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On reconnoit à ces procédés l'ordre naturel qui régle toutes chofes : car il eût été inutile de former l'homme avec des idées & avec le désir de les communiquer, fi on ne lui eût donné le moyen propre à les exprimer. Ce moyen devoit en même tems différer de celui par lequel nous exprimons nos fenfations, puifqu'il regne une différence prefqu'infinie entre ces idées & ces fenfations ; les unes devant plus aux fens, les autres à la réflexion; & les unes étant auffi vives, que les autres font froides & tranquilles.

Auffi verrons-nous conftamment que tout ce qui eft relatif aux fenfations, a toujours été exprimé par des voyelles; & que tout ce qui a eu un raport plus étroit avec les idées, a toujours été exprimé par des confonnes, chez quelque Peuple que ce foit. C'est cette conformité de nos principes avec l'ordre naturel, c'eft l'attention que nous avons de raprocher fans ceffe de la nature nos observations & nos recherches fur les Langues, qui rend notre marche auffi fùre que facile, & qui nous fait espérer que nos Lecteurs nous fuivront avec intérêt, même dans les portions de notre travail qui paroiffent à la premiere vue les plus féches & les plus propres à rebuter.

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Outre les fons fimples, tels que a, e, i, &c; & les tons fimples, tels que b, c, d, &c., il n'eft aucune Nation qui n'ait eû recours à des fons & à des tons compofés, tels que les diphtongues par raport aux fons, comme au, oi, ei, &c. tels que fonnes afpirées, comme bh, ch, ph, & les confonnes fifflantes, telles que x, ¿, th, chez plufieurs Peuples, &c.

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On voit à cet égard dans l'Hiftoire naturelle de la parole, que les fons & les tons fimples ne varient jamais, & qu'ils ont une prononciation conftante; tandis que les Elémens compofés varient au gré des Nations, & s'alterent fans ceffe.

On examine enfuite la propriété de chacun de ces Elémens,

on montre quels objets ils font capables de peindre par leur na ture. On voit les fens fe diftribuer entr'eux tous les fons, le fon E peindre l'existence; le fon A, la propriété; le fon ou, l'ouie, &c, tandis que leton B peignir les idées de bonté, de beauté, de bien tout ce qui étoit agréable & doux que le ton R peignit toutes les idées de rudeffe, de roideur, de roulement; le ton F, l'idéz de fuite, de ce qui paffe & n'est plus, de tout ce qu'on doit fuir.

Chaque ton, après avoir défigné une claffe générate d'idées ; devint propre à exprimer toutes les espèces différentes renfermées dans cette claffe, par les divers fons avec lesquels il s'associa; enforte que Ba, que Ba, Be, Bơ, furent, par exemple, autant de mots fubordonnés au tronc général B.

Ce même ton, en fe modifiant par une prononciation plus ou moins forte, devenoit également propre à exprimer des idées fubordonnées aux idées générales qu'il représente.

Ainfi fe forme la diftribution la plus naturelle, la plus fimple, la plus énergique, la plus étendue de tous les mots qui come pofent une Langue; distribution inconnue, ce femble, jufqu'ici, d'où naiffent cependant toutes les richeffes de l'étymologie, du raport & de l'origine des Langues, & au moyen de laquelle on voit fe former fans peine, & d'une manière toujours conforme à la. raison & à l'expérience, cette maffe de mots radicaux, qui eft devenue la bafe de toutes les Langues.

Ces mots préfentoient d'abord les objets phyfiques; mais on avoit également des objets moraux & fpirituels à peindre: il fallut donc encore des mots pour ceux-ci: mais comme l'étendue dé Kinstrument étoit épuisé, on y remédiá en affignant à chaque mot qui peignoit un objet phyfique, un fens figuré analogue aux

qualités de cet objet, & un fens négatif directement opofé au fens phyfique. De cette maniere, l'enfemble des mots radicaux d'une Langue, offre toujours trois féries différentes, une Langue phyfique & pofitive, une Langue figurée, une Langue négative, ce qui répand une uniformité constante entre chaque famille, & jette une vive lumiere fur les caufes des divers fens d'un même mot, qui toujours préfentés fans aucune liaifon entr'eux, n'of froient qu'un calios dont on ne pouvoit rendre raison.

On montre enfuite les moyens par lefquels l'homme parvint à fixer fur des objets durables & à peindre aux yeux les Tableaux de la parole; comment l'Ecriture ainfi formée, fut distinguée en alphabétique & en hieroglyphique, moins par une différence réelle, que relativement à leur étendue: on voit en effet que Palphabet eft lui-même un hiéroglyphe, & qu'il peint l'homme confidéré en lui-même & dans les raports de fes diverfes parties avec les fens & les idées: l'ouie ayant été représentée par l'oreille, la vue par l'œil, l'attouchement par la main, la parolė par les lèvres entr'ouvertes, la protection par les bras, &c. Enforte que les idées fe peignent aux yeux de la même maniere qu'elles. fe peignent à route:

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Par cette invention admirable, lâ parole fé communique aux Peuples les plus éloignés & aux Générations les plus reculées; les influences de la fociété s'étendent auffi loin qu'il eft possible; les leçons des Sages acquierent une durée qui n'aura d'autre fin que celle de l'Univers; l'efprit des hommes fürvit à eux-mêmes, ils continuent d'éclairer & de gouverner les Nations, lors-même qu'ils ne font plus.

Ces effets s'opérerent auffi par des moyens que la Nature fournit elle-même, & qui furent pour les Peuples ce que la mémoire eft pour les individus. Et cette parole écrite fuivit les mêmes réglés

que la parole parlée ; & elle put fe prononcer, lorsqu'on donna à chacun de ses Elémens le nom même de la chofe qu'elle peignoit; tandis que chez ceux qui ne connurent pas cette pratique, la Langue parlée & la Langue écrite, n'eurent pas la même corref pondance; l'une ne fut que pour les oreilles, & l'autre que pour les yeux: notre Langue écrite fert, au contraire, tout à la fois pour les yeux & pour les oreilles; effet du génie de ceux qui furent faifir cette voie que leur offroit la Nature pour le bonheur des fociétés. Dès-lors, en effet, ce qui les intéreffe effentiellement,n'étoit plus confié à une tradition infidelle: les fondemens de leur profpérité fe transmettoient invariablement d'âge en âge, & le paffé étant toujours présent à chaque Génération, on profitoit à chaque inftant de l'expérience de tous les fiécles.

C'est ainfi que dans cet Ouvrage nous profiterons de ceux qui furent composés il y a trois, quatre & cinq mille ans, qui ont furvécu aux Peuples pour lefquels ils furent faits, qui nous font voir l'efprit dont ils étoient animés, & jufques à quel point ils avoient porté leurs connoiffances.

A ces divers Langages fe joint encore celui du gefte: donné également par la Nature, il leur prête une énergie dont ils feroient privés fans ce fecours: il contribue fur-tout à perfectionner le Langage d'analogie, qui ayant un raport moins direct avec la Nature, & ne l'imitant que par réflexion, a besoin d'un fecours très-actif pour ne donner lieu à aucune méprife: tandis que la Langue d'imitation s'explique fi naturellement par le gefte, qu'on peut dire qu'elle eft elle-même une espèce de gefte.

L'on peut auffi former du gefte un Langage afsujetti aux mêmes principes, à la même marche, aux mêmes régles que

fe Langage ordinaire, puifqu'il peut peindre les mêmes objets, les mêmes idées, les mêmes fentimens, les mêmes paffions. Il peut également exifter un langage de phyfionomie, plus actif & auffi intelligible que celui de la parole.

Cette variété de Langages, tous affujettis à des principes fixes & parfaitement analogues, parce qu'ils font tous donnés par la Nature pour peindre le même objet, prouve d'une maniere victorieufe que le Langage n'a pû être l'effet du hazard; que la Nature nous y conduit par les moyens les plus directs & les plus efficaces; que plus on obfervera la marche qu'elle nous trace à cet égard, plus il fera aifé d'en découvrir & d'en expliquer tous les procé dés. Rien encore ne prouve mieux que l'homme fut fait pour la parole, que cette diverfité de moyens que le Nature lui donne pour faire connoître fes idées & pour tirer par-là le plus grandi parti de l'avantage qu'il a de vivre en fociété.

En prenant ainfi la Nature pour guide, & la fubftituant à ce qui nous manque en fait de monumens fur l'Hiftoire naturelle de la parole, on parvient à former un fyftême compler fur l'origine du Langage & de PEcriture, & fur les raports que l'un & l'autre confervent chez tous les Peuples; systême qui s'apuyant fur tous les Monumens échapés aux ravages du tems, & procédant toujours par des principes très-clairs, nous met enfin en état de jetter un nouveau jour fur les grandes questions que préfente cette matiere, & qui ont été dans tous les tems l'objet des recherches des hommes les plus éclairés, & fur lesquelles les Académies même commencent à jetter les yeux. On a vu en effet paroître depuis quelques années & comme par un concours général, nombre de bons Ouvrages fur ces objets, en France, ceux de M. le Préfident de BROSSES, de M. l'Abbé BERGIER, de M l'Abbé de CONDILLAC, les Aunonces de M. le BRIGAND, &c. En Allemagne, ceux

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