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Une auffi grande multitude de mots, tous liés par le fon & par le fens, & fubfiftans chez tant de Nations diverfes, font une preuve fans réplique qu'une énergie particuliere les maintenoit contre toutes les révolutions des Tems, & qu'ils avoient une origine commune.

C'est ainsi que tous les mots naiffent des Noms, & que ceux-ci tiennent à la Nature de la maniere la plus forte & la plus fenfible.

Ils ne falloit donc, pour les trouver, aucune recherche profonde, aucune métaphyfique : la néceffité & l'imitation firent tout.

Par-là diminue prodigieufement la maffe des mots dont on a à rendre raifon : & ne craiguons pas d'être embarraffés à trouver la caufe de tous les Primitifs! Celui qui forma l'Inftrument vocal, lui donna l'étendue nécessaire pour qu'il pût le prêter à tous les befoins de la Parole: fans cela, il eût manqué son but: fon analyse nous fournira donc au befoin, la raison de chaque mot.

Gram, Univ.

M

S. 12.

Des Noms DÉRIVÉS, COMPOSES & FIGURÉS.

Dans cette longue Famille de Mots que nous venons de raporter, on en voit de plufieurs espéces.

1. Les uns offrent le Primitif pur & fimple: tels,

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2. D'autres y ajoutent quelques lettres à la tête ou à la fin, pour en faire un Nom, un Verbe, un Adverbe, un Adjectif,. &c. tels,

GYR-US, Cercle.

GYR-0, tourner.

CIR-Cum, au-tour.

Cu-CUR-bita, Citrouille.

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3. Des troifiémes s'affocient à d'autres mots pour présenter un fens plus compofé, tels

Cir-cum-eo, aller au-tour.

4°. D'autres enfin tranfportent le primitif du fens propre à un fens fi guré; tels,

GIRD, en Anglois, raillerie, farcasme.

Ce font ces differences, ces variétés du mot primitif & radical qu'on apelle DÉRIVÉS, COMPOSÉS & FIGURÉS.

Par cet artifice admirable & commode, l'Homme fuplée au petit nom-bre de fons primitifs donnés par l'inftrument vocal, qui n'auroit pu être plus confidérable, à moins que la Divinité n'eût augmenté l'étendue de l'instrument vocal; ce qui l'auroit mis hors de toute proportion avec le corps dont il fait partie. Mais elle y fupléa par cette induftrie que l'homme dévelope à l'égard des Noms primitifs, & qui les rend fuffifans pour exprimer toutes fes idées.

Par le fecours des DÉRIVÉS, le même Nom devient fucceffivement verbe,. adverbe, adjectif, prépofition, &c. en fe prenant dans un fens abftrait.

Par le fecours des Coмrosés, il réunit en un feul mot diverfes idées, celles de plufieurs mots radicaux.

Par le fecours des FIGURES, il double & triple l'étendue des Primitifs; car par le moyen des mots qui peignent des objets corporels, il exprime & peint

très-bien les objets moraux & fpirituels, dont il ne pourroit point parler fans

cet artifice.

Ainfi un même fon fe reproduit en quelque maniere à l'infini, pour fe prêter à tous nos befoins, & pour défigner toutes les idées qui peuvent avoir quelque raport à un même objet phyfique, dont le Nom devient ainfi la clef de tous ces mots, & leur communique l'énergie qu'on y remarque.

On ne fauroit donc diftinguer avec trop de foin les diverfes fignifications d'un même Nom; ni faire trop d'efforts pour ramener à une même famille, à leur fource primitive, tous les dérivés & tous les compofés qui s'en font formés, puifque c'est le moyen le plus propre pour diminuer les peines extrêmes que cause l'étude des Langues, & pour la rendre fatisfaisante en mettant à l'inftant fous les yeux la caufe & la raifon de tous les mots qui compofent une famille, & toutes les fignifications qu'ils préfentent.

Nous avons alors d'autant plus de facilité à nous fouvenir de toutes ces diverfités que nous ne fommes plus réduits comme auparavant, au fimple fecours de la mémoire ; mais que l'intelligence ou l'entendement viennent encore à fon appui, & lui donnent une force étonnante dont elle feroit dénuée fans cela.

Cette diftribution des mots par familles eft d'autant plus néceffaire, que le nombre des radicaux eft très-peu confidérable, tandis qu'il existe une masse prodigieufe de mots dérivés, compofés & figurés, qui forment un cahos effroyable fans commencement & fans fin, lorsqu'on n'y met aucun ordre, & où tout paroît l'effet du hafard.

Les Auteurs des Dictionnaires tâchent de fupléer à ce défordre, en ramenant les dérivés & les compofés à leurs racines: mais à cet égard, ils tomboient dans deux inconvéniens très-fâcheux.

1o. Comme ils ignoroient le raport de la Langue dont ils donnoient le Dictionnaire, avec les autres Langues, ils ne pouvoient ramener aucun mot à fa véritable origine; ce qui perfuadoit qu'ils étoient tous l'effet du hafard.

2°. Quoiqu'ils diftinguaffent avec foin les mots dérivés & compofés, la plupart ne tenoient aucun compte de la diftinction des Noms en propres & figurés, parce que dans un grand nombre d'occafions ils ne pouvoient décider lequel des divers fens d'un mot étoit le propre, & quel étoit le figuré.

Auffi, lorfqu'un de nos Grammairiens les plus diftingués, s'excufe auprès

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du Public de ce qu'il confidere un Ouvrage qu'il donnoit fur les Mots figurés, comme une portion de la Grammaire, & qu'il dit: » Ce Traité me paroît être une Partie effentielle de la Grammaire, puifqu'il eft du reffort » de la Grammaire de faire entendre la véritable fignification des Mots, & en quel fens ils font employés dans le Difcours (1); il prouve combien on étoit à cet égard dans l'enfance; & qu'il n'étoit pas lui-même bien convaincu de l'univerfalité de fon principe.

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Et pourquoi? C'eft qu'il n'avoit nulle idée des Noms radicaux de toutes les Langues; Noms qui peuvent feuls donner le fens propre de tous les Mots: auffi fon excellent Ouvrage fur les Tropes, porte fur une bafe chancelante qui nuit à fon utilité. Ceci n'eft difficile à pas prouver.

» Je voudrois, dit-il (2), que nos Dictionnaires donnaffent d'abord à un mot Latin la fignification propre que ce mot avoit dans l'imagination des » Auteurs Latins: qu'enfuite ils ajoutaffent les divers fens figurés que les » Latins donnoient à ce Mot ».

Mais il ne s'apercevoit pas que tant de fageffe étoit une chofe impoffible dans fon fyftême: car voici comment il définiffoit le fers propre d'un mot; » Le fens propre d'un mot, c'eft la premiere fignification du Mot (3).

N'auroit-il pas dû nous aprendre plutôt quels étoient les caractères auxquels nous reconnoîtrions cette premiere fignification? Sans parler de l'équi voque que renferme cette expreffion, premiere fignification d'un mot; puif qu'on ne fait s'il faut entendre par-là la premiere de toutes les fignifications dont un Nom fut revêtu, ou celle de toutes fes fignifications connues qu'il faut mettre à la tête. Lorfque jettant, par exemple, les yeux fur le mot Latin ANIMUS, nous lui voyons toutes ces fignifications; » 1°. l'ame, l'efprits 2°. le cœur, le courage, la générosité; 3°. la volonté, le défier; » 4o. amour, amitié; 5o. avis, deffein, réfolution; 6°. fierté, hauteur; » 7°. confcience; 8°. fantaifie, humeur, caprice; 9°. haleine, fouffle, refpiration; 10°. la raifon, le naturel, tour d'efprit, &c. »> comment faurons nous quelle fut fa premiere fignification, ou quelle doit être la pre

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miere ?

N'en faifons point un crime à cet Auteur, auquel la Grammaire doit

(1) M: MARSAIS, Traité des Tropes. Art. V. de la Part, I,

(2) Pag. 8.

(3) Pag. 210

tant if vit mès-bien qu'il falloit un ordre dans les Mots; mais on étoit alors dans des ténèbres trop profondes à cet égard, pour qu'il pût apercevoirle vrai fondement de cet ordre.

Substituons à ce qu'il apelle premiere fignification d'un Mot,idée vague & inutile, une autre définition. Difons que le fens propre d'un mot eft toujours une fignification phyfique, & fur-tout la fignification physique présentée par la racine monofyllabique de ce nom, & jamais l'on ne fera dans l'embarras. Ainfi on verra d'un coup-d'œil que l'idée physique du VENT, fut la fignification propre & premiere du mot ANIMUS: que fa feconde fignification fut celle de SOUFFLE ; & que celle d'ESPRIT ou d'AME qui paroiffoit la premiere ou la propre, n'eft qu'une fignification figurée, de l'invention des Latins.

Et dès-lors, on a un point de comparaifon de plus pour remonter à l'origine de ce nom, puifqu'il fe lie auffi-tôt avec le Grec ANEMOS, qui fignifie le Vent.

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D'ailleurs, pourquoi ne défirer, comme il fair, un fi bel ordre que pour le Latin Les autres Langues n'en font-elles pas auffi dignes? ou en feroient elles moins fufceptibles? Quel fervice pour l'humanité fi tous les Dictionnaires préfentoient une marche auffi lumineufe, auffi fatisfaifante, auffi belle !

Notre Savant se trompoit encore, forsqu'il refettoit l'opinion de ceux qui ont avancé que les Mots ou les Tropes avoient été inventés par néceffité, à cause du défaut & de la difette des mots propres : & il faifoit bien voir qu'on n'avoir, dans le tems où il écrivoit, aucune idée exacte de la nature des Langues, lorsqu'il ajoutoit : » je ne crois pas qu'il y ait un affez grand nom→ bre de mots qui fupléent à ceux qui manquent, pour pouvoir dire que tel ait été le premier & le principal ufage des Tropes ».

Il n'exifte aucun Nom qui n'ait été accompagné d'une fignification figurée, relative à quelque objet qui ne pouvoit être exprimé par un fens propre.

Si nous nous fommes étendus fur cet objet, c'eft à caufe de fon impor tance, & parce qu'il faut juftifier fon opinion, lorsqu'on ofe être d'un fen timent différent de celui qu'adopta un grand Homme.

Pour terminer ce long Article, nous n'avons plus qu'à alléguer quelques exemples de ces diverfes espéces de Mots.

Ceux-ci, Vigne, Vignoble, Vigneron, Vendange, font des dérivés du mot VIN.

Maison, Maisonnette, font des dérivés de l'ancien mot MAs, qui fi

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