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l'une plus développée, qui est le vrai texte de la version, l'autre plus courte, qui est un abrégé de la première. M. Morfill a préparé pour M. Charles une traduction anglaise du meilleur manuscrit de la recension principale, du meilleur manuscrit de la recension secondaire, et d'un texte slave établi par le Prof. Sokolov sur les cinq manuscrits actuellement connus. M. Charles a fixé, d'après ces trois traductions anglaises, le texte du livre qu'il a édité, en marquant les variantes. Il y a joint une introduction substantielle et des notes savantes. On comptera désormais un livre de plus dans le recueil des apocryphes de l'Ancien Testament.

« Le livre des secrets d'Hénoch », publié par MM. Morfill et Charles (The Book of the Secrets of Enoch; Oxford, Clarendon Press, 1896), a dû être composé primitivement en grec. La version slave a été faite sur un texte grec, et une bonne partie, sinon la totalité du livre original, a été écrite en cette langue. Le nom du premier homme y est pourvu d'une étymologie qui n'a pu être conçue qu'en grec. Adam, nous dit l'auteur (c. xxx, 13), a été nommé d'après les quatre points cardinaux: est, ouest, nord et sud, c'est-à-dire que le nom est censé fourni par les premières lettres des mots grecs : ἀνατολή, δύσις, ἄρκτος, μεσημ Bpía. La même étymologie artificielle se rencontre dans les Oracles sibyllins (III, 24-26) et dans le traité De montibus Sina et Sion, conservé parmi les œuvres de saint Cyprien. Le traité latin paraît bien dépendre d'Hénoch, car il ne reproduit pas seulement l'étymologie avec les noms grecs, mais il mentionne aussi les quatre étoiles qu'Hénoch rattache aux quatre points cardinaux, et il déclare avoir trouvé ces données dans les Écritures 1.

1. Invenimus in scripturis per singulos cardines orbis terrae esse a conditore mundi quattuor stellas constitutas in singulis cardinibus ; prima stella orientalis dicitur anatole, etc. (S. Cyprien, éd. HARTEL, III,

Notre livre d'Hénoch est, jusqu'à présent, la seule Écriture où l'on trouve ces singularités. Quant aux Oracles sibyllins, on ne saurait dire s'ils dépendent d'Hénoch, ou si Hénoch dépend d'eux. Hénoch suit la chronologie des Septante, d'après laquelle ce patriarche a cent soixantecinq ans lorsqu'il engendre Methusélah. Il fait un emploi fréquent du livre de l'Ecclésiastique, et, à ce qu'il semble, d'après la version grecque.

Cependant M. Charles croit que certaines parties ont été d'abord écrites en hébreu. L'unique raison alléguée en faveur de cette hypothèse est que le livre est cité dans les Testaments des douze patriarches, et que, cet apocryphe ayant été composé en hébreu, on conçoit difficilement qu'on y ait utilisé un livre grec. Mais l'argument est d'autant moins concluant qu'on peut contester l'opinion de M. Charles touchant la langue originale des Testaments. Pourquoi l'auteur, qui emploie les Évangiles, les Actes, les Épîtres de saint Paul, n'aurait-il pu employer de même le livre d'Hénoch en grec ? Et si l'on veut qu'il y ait eu aussi deux éditions des Testaments, l'une juive et l'autre judéo-chrétienne, qu'est-ce qui prouve que les citations d'Hénoch appartiennent à la première? Le livre d'Hénoch, ainsi qu'on le verra plus loin, ne manque pas d'unité. Il n'est donc pas nécessaire de lui supposer un double fond. Les particularités doctrinales qu'on y remarque portent à croire qu'il a été composé en Egypte; or, en Égypte, on traduisait en grec les ouvrages hébreux afin de pouvoir les lire, mais on n'en composait pas de nouveaux (cf. Eccli., prol.).

La date du livre ne peut être déterminée que par approximation. L'auteur ayant connu non seulement l'Ecclésiastique dans la version grecque, mais encore l'ancien livre d'Hénoch dont on possède la version éthiopienne, n'a pu vivre longtemps avant le commencement de l'ère chrétienne. Comme, d'autre part, il suppose le temple existant,

et que son livre se trouve apparenté d'un côté avec les ouvrages de Philon, de l'autre avec les écrits du Nouveau Testament, on peut croire qu'il a été contemporain de Philon et qu'il a rédigé les Secrets d'Hénoch dans la première moitié du premier siècle. C'était un Juif helléniste. Son ouvrage ne contient pas la moindre trace de christianisme. Un des manuscrits de la recension complète présente, rattaché au livre d'Hénoch, un récit concernant la naissance de Melkisédek. C'est un morceau beaucoup plus récent, échantillon tout nouveau des spéculations bizarres auxquelles le personnage de Melkisédek a donné lieu, principalement chez certaines sectes hérétiques.

Les Secrets d'Hénoch paraissent avoir été assez lus dans l'antiquité chrétienne, mais ils ont dù être souvent confondus dans les citations et dans l'esprit des écrivains ecclésiastiques avec l'autre livre d'Hénoch. Les deux ouvrages ont été ensemble victimes de la défaveur qui atteignit de plus en plus ce genre d'apocryphes à partir du iv siècle. Mais ils ne disparurent pas subitement, et certaines chrétientés, aux extrémités du monde civilisé, continuèrent à s'y intéresser. Ainsi l'ancien livre d'Hénoch se maintint dans l'Eglise d'Éthiopie; et, de même, les Secrets d'Hénoch, introduits avec le christianisme et la Bible dans les pays slaves, y ont trouvé longtemps des lecteurs. Les manuscrits qui les renferment ont été copiés en Bulgarie et en Russie durant le xvi et le xvII° siècle. On pourrait craindre qu'un ouvrage transmis dans ces conditions ne fût l'œuvre d'un faussaire habile écrivant à une époque moderne; mais ces appréhensions disparaissent lorsqu'on examine le contenu.

Hénoch était dans sa trois cent soixante-cinquième année, et il dormait paisiblement, le premier jour

Revue d'Histoire et de Littérature religieuses. — No 1.

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mier mois, lorsque lui apparurent deux hommes très grands, dont le visage brillait comme le soleil et les yeux étaient pareils à des lampes ardentes. Du feu sortait de leurs lèvres. Leur vêtement avait l'apparence de plumes; leurs pieds étaient pourpres; leurs ailes étaient plus brillantes que l'or; leurs mains plus blanches que la neige. A leur appel, Hénoch s'éveille. Ces hommes le préviennent qu'ils vont l'emmener au ciel. Hénoch réunit ses enfants, leur donne de bons conseils, puis il est emporté sur un nuage avec les anges (1-11, 1).

Il arrive au premier ciel (111, 2-vi) et y voit une grande mer, plus grande que la mer terrestre. Il voit aussi les deux cents anges qui gouvernent les étoiles. Là sont les magasins de la neige et de la glace, les réservoirs des nuages, ceux de la rosée. Beaucoup d'anges sont préposés à leur garde. Cette conception du premier ciel se déduit de passages bibliques dont l'auteur tire un système régulier (Gen. 1, 7; Job XXXVIII, 7, 22, 28-29; cf. Ap. Iv, 6, xv, 2). Les mêmes données sont beaucoup plus longuement développées dans l'Hénoch éthiopien (LX, 17-18 ; LXXXII, 9-18, 20).

Au second ciel (VII) sont des ténèbres plus sombres celles de la terre, et, dans ces ténèbres, des prisonque niers gardés pour l'éternel jugement (cf. Il Pier., 11, 4; Jud., 6). Ce sont les anges qui n'ont pas obéi aux prévolonté, propre ceptes de Dieu, ont pris conseil de leur et qui, ayant péché avec leur prince, ont été relégués au second ciel. On verra plus loin que leur place était au cinquième ciel et qu'il ne faut pas les confondre avec les esprits de même ordre qui sont descendus sur la terre pour épouser les filles des hommes. Ces anges sont plongés dans la douleur et ils ne cessent pas de pleurer. Ils demandent à Hénoch d'intercéder pour eux auprès de Dieu; mais Hénoch s'en défend. Il dira bientôt à leurs frères du cinquième ciel qu'il a prié inutilement pour ceux qui sont

venus sur la terre afin de s'unir à des femmes et qui sont retenus sous terre jusqu'à la fin du monde. Les passages de l'Épître de saint Jude et de la seconde Epître de saint Pierre (cf. Col. 1, 20) peuvent aussi bien se rapporter d'une manière générale aux anges désobéissants dont il est parlé ici, que spécialement à ceux qui sont venus sur la terre et dont l'ancien livre d'Hénoch racontait tout au long la faute et le châtiment.

Cependant les anges emmènent Hénoch au troisième ciel (VIII-X) et le placent au milieu du jardin, un endroit plus beau que tout ce que l'on peut connaître. Il y a là des arbres de toute espèce, qui portent des fruits odoriférants l'arbre de vie se trouve au milieu, à la place où Dieu se repose quand il vient au paradis. Saint Paul avait sans doute en imagination un plan des cieux pareil à celui d'Hénoch, lorsqu'il écrivait aux Corinthiens (II Cor., x11, 2-4): « Je connais un chrétien qui, il y a quatorze ans, était-ce avec son corps ou sans son corps, je ne sais, Dieu le sait, fut ravi jusqu'au troisième ciel ; et je sais que cet homme, soit avec son corps, soit sans son corps, je ne sais, Dieu le sait, fut ravi au paradis et ouït des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à l'homme de répéter. » Ce passage de l'Apôtre, qui a exercé de tout temps la sagacité des interprètes, reçoit des Secrets d'Hénoch une lumière inattendue. Il est évident que vision de saint Paul s'est modelée, pour ainsi dire, dans le cadre imaginaire que fournit la conception du troisième ciel, comme nous la trouvons dans Hénoch. On lit aussi, dans l'Apocalypse (11, 7) : « A celui qui vaincra, je ferai manger de l'arbre de vie qui est dans le paradis de Dieu. » Le paradis dont il s'agit est un paradis céleste, comme celui que le Christ promet au bon larron (Luc, xxIII, 42).

la

Du pied de l'arbre de vie partent quatre fleuves (cf. Ap. XXII, 1-2) où coulent le miel, le lait, l'huile et le vin; ils s'en vont dans quatre directions différentes et descendent

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