupés avec beaucoup de fuccès. Si cer Objet renferme encore quelqu'obfcurité, c'est peut-être parce qu'ils ne l'ont pas affez fondu avec l'ensemble de leurs Ouvrages, & parce qu'ils ont rejetté à la fin ce qu'ils en ont dit.

Afin d'éviter cet inconvénient, nous en parlons dès à préfent; nous le tions avec nos grands principes; & nous nous en fervirons comme d'une clef effentielle pour réfoudre les difficultés qu'offriront fucceffivement à cet égard, toutes les Parties du Difcours: car il n'en eft aucune relativement à laquelle on n'ait fait ufage de l'Ellipfe; & qui ne renferme des choses très-obscures, fi l'on n'a pas recours à cette maniere de les expliquer.

A cet égard, nous verrous deux fortes d'Ellipfes, d'où réfulteront des Noms Elliptiques & des Phrafes Elliptiques.

LES MOTS ELLIPTIQUES, feront ceux qui tiennent lieu de plufieurs parties du Difcours, tels que y, en, mon, &c.

Les PHRASES ELLIPTIQUES, feront celles dont on aura fuprimé quelque partie du Difcours, quelque mot, parce que cette omiffion les rendoit plus Conciles, fans nuire à leur clarté.

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PREMIERE PARTIE DU DISCOURS.

Tous nos Difcours roulent fur quelque objet, fur ces objets que renferme

Univers dans fa vafte enceinte : c'eft toujours un objet qui compofe la bafe des peintures que forme la Parole: fans eux, il n'y auroit nulle connoiffance, nulle comparaison, nul langage. Lors même que nous parlons de chofes qui paroiffent les moins relatives aux objets, telles que les qualités & les actions, c'est toujours un objet que nous avons en vue; ou ceux dans lefquels réfident ces qualités, ou ceux qui operent ces actions, ou ceux auxquels elles fe ra portent.

Pourquoi le Nom eft la premiere des Parties du Difcours.

Le Noм, cette Partle du Difcours qui défigne les Êtres, ces objets existang ou qu'on fupofe exifter, & fans lefquels il ne peur y avoir nul difcours, nulle: peinture, le Nom, dis-je, marchera donc néceffairement à la tête des Parties du Difcours : car ce n'eft point le hazard, ce n'eft point le captice qui déciderent de leur rang & de leur prééminence; leur place leur fut affignée par la Nature, par cette même Nature qui en avoit fixé le nombre. C'eft elle, elle feule qui peut nous conduire efficacement dans le dédale obfcur des régles du langage: elle le fait par des moyens fi fimples, fi lumineux, fi fenfibles, qu'on ne peut s'égarer en la prenant pour guide.

Nous pourrons bien quelquefois nous tromper dans fa recherche, ne pas arriver jufques aux vrais motifs de ce qu'elle a établi: mais ces erreurs, mais sette ignorance ne doivent retomber que fur nous: nous n'aurons pas tous

yu ; mais nous aurons aperçu la vraie maniere de voir, nous l'aurons aperçue d'une maniere ferme, nous l'aurons indiquée aux Hommes; s'ils la goûtent, s'ils la fuivent, notre but eft rempli, nous n'avons plus rien à défirer; nous recevrons comme un don du Ciel, tout ce qui contribuera à nous éclairer fur ce que nous n'aurons pu apercevoir.

§. 2.

Utilités des Noms.

C'eft par les Noмs, que les Hommes défignent les uns aux autres, tous les Étres exiftans & qu'ils font connoître à l'inftant ceux dont ils veulent parler, comme s'ils les mettoient fous les yeux, comme s'ils les peignoient: qu'on entende prononcer le nom d'un objet connu, on le voit auffitôt comme s'il étoit préfent: on le voit auffi clairement, auffi nettement que s'il frapoit les yeux.

Ainfi dans la retraite la plus ifolée, dans la nuit la plus profonde, nous pouvons passer en revue l'univerfalité des Étres: nous représenter nos parens, nos amis, tout ce que nous avons de plus cher, tout ce qui nous a frapé, tout ce qui peut nous inftruire ou nous récréer; & er prononçant leur nom, nous pouvons en railonner avec nos pareils d'une maniere auffi fûre que fi nous pouvions les montrer au doigt & à l'œil.

C'eft que cette faculté admirable tient au fouvenir, à cette facilité dont nous fommes doués, de nous repréfenter tout ce que nous avons vu, quoiqu'il ne foit plus fous nos yeux ; & de nous rendre ainfi l'Univers toujours préfent, en le concentrant pour ainfi dire en nous-mêmes.

Par les Noмs, nous tenons ainfi regiftre de tout ce qui exifte, & de tout ce que nous avons vû; même de ce que nous n'avons jamais vu, mais qu'on nous a nommé, en nous le faisant remarquer par les raports avec les objers que nous connoiffons.

Aufsi n'existe-t-il aucun Être, dont on puiffe avoir besoin de rapeller le fouvenir, qui n'ait fon nom; puifque ce n'eft que par cette espèce d'anse qu'on peur le faifir, & le mettre fous les yeux: auffi dès qu'on entend parler d'un objet inconnu, demande-t-on à l'inftant fon nom, comme fi ce nom feul --le faifoit connoître : mais ce nom rapelle un objet auquel on attache telle idée, il le fuplée en quelque forte, & cela fuffit.

Ne foyons donc

pas étonnés
étonnés que

l'Homme qui parle de tout, qui étudie

tour

tout, qui tient note de tout, ait donné des Noms à tout ce qui exifte: à fon corps & à toutes fes parties, à fon ame & à toutes fes facultés, à cette multitude prodigieufe d'Etres qui couvrent la Terre ou qui font cachés dans fon fein, qui rempliffent les Eaux, ou qui traverfent fans peine la vafte étendue de l'air au Ciel, & à tous les Etres qui y brillent, & à tous ceux que fon efprit y conçoit qu'il en donne aux Montagnes, aux Fleuves, aux Rochers, aux Forêts à fes habitations, à fes champs, aux fruits dont il fe nourrit: à ces Inftrumens de toute espéce avec lesquels il exécute les plus grandes chofes; à tous les Étres qui compofent fa Société ; à une femme chérie; à des enfans, objets de toute fon efpérance; à des amis auxquels fon cœur eft atta- · ché & qui lui rendent la vie précieufe; à des Chefs qui veillent pour lui. C'est par leur nom que fe perpétue d'âge en âge le fouvenir de ces Perfonnages illuftres, qui mériterent du genre humain par leurs bienfaits ou par leurs lumieres.

Il fait plus tantôt il donne des Noms à des objets qui ne font pas exiftans: tantôt il en donne à une multitude d'Étres, comme s'ils n'en formoient qu'un feul: fouvent même, il donne des Noms aux qualités des objets, afin d'en pouvoir parler de la même maniere qu'il parle des objets dans lesquels ces qualités fe trouvent.

Ainsi, les Étres se multiplient en quelque forte pour lui à l'infini, puisqu'il éléve à ce rang ce qui n'eft pas, & les fimples manieres d'être des objets exiftans. De-là, différentes espéces de Noms, que nous allons parcourir rapide

ment.

§. 3.

Des différentes espéces de Noms.

Comme nous difons, Soleil, Lune, Ciel, Terre, mots par lefquels nous défignons des Êtres exiftans, nous difons également Homme, Planie, Fleuve, Maifon; mots qui ne font le nom d'aucun Être en particulier; mais qui nous préfentent tous ceux qui font de la même nature, & qui deviennent ainfi de la plus grande utilité pour nous donner des idées nettes de tous les Etres, fans qu'on foit accablé par leur nombre, comme on le feroit fi l'on ne pouvoit les confidérer que dans les individus.

Nous difons également Blancheur, Hauteur, Rondeur, Bonté, Amitié, Bienfaifance, &c. défignant par-là, non des Etres, mais les qualités du corps ou de l'ame, confidérées comme objet de nos idées, comme l'Etre ou Gram. Univ.

H

la chofe dont nous nous occupons, que nous nous peignons, abftraction faite de tout ce dans quoi elles fe trouvent, & dont nous envifageons les raports avec de vrais Etres.

Invention admirable, qui donne une facilité extrême pour rendre le difcours plus rapide, plus énergique, plus utile par là même.

Dans cette phrafe, par exemple, la France eft un Royaume d'une vaste étendue, nous voyons ces trois fortes de Noms:

FRANCE, eft le Nom d'un objet individuel, d'un Pays.

ROYAUME, eft le Nom de tous les Pays qui font gouvernés comme la France.

ÉTENDUE, eft le nom d'une qualité confidérée comme fi elle exiftoit feule, comme fi elle avoit une existence à part, féparée de celle des Etres dans lef quels elle fe trouve.

De ces trois espéces de Noms, la premiere s'apelle Noм PROPRE, OU IN DIVIDUEL, parce qu'il eft borné à celui qui le porte, qu'il lui appartient en propre, fans partage, fans divifion.

La feconde s'apelle NOM APELLATIF, parce qu'il fert à donner une apella tion, commune à tous les Etres de la même espéce.

La troifiéme s'appelle NOM ABSTRAIT, parce qu'on le donne à un des États fous lesquels un Être quelconque peut être envifagé, comme fi cet état étoit un être réel, confidéré en lui-même, & en mettant à l'écart cet Etre luimême & fes autres qualités, dont on fait ainfi abftraction pour ne s'occupper que d'une feule.

Le premier de ces Noms peint un individu dans fon enfemble, dans ce qui le conftitue, dans ce qui fait qu'il eft un tel Etre, & qui ne fe trouve. qu'en lui.

Le fecond de ces Noms le peint fous les qualités qui lui font communes avec tous les autres Etres de la même espèce.

Le troifiéme le peint comme s'il n'étoit compofé que d'un feul trait, comme s'il n'étoit qu'étendu, qu'il fût feulement large, rond, bon, mauvais, grand, &c. comme fi cette qualité étoit tout l'Etre.

Relativement à ce dernier nom, on ne confidere un objet que dans une feule qualité : relativement au fecond, on le confidere dans ce en quoi il reffen ble aux Étres de la même espéce: relativement au premier, on le confidere dans cet enfenible qui fait qu'il eft lui, & non tel autre.

Cette divifion des Noms en Propres, Apellatifs & Abftraits, n'eft donc point idéale: prife dans la Nature, elle eft abfolument néceflaire pour la per

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