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595 les noms neutres, c'eft qu'on les envisagea fous un point de vue abfolument différent des pluriels mafculins & féminins. On confidéra ceux-ci comme des objets distincts, parce qu'ils repréfentoient des Etres animés; tandis que les neutres fe prenoient en bloc, parce qu'ils défignoient dans l'origine, des Etres inanimés, dans lesquels il n'y avoit point de différence de fexe.

On trouve un autre contrafte fort aprochant de celui-là entre le Grec & le François. Tandis que nous difons au fingulier, la plupart des hommes, les Grecs dilent au pluriel, πολλοὶ τῶν ἀνθρώπων, plufieurs des hommes.

III. Noms à la fuite d'un Comparatif.

Les noms qui fervent de conféquent à un Comparatif, fe rendent en Grec par un Génitif: on y dit: Miwy pov, plus grand de moi; comme fi c'étoit un complément; & non plus grand que moi. Mais la tournure Italienne; più grand di me, plus grand de moi, difent-ils également. Et cela n'eft point contradictoire; de eft une liaison tout comme que.

IV. Du Génitif.

Les Grecs aimoient autant le Génitif que nous. Ils difoient, comme nous: Πεποίηται λιθου, il eft fait DE pierre : Υπιον τοῦ ὄιγου, αἱ bu Du vin : Ημέρας καὶ bû DU νυκτὸς μελετῶν, méditer DE jour & DE nuit: Τῆς ἀρετῆς ἐφικέσθαι, acquérir DE la vertu. Et même avec l'Infinitif après un autre Verbe: Kwλúes tõ givesday vixiav » il empêche DE básir une maison.

A cet égard, les Grecs fe raprochent d'autant plus de notre Syntaxe Françoife, qu'ils n'ont point d'ablatif proprement dit, & qu'ils mettent en complément, comme nous, ce que les Latins mettent à l'ablatif avec la prépofition

de ou ex.

MM. de Port-Royal fupofent que ce Génitif eft l'effet d'une prépofition fous entendue: c'eft chercher du myflère où il n'y en a point. Ces mots défignent des complémens mais le Génitif en eft le cas: tous ces mots font donc néceffairement au Génitif, par une fuite du rôle qu'ils jouent ici, & fans le fecours d'aucune prépofition.

V. Du Datif.

Le Datif fe met à la fuite de plufieurs Verbes qui femblent actifs, & qui devroient être par conféquent fuivis d'accusatifs : le vrai est que ces Verbes ne

font point actifs par eux-mêmes, ou du moins que tous ces Datifs ne défignent que des terminatifs, enforte que ces formules font parfaitement conformes au plus purs principes de la Grammaire.

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celle

Il ne faut donc pas rendre cette expreffion, пpanuver Fe, par ci, adorer Dieu, puifqu'il feroit abfurde de mettre au Datif (r) un nom qui devroit être à l'accufatif. Adorer n'eft qu'un mor fubftitué au fens propre de Proskunein: celui-ci fignifie mot à mot baifer la main, faire fes baife mains adreffer un falut: il doit donc être fuivi d'un Datif. Ce Verbe eft compofé de la prépofitiones, Pros, qui fignifie à, vers; & du Verbe, Kuw, Kyé, qui fignific faire un bailer, & qui fubfifte dans l'Anglois Kiff & dans l'Allemand Kuff, qui fignifie un baifer

VI. Du Cas abfolu

Les Latins n'ont qu'un Gas abfolu, l'ablatif: les Grecs employent indiffe remment trois Cas en pareille occafion; ils ont des Génitifs, des Datifs & des Accufatifs abfolus: c'eft comme les Italiens qui nettent un même nom après un niême Verbe & après la même prépofition au génitif, au datif, & à l'accufatif comme nous l'avons vu au Chapitre des Prépofitions: C'eft une preuve frapante:: de la grande liberté que les Grecs fe donnoient dans leur langage: ils ne vou foient point de gêne, & ils recherchoient la plus grande variété poffible, dans feur. langage. comme dans leurs actions.

Si l'on adoptoit le fyftême de plufieurs célébres Grammairiens, ce ne feroit pas un datif, mais un ablatif abfolu qu'auroient les Grecs ; ce qui raprocheroit encore plus cette Langue de la Latine. Ces Grammairiens font du datif un ablatiftoutes les fois qu'il défigne un circonftanciel, & non un terminatif: parce que, felon eux, les Parties du Difcours doivent être diftinguées par leurs usages, fors même que leurs formes font femblables; tout comme nous diftinguons deux mots, parfaitement les mêmes quant au fon, mais très-differens-quant au fens; & tout comme en François les mêmes pronoms, tels que me, te, rempliffens des fonctions très-différentes, tenant lieu de datifs & d'accufatifs Latins.

VII. Des Pronoms adifs & paffifs tout à la fois.

Les Génitifs des Pronoms personnels fe prennent en Grec au fens paffif, tour comme au sens actif: on y dit l'ami de moi, & mon ami, pour défigner égale ment une perfonne qui nous aime & une perfonne que nous aimons vos regrets, votre bienveillance, pour dire les regrets qu'on a de votre abfence, Ja bieny euillance qu'on vous porte.

If en étoit de même de la Langue Hébraïque, cultivée long-tems avant la Grecque: ceci tenoit au génie de la Langue Primitive. Ma violence, fignifie en Hébreux comme en Grec, la violence qu'on me fais, ce que je fais malgré moi y tout comme ce que je fais faire malgré foi. Mon injuftice, c'est l'injustice qu'on me fair : cette expression pouvoit être très-obscure, dans quelques occafions F & c'eft par cette raison qu'on la remplaça dans la fuite des tems par une plus daire..

VIII. Des Articles.

Finiffons par l'Article. Ce mot, que des Grammairiens n'ont pas voulurecon→ noître comme une Partie du Difcours, eft cependant commun à la Langue Françoise, avec les Langues modernes,& entre les anciennes avec la Langued Grecque & la Langue Hébraïque, même dans fon fens le plus refferré, & em le bornant à l'Article indicatif, le.

MM. de Port-Royal qui ont difcuté fort au long dans leur Grammaire Greċque, (1) tout ce qu'ils ont aperçu dans cette Langue de relatif aux Articles n'ont fait également attention qu'à l'Article indicatif, & par-là ils ont nui à cet égard à ceux qui les ont pris pour guides dans l'étude du Grec, & ils lés ont confirmés dans l'idée qu'il n'y avoit qu'un Article. D'un autre côté, ils font mal-à-propos du relatif qui, un Article, qu'ils apellent poft pofitif; c'est-à dire, Article qui fe place après le nom Ainfi ils mettent au nombre des Articles ce qui n'en eft pas, & ils n'y raportent pas ce qui devroift en faire partie. Ce n'eft pas la Langue Grecque qui leur manque, c'eft eux qui manquent à là Langue Grecque, en n'y remarquant pas tout ce qui y eft: tant il est difficile d'ob ferver comme il faut, fi l'on ne voit que d'après un fyftême ou d'après une

mesure donnée.

La vraie maniere d'analyser une Langue, ce feroit d'en claffer tous les mots dans l'ordre le plus propre à les faire diftinguer, fuivant les propriétés qu'on y aperçoit: on verroit alors naître à leur égard le meilleur fyftême poffible: on saffureroit, par exemple, par-là, que les Grecs n'avoient pas feulement l'Artiele ́indicatif le, & l'Article Démonstratif ce, divisé en deux : houtos, ce qui eft près, ici: ekeinos, ce qui est loin, là: mais qu'ils ont encore l'Atticle Énonciatif un, exprimé par Tis. Celui-ci eft continuellement employé dans les

Liv. VIII, Chap, IV, & V;

Fables d'Esope, écrites d'un style simple & populaire : on y voit :

By TV Tayidi, dans un filet.

Τῶν δὲ παρόντων τις, un des alliftans.

Επί τινος οἰκίας, dans une maifon.

Objectera-t-on que ce mot Tis eft rendu en Latin, non par un, mais par le mot quidam, certain ; certain filet, certaine maison? Mais qu'en résulteroitil, fi ce n'eft que QUIDAM en Latin, & CERTAIN en François, devroient être confidérés comme des Articles énonciatifs, toutes les fois qu'ils en rempliffent les fonctions.?

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1

CONCLUSION.

QUEL vafte champ de conféquences importantes n'offre pas à l'efprit hu-
main l'analyse que nous venons de faire des principes généraux du Langage
¿& des nuances qu'ils reçoivent chez les divers Peuples qui fe font formés fur
la furface de la Terre! C'est déja, fans doute, un spectacle auffi intéressant que
nouveau, que cet accord merveilleux qui régne entre la Nature & la Gram-
maire Univerfelle, & entre celle ci & toutes les Grammaires particulieres: par-
tout un feul principe, un feul modèle, modifié à l'infini par des caufes conf
tantes & reconnues, & dont on peut toujours calculer les effets: par-tout
la Nature conduifant les Hommes vers leur plus grand bien, & les y conduifant
par
des routes fiinples & fûres : par-tout les Hommes ne devant qu'à l'imita-
tion ce qu'ils croyoient devoir à leur feule imagination, à leur fimple caprice;
par-tout ces hommes fuivant la même route & opérant d'après les mêmes
principes, tandis que les effets font fi prodigieufement variés, qu'on étoit
tenté de croire qu'il n'y avoit nuls raports, nulle harinonie, nul principe
commun, que l'art grammatical avoit été abaudonné au génie de quelques
hommes, & qu'il n'auroit dépendu que d'eux d'en établir un tout opofé.

On favoit à la vérité qu'il exiftoit de très-grands raports entre les principes fur lefquels étoient fondées les Grammaires de tous les Peuples: un fentiment confus faifoit entrevoir même que ces raports ne pouvoient être l'effet du hazard ou du caprice; plutôt, celui d'une cause conftante & fupérieure aux Hommes; & c'eft à cette caufe qu'on tâchoit de s'élever par ces recherches immenfes qu'on a faites fur les principes du Langage, & dans lesquelles on s'eft fi fort

ayroché du bur. Reffera-t-il quelque incertitude à cet égard, lorfqu'on voit les principes généraux da Langage ramenés à la fimple imitation de la Nature & nous donner à leur tour les principes de chaque Langue en particulier: lorfqu'on voit que les Langues, les plus éloignées, & en aparencé les plus opolées, la Langue Chinoife, & la Langue Françoife, la Langue Grecque,~ la Latine, celle des Hébreux, les Langues même des Sauvages de l'Ainérique, font fondées fur la même bafe; qu'elles analyfent leurs penfées & qu'elles les peignent d'après les mêmes principes ; & que tous les Peuples de la Terre, qui fe reifemblent déja à tant d'égards, fe reffemblent encore à celui-ci & d'une' maniere fi fenfible?.

Que ce raport, que cette fimplicité, que cette unité, doivent paroître agréables à ceux qui font obligés de fe livrer à l'étude d'un grand nombre de Langues! Qu'il doit être fatisfaifant de trouver par-tour, au lieu de ces objers ifolés, de ces régles abfurdes, de ces pratiques dont on ne peut fe rendre rai fan, de ces ufages fans principes qu'offroient jufques-ici toutes les Grammaires, de trouver par tout, dis-je, des objets liés étroitement entr'eux, des régles juftes & néceffaires, des pratiques fondées en raifon, des ufages. toujours liés avec des principes immuables! & en même tems, quelle facilité ne doit-on pas s'en promettre pour l'étude de toutes ces Grammaires, puif qu'on pourra toujours fe rendre raifon de leurs phénomènes les plus finguliers,› & les ramener à des principes connus.-

Ces raports du Langage toujours conftans, toujours fimples & clairs, tou jours fatisfaifans pour la raison, toujours conformes à nos principes, font bien propres à en démontrer la bonté, & à donner une idée avantageufe de ce qui nous refte à dire. Ce n'est que la Nature même des chofes, qui peut nous conduire avec tant de facilité à travers des routes qui paroiffoient fi tortueuses, fi opofées, fi difficiles à apercevoir; & qui nous ayant fait découvrir dans les Allégories de l'Antiquité, dans ce Langage figuré qui fit fes délices, les principes fur lefquels il fut fondé, nous a conduits également aux principes du Langage même le plus fimple, le plus naturel, le moins allégorique; & nous a fait voir qu'ils ne furent pas moins l'effet de la Nature, que les principes fur lefquels s'éleva la brillante Allégorie.

Puifque de quelque point que nous partions, nous parvenons aux mêmes réfultats, que par-tout nous découvrons l'effet de la Nature, jamais celui du hazard ou de l'arbitraire, par-tout des conféquences néceffaires, nulle part des effets fans caufe; & qu'après avoir montré les principes du Langage figuré, nous avons indiqué avec la même fimplicité, fi ce n'eft avec le même intérêt,»

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