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ce Nom apellatif, Mortel, comprend tous les individus auxquels il con

vient.

On diftinguera donc, à cet égard, les noms apellatifs en deux Claffes, fuivant qu'on s'en fervira pour défigner un feul individu, ou plufieurs.

L'on dira de celui qui ne défigne qu'un individu, qu'il eft au Nombre Singulier; & de celui qui défigne plufieurs individus, qu'il eft au Nombre Pluriel..

Le Mortel, eft un Singulier.

Les Mortels, un Pluriel.

Cette distinction des Noms, en Singulier & en Pluriel, eft de toutes les Langues, parce qu'elle eft donnée par la Nature: mais chaque Langue varie dans la maniere d'énoncer cette diftinction: cependant elles le font toutes par le plus léger changement poffible; en François, par la fimple addition de la finale s; les Italiens, par une fimple voyelle, ou par le changement d'une voyelle en une autre: libro, un livre, par exemple, au fingulier; & libri, livres au pluriel, comme en Latin. Les Orientaux, & avec eux anciennement les Anglois, par l'addition finale d'im, in ou en : ainfi, tandis que CHILDfignifie Enfant en Anglois, CHILDREN fignifie Enfans, pluriel qui répond à l'ancien fingulier Childer & Childr, qui n'existe plus: mais ce détail apartient à la Grammaire Comparative.

Nous pouvons admirer ici l'Art avec lequel fe forment les Langues, & avec quelle fimplicité elles parviennent à cette briéveté & à cette concifion qu'éxige la parole : une lettre ou un fon de plus ou de moins, & le Tableau chan-ge totalement; il n'offre qu'un individu, ou il les préfente tous : c'est un miroir magique qui change en un clin d'oeil pour faire voir tout ce qu'on défire, & qui fe prête à toute l'impatience, à toute la vivacité de la volonté. & de l'imagination.

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Quelques Peuples de l'Orient, les Grecs eux-mêmes, prenant pour guide la Nature qui offre dans les Étres animés, & fur-tout dans l'Homme, un grand nombre de parties doubles, deux yeux, deux oreilles, deux mains,, &c. & qui porte les Étres animés à s'affocier de deux ein deux, ou par paires, avoient imaginé une troifiéme nuance dans les Noms relativement au nombre: celle-ci renfermoit deux individus, ni plus ni moins ; c'est ce qu'on apella DUEL.

Ces Obfervations fur les Genres & fur les Nombres, paroîtront minutieu-fes à ceux qui favent très-bien parler leur langue, fans avoir jamais réfléchi far l'Art avec lequel on eft parvenu à parler: cependant ces Obfervations fonts

indifpenfables, dès qu'on veut analyfer cet Art. On s'en aperçoit fur-tour lorfqu'on étudie des Langues étrangères : les procédés inconnus qu'on a alors fous les yeux & par lesquels on eft fans ceffe arrêté, forcent d'en examiner les causes, & prouvent que rien n'est minutieux en Grammaire.

Mais il en eft de même de toutes les Sciences. Elles fe réduifent, toutes fans exception, à paffer, des principes les plus fimples, les plus indiffèrens en aparence, aux connoiffances les plus compliquées & les plus vaftes. Qui fauroit suivre cette route fans s'en écarter, & tenir toujours ce fil, aprendroit, ainfi dire, les Sciences les plus relevées en fe jouant: car il verroit fans pour ceffe la raison de chaque pas qu'il feroit; il feroit toujours environné de la plus vive lumiere.

§. 10,

Noms, fource ou racine de tous les Mots.

Une autre prérogative des Noms, & qui les diftingue de la maniere la plus intéreffante de toutes les autres Parties du Difcours, c'eft qu'ils font la fource ou les racines de tous les mots dont elles font compofées : c'eft que tous ceux-ci font nés de ceux-là, & que fi l'on confidere les mots dont toutes les Langues font formées, comme des Familles ou comme des Arbres Généalogiques, elles auront conftamment un Nom à leur tête : enforte qu'on ne peut indiquer aucun mot, de quelque efpéce qu'il foit, adjectif, verbe, adverbe, conjonction, prépofition, &c. qui ne defcende d'un Nom, & qui n'en tire toute fon énergie.

Les Noms deviennent ainfi la base, le fondement, la clef des Langues: c'est à eux que doit fe réduire leur étude; ils font comme autant de caufes entre lesquelles on doit diftribuer tous les mots; & l'on ne fera affuré de faifir le fens de tous ceux-ci, d'en connoître les caufes, d'être remonté à leur vraie étymologie, qu'autant qu'on fera en état de les raporter au Nom qui leur donna naiffance.

Cette Thèle paroîtra fans doute nouvelle, & peut-être impoffible à démontrer: on la mettra au rang de ces propofitions fingulieres, de ces paradoxes qu'une imagination ardente prend pour la vérité : nous ofons cependant nous flater que nos Lecteurs font déja familiarifés avec elle, & qu'ils défirent du moins qu'elle foit vraie, puifque l'étude des Langues & des Mots, fi néceffaire & cependant fi pénible & fi faftidieufe, en deviendroit ailée & agréable. Heureufement, on ne fera pas réduit en cela au fimple défir: nous verrons

dans.

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dans la fuite, le fait démontrer conftamment ce que nous avançons; & nous pouvons assurer, en attendant, que la raison fuffit feule pour nous en con

vaincre.

En effet, la Parole, nous l'avons dit, n'eft qu'une peinture: elle peint nos idées : mais nos idées font elles-mêmes la peinture des objets : il faut donc néceffairement que les Noms, cette Partie du Difcours qui défigne les objets, les peignent d'une maniere affez précise, affez exacte pour les faire reconnoître à l'inftant.

Les Noms ne peuvent donc exifter par hafard : ils auront été donnés par l'objet même, ils lui auront été affimilés, précisément de la maniere dont la Parole peut s'affimiler à un objet & le peindre.

Les Noms feront donc les feuls mots qui puiffent exifter fans dérivation, puifqu'eux feuls peignent les objets, les feuls Êtres exiftans.

Les autres mots, au contraire, ne peignent que les qualités de ces objets, de ces Êtres, leurs diverfes actions, leurs differens états: il faut donc que ces derniers mots ayent avec les Noms des objets dont ils peignent les qualités, le même raport qu'ont ces qualités avec leurs objets ; mais quel peut être ce raport entre les Noms & les autres mots, fi ce n'eft que tous ceuxa foient liés au Nom, & qu'ils lui tiennent par dérivation, de la même maniere que les qualités d'un objet font une dérivation de la nature même de cet objet ?

Les mots dérivés réveilleront ainfi l'idée du Nom dont ils dérivent avec la même promptitude, la même jufteffe & la même netteté que l'idée d'une qualité réveille celle de l'objet auquel elle apartient.

C'est cette harmonie, fimple & noble, qui conftitue la beauté du langage, & qui feule peut en faciliter l'étude.

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Tel eft l'effet de l'ordre qui fimplifie tout, qu'il fait difparoître les peines & les efforts qu'il a fallu foutenir pour arriver jufques à lui, qu'il femble qu'on en eût fait autant parce qu'on en trouve les principes en foi, & qu'on voit que c'est la feule maniere dont puiffe exifter l'ensemble des objets qui le forment.

Mais auffi dès que cet ordre n'est plus aperçu, tout retombe dans la confusion la plus étrange, tous les objets font brouilles, leurs raports anéanris, ces raports par lefquels ils s'éclairoient & fe foutenoient, par lesquels on en saisissoit l'ensemble avec la plus grande facilité, & qui offroient les charmes irréfiftibles de l'harmonie & du beau.

C'est dans ce défordre étonnant qu'eft tombée la connoiffance des Languest Gram. Univ.

L

elles n'offrent plus d'harmonie, plus de raport, plus d'enfemble; tout y eft jetté au hafard & dans une confufion extrême : les dérivés d'un même mot ne tiennent plus à ce mot: on n'aperçoit aucune liaison entr'eux; la connoiffance de l'un eft nulle pour acquérir celle de l'autre : par-tout des mots étrangers les uns aux autres, dont on ne connoît plus la famille.

En confidérant cette confufion, prefque femblable à celle des élémens renfermés pêle-même dans le fein du cahos, on ne soupçonneroit jamais que les mots ayent été affujettis à une marche réguliere; & que fi elle eft méconnue, c'eft uniquement parce qu'on n'aperçoit pas les moyens de la rétablir.

On eût dû l'espérer de ceux qui nous ont donné des Dictionnaires ou les mots font rangés par familles : mais ils avoient manqué leur route dès le premier pas, en regardant les Verbes comme la racine des mots, & en prenant ainfi les branches pour le tronc.

Ils ne connoiffoient, d'ailleurs, ou ne comparoient que quelques Lan-gues, infuffifantes pour leur donner tous les points de comparaifon néceffaires pour un travail de cette nature.

Ce qui leur faifoit penfer que les Verbes étoient les vrais mots radicaux,. c'eft qu'ils voyoient un raport étonnant entre les Verbes & les Noms: c'est que dans diverfes Langues, ils trouvoient beaucoup de verbes fans Nom qui leur correfpondît; c'eft qu'en effet un grand nombre de mots,même de Noms, dérivent des Verbes; mais aucune de ces confidérations ne peut anéantir no tre principe.

Principe au moyen duquel tous les mots tiennent aux Noms, qui tiennent eux-mêmes aux objets, & d'où réfulte cette harmonie admirable que la Nature met dans tous fes Ouvrages, & fans laquelle rien ne pourroit exifter..

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Mais de quelle maniere l'Objet a-t-il pu conduire au Nom qu'on lui affigna? Comment, entre cette multitude de fons par lefquels on pouvoit défigner un objet, fe décida-t-on pour celui qui devint fon Nom?

Ce ne put être qu'en affignant pour Nom à chaque objet, celui de tous. ces fons qui avoit avec lui le raport le plus étroit..

A cet égard, les Noms, fur-tout les Primitifs, fe divifent en deux grandes Claffes.

1o. Ceux qu'on apelle ONOMATOPÉES, c'est-à-dire, Noms déjà formés par la Nature, & qui défignent les objets par un fon qui imite leur cri, fi ces objets font des Animaux; ou les bruits & les fons qui résultent de leurs

mouvemens.

Tels font 10, ces Noms d'Animaux, Baur, imitation de fon beuglement; BÉLIER, imitation du bêlement de cet animal; Coucou, imitation du chant de cet oifeau ; CIGALE, imitation du cri de cet infecte, plus fenfible dans le Latin Cic-ada, &c.

2o. Ces Noms d'Inftrumens, Tambour, Tymbale, Tympanon, Trompette, Fanfare, Trictrac, &c.,

3°. Ces Verbes relatifs aux cris des Animaux, & au bruit des Inftrumens, mugir, beugler, béler, hennir, miauler, bondir, tonner, fonner, fifler, fouffler, &c.

4°. Ces mots encore, Sons, Tons, Timpan de l'oreille qui occafionne Pouie des fons, Tonnerre, Bombe, Taffetas qui imite le bruit de cette étoffe quand on la froiffe, &c.

Telle encore la Famille immenfe de CRA ou GRA, dont nous avons vu une partie des dérivés, à l'occasion de l'origine du Nom de la Grammaire.

5. On peut joindre à cette Claffe, les Noms des Parties du Corps, tirées du fon ou du bruit qu'on en tire. Les DENTS font apellées de ce nom parce qu'elles font la touche fur laquelle on prononce D. La BOUCHE prend fon nom de ce qu'à fon ouverture, qui la caractérife, on prononce B. L'Oreille,le Nez, le Pied, la Main, &c. ont auffi des origines pareilles, comme nous le ferons voir dans nos Principes fur l'Origine du Langage & de l'Ecriture.

II. La feconde Claffe des Noms, relativement à leur origine,renferme tous ceux qui rapellent l'Objet, non par l'imitation du bruit ou du cri, mais par le Taport du Nom avec une qualité diftinctive de l'Objet.

Nous le démontrerons dans le plus grand détail, foit dans l'Ouvrage que nous venons d'indiquer, foit dans notre Dictionnaire Primitif, mais pour en donner un exemple qui dévelope notre idée, prenons au hafard un mot primitif, qui semble n'avoir nul raport à son objet.

C'est le mot primitif GUR ou GYR (†) qui défigne tout cercle, toute

(†) La voyelle u fe confond fans ceffe avec la voyelle i; c'est par cette raison que l'u grec eft toujours diftingué en Latin & en François par ce caractere, & que dans un

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