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n'offre plus à notre efprit l'idée intéreffante de Mere & de Nourriciere;. & n'y réveille que l'idée moins flateufe de fupériorité.

La maffe des Eaux falées, qui environne & fépare les Continens de notreGlobe, eft du genre féminin dans le nom de MER, parce qu'on les confidere comme le réceptacle & les productions d'une prodigieufe quantité de plantes & d'animaux ; & elle devient du genre mafculin dans le nom d'OCÉAN, parce qu'alors on ne fait attention qu'à fa vafte étendue & au mugiffement. terrible de fes flots.

Le TEMS eft du genre mafculin en diverfes Langues, à caufe de fes influences fur tout ce qui exifte. Il eft perfonifié par un Vieillard dans ce Diftique ingénieux::

Ο γαρ Χρόνος μ' έκαμψε, τεκτων ε σοφὸς

Απαντα δ' ἐργαζόμενος ἀσθενέτερα. (4)

» Le Tems, cet Artiste qui n'est pas fage & qui gâte tout ce qu'il·tou » che, m'a courbé comme un arc.

L'ETRE SUPRÊME, Auteur & Pere de tout ce qui exifte, fera du genre mafculin: cependant comme cette idée eft relative à celle de féminin, & qu'en Dieu il n'y a nul raport pareil, quelques Peuples feront la Divinité du Gente qui n'annonce ni mafculin ni féminin, afin d'en donner une idée plus fublime.. La VERTU & la BEAUTÉ feront dans toutes Langues du genre féminin parce que l'une eft l'apanage de ce Sexe, & que l'autre eft fi belle, fi intéreffante, fi aimable, qu'on ne peut fe difpenfer de lui donner le fexe des Graces.

3°. Bifarrerie des Genres.

Il faut avouer cependant qu'il s'est glissé à cet égard beaucoup de bifarrerie & d'arbitraire dans les Langues, parce que les mêmes mots, en paffant d'une. génération à une autre, ou d'une Langue à une autre, ont fouvent changé de. genre; ainfi ARBRE, qui eft mafculin en François, eft féminin en Latin, tandis que CHALEUR, qui eft féminin en François, eft mafculin en Latin (a).

(4) STOB. Ecl. p. 591.

A

( a ) N ▲ V I R E, qu'on avoit d'abord fait avec raison du genre féminin en François eft acuellement du genre mafculin, quoiqu'on ait contredit en cela le Latin dont il vient & la rai on qui étoit pour le féminin: mais on confulta l'oreille, pour laquelle un Na vire eft beaucoup plus agréable que l'expreffion une Navire,

Rien n'eft plus défolant qu'une telle méthode, parce qu'on ne fauroit fe faire à cette variété de genres qu'effuie un même mot en paffant d'une Langue à une autre ; & qu'il faut mettre continuellement fon efprit à la torture, pour fe familiarifer avec cette inconftance perpétuelle de genres, qu'on ne peut prefque plus ramener à des principes communs & fatisfaifans.

Auffi les Grammairiens n'ont pu s'empêcher de fouhaiter que la diftinction des genres fût totalement anéantie dans toutes nos Langues, & ils ont cru trouver un apui dans la Langue Angloife où, felon eux, il n'y a point de diftinction de Genre (†).

Mais pour éviter un inconvénient, auquel on pourroit peut-être remédier de quelqu'autre maniere, ils priveroient les Langues de la reffource & des avantages précieux qu'elles trouvent dans la diftinction des genres, & que nous allons tâcher de faire fentir, après avoir relevé l'inexactitude dans laquelle on tombe, en disant que la Langue Angloife ne connoît point de diftinction de Genre.

Au premier coup d'œil, en effet, l'Anglois paroît méconnoître cette diftinction; fes Noms ne font point diftingués par des terminaifons mafculines & féminines; ses Adjectifs n'en ont point, fès Articles non plus: à partir de-là, on fe croit donc en droit de conclure qu'ils n'ont point de Genre: on fe tromperoit cependant, parce qu'ils ont des Pronoms féminins, & qu'ils n'employent pas ces Pronoms indiftinctement avec toute forte de Noms, fe fervant des mafculins pour les uns & des féminins pour les autres; preuve qu'ils confiderent les uns comme mafculins, les autres comme féminins.

Le SOMMEIL & la MORT, par exemple, font mafculins chez eux comme en Grec: auffi employent-ils pour eux les Pronoms mafculins. » MORT, dit » un de leurs celebres Grammairiens, leur paroîtroit extrêmement ridicule fi elle » étoit traveftie en femme ». Et il cite ce paffage de SHAKESPEAR, qui dit, en parlant de la Vie (5):

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» Tu n'es que le jouet de DEATH (Mort): car tandis que tu prends ton

(†) Entr'autres, M. DUCLOS, dans fes Remarques fur la Grammaire générale de LANCELOT, ou de PORT-ROYAL: fentiment, par raport auquel il a été relevé d'une maniere très-intéreffante par M, BEAUZÉE, T. II. Chap. des Genres.

(5) Meas for Meas.

» vol

pour

l'éviter, ta courfe impétueule ne ceffe de t'entrainer vers Lui ».

4. Avantages de la diftinction des Genres.

Ce n'eft point fans raifon que les Peuples fe font accordés à diftinguer les Noms par des Genres, lors même qu'ils ne défignoient pas des Étres diftingués dans la Nature par leur fexe : tous fentirent qu'il en résultoit un grand nombre d'avantages pour les Tableaux de la Parole, & que ces avantages l'emporteroient toujours fur les légers inconvéniens qui en réfulteroient pour le fouvenir du genre affigné à chaque Nom. Effayons de nous en former quelqu'idée.

1o. Ce qui rend la Nature vraiment belle & animée, ce font les Étres animés. La plus belle campagne, la perfpective la plus intéreffante, eft froide & languiffar te fi l'on n'y aperçoit des Étres animés. Quel prix ne donnent pas à un beau Canal, à une Mer vafte & tranquille, des Animaux qui s'y jouent ou des Vaiffeaux qui les fillonnent? Qu'eft le plus beau Palais fans un Maître & une Maitreffe? qu'eft une Ville fans Habitans? que feroit le Monde fans Étres animés? Il en eft de même des Tableaux de toutes ces chofes : ils ne plaifent qu'autant qu'on y aperçoit des veftiges de pareils Etres. Auffi les grands Peintres ont-ils foin de lier toutes leurs Perspectives avec des Perfonnages dont l'action eft analogue à ces Perspectives: chez eux, point de Mers fans Vaiffeaux, point de Ports fans un Peuple immenfe répandu çà & là, preffé & dans le plus grand mouvement ; point de Place publique fans gens affairés; point de beaux Monumens fans Admirateurs, &c. Il en fera donc de même des Tableaux de la Parole; ils ne fauroient plaire qu'autant qu'ils feront animés, qu'ils refpireront : & ils ne fauroient y parvenir qu'autant que leurs mots feront eux-mêmes pleins de vie : mais comment animer des mots, comment leur donner la vie d'un Tableau? Rien de plus fimple : en les revêtant d'un fexe, en les personifiant, en en faisant des Étres animés, en leur prêtant la chaleur & la vie. Alors tout s'embellit dans la Parole, tout y paroît plein d'énergie & de charmes : ce ne font plus des mots qui fe fuccédent froidement les uns aux autres: ce font des traits de la plus vive lumière ; ce font des objets, à l'existence defquels on prend l'intérêt le plus vif, dont on peut connoître l'origine, les raports, les qualités, les effets; à l'égard defquels rien n'eft déformais indifferent.

C'est ainsi qu'en élevant à la qualité des Noms & des Êtres animés, tout ce que nous voulons sepréfenter par la Parole, nous devenons véritablement

Peintres c'est ce qui conftitue la beauté & la sublimité de la Poëfie, & qui fait l'excellence de l'Art Oratoire.

Auffi tous les Noms ont-ils des genres chez tous les Peuples, ou fe perfonifient-ils chez ceux qui ont négligé d'avoir des genres, dès qu'ils veulent toucher, émouvoir, remuer fortement l'imagination & le cœur.

2°. Le Difcours en acquiert infiniment plus d'harmonie & de graces. Trop de monotonic,trop d'uniformité, fatiguent & ennuient. La Beauté elle-même déplaît, fi elle n'eft relevée par quelque variété. Combien ne feroient donc pas infipides & fâcheux, & pour l'oreille & pour la vue, les Tableaux de nos idées où tous les Noms feroient monotones, & fans diftinction de genres? Ainfilors même que la Nature ne nous conduiroit pas à cette diftinction de Noms, nous devrions en inventer quelqu'une, afin qu'ils ne fuffent pas tous jettés au même moule, qu'ils fuffent animés par le contrafte, & qu'on ne fît pas comme un Peintre qui habilleroit tous fes Personnages de la même façon, ou qui leur donneroit à tous le même ton. Par la diverfité des genres au contraire nous imitons la Nature, & auffi-tôt nos Difcours s'animent & offrent le plus grand intérêt, celui-là même des fenfations.

3°. Le Langage ne fauroit être non plus fur le même ton: il ne fauroit être composé de fons abfolument doux, ou abfolument graves & forts: il exige nécessairement de la variété dans ses modulations, & il ne peut être flateur qu'autant qu'on y aperçoit un jufte mêlange de ces fons: mais comment peutil y parvenir avec plus de fuccès qu'en imitant la Nature, qu'en la prenant pour guide? Celle-ci n'a pas revêtu tous les Êtres de la même force, ou de la même douceur : elle les a contraftés avec le plus grand foin: il falloit donc qu'il en fût de même dans les Tableaux de nos idées,afin qu'ils fuffent plus flateurs, mais c'est l'effet que produifent les Genres dans le dégré le plus éminent.

Imitant la force & la vigueur des Étres mafculins, les Hommes ont donné à une partie des Noms, cette force & cette vigueur, en leur donnant une terminailon forte & vigoureufe formée par des confonnes ou par des voyelles

fortes & fonores.

Tandis qu'ils ont imité la douceur & la délicateffe des Êtres féminins, en donnant à une autre partie de leurs mots, une terminaifon douce & légere. C'est ainsi que ces mots,

Fort, Vail'ant, Héros, Berger,

ont une prononciation plus forte & plus nerveufe que celle qu'ils offrent e adouciffant leur derniere confonne par le fon d'une voyelle, comme,

Forte, Vaillante, Héroïne, Bergere.

C'est ainsi que Signora eft plus doux que Signor, Paftorella que Paftor. Le mêlange de ces terminaifons jette dans le Difcours cette harmonie, cette grace & cette vérité que répand dans les Tableaux le mêlange agréable de la lumiere & de l'ombre.

4°. Ces terminaifons font enfin d'un très-grand avantage pour faire connoître les mots qui font liés par quelque raport, & quelles font les perfomes qui parlent; & pour donner aux Tableaux des idées, plus d'exactitude, de vérité & de clarté.

Qu'on jette les yeux, afin de s'en affurer, fur les mots qui n'offrent pas cette distinction, & fur le fens indéterminé qui en résulte; fur cette phrafe, par exemple,

» Et moi auffi je fus fage,

qui laiffe l'efprit dans l'indécision fur la perfonne qui s'exprime ainfi.

Il en eft de même de cette phrafe Italienne, lo, anchè io, fui amante, qu'on ne fait s'il faut rendre ainfi : Moi, moi aussi je fus amant; ou s'il faut y employer le genre féminin en traduifant : Moi, moi auffi je fus amante. Equivoque qui regne également dans le Me amante des Latins; qui peut quelquefois devenir très-embarraffante, & que la diftinction des genres fair difparoître,

§. 9.

Des Nombres.

Nous avons vu que le Nom Apellatif défigne ce qu'offrent de semblable tous les objets de la même espéce; & qu'en prononçant les mots, arbre, plante, montagne, &c. nous ne donnons l'idée d'aucun arbre, d'aucune plante, d'aucune montagne en particulier; mais l'idée en général de tout ce qui eft arbre, de tout ce qui eft plante, de tout ce qui eft montagne.

Mais telle eft l'utilité de ces Noms apellatifs, que nous pouvons les tirer de cette généralité, & les apliquer à un feul individu ou à plufieurs. Dans cette phrafe, par exemple,

» Le Mortel le plus heureux eft celui qui fait mieux borner fes

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le Nom apellatif, Mortel, eft appliqué à un feul individu, dont il devient en quelque forte le Nom propre.

Dans cette phrafe au contraire,

» Les Mortels fe rendent malheureux par l'excès de leurs défirs, que » ne peuvent contenter les plus grandes richeffes & les plaifirs les » plus variés,

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