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fils que l'empereur commit une de ces fautes comme depuis il en fit encore ; non que je pense qu'il dût être cruel; mais je crois que M. de Talleyrand en 1814, et Fouché en 1810, tous deux éloignés des affaires avec tout l'entourage de la pitié d'une disgrâce et la possibilité de nuire, je crois qu'il y eut dans cette conduite une immense faute de commise, et l'expérience l'a prouvé.

Lorsqu'en juin 1810 Fouché fut disgracié, et que le ministère de la police fut confié au duc de Rovigo, l'empereur ne céda à cette époque qu'à une intrigue ourdie dans l'intimité de son cabinet intérieur, et il y céda sans le savoir, Cambacérès avait juré la perte de Fouché, il le dénonça à l'empereur, ce qui le perdit. Je crois bien que dès lors Fouché conspirait contre l'empereur, puisque j'en ai eu la preuve pour l'époque de Marengo; mais je ne pense pas que Napoléon ait su la chose comme elle était réellement. Il se borna donc à renvoyer Fouché du ministère, et il le nomma même gouverneur de Rome. Cependant, soit que l'archi-chancelier voulût accomplir l'oeuvre de la destruction de Fouché, il revint encore à la charge; et un jour, après le conseil-d'état, l'empereur étant rentré dans son cabinet avec l'archi-chancelier, comme

cela lui arrivait assez souvent, on entendit bientôt sa voix éclatante remplir la pièce et faire trembler la voûte.

Le comte Dubois, conseiller-d'état, et alors préfet de police, sortait en ce moment du château' pour monter dans sa voiture. Il s'entend appeler, tourne la tête, et voit l'empereur sur le balcon de son cabinet, qui l'appelait de la voix et du geste.

-Dubois! Dubois! montez... venez tout de suite; dépêchez-vous...

Le préfet fut presque alarmé de la précipitation de la voix, et de l'extrême agitation qui paraissait dans toute la personne de l'empereur, qu'il venait de quitter assez calme quelques minutes avant. Il s'empressa de remonter, et se présenta à la porte du cabinet de l'empereur. Le chambellan de service s'opposa à ce qu'il entrât: c'était M. de Rémusat.

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L'empereur est avec l'archi-chancelier, et mes ordres portent de ne laisser entrer personne, dit-il au comte Dubois.

- Mais cet ordre ne peut me concerner, dit celui-ci, puisque je viens d'être appelé dans

* On était à Saint Cloud alors. C'est à l'époque de la première disgrâce du duc d'Otrante.

l'instant par elle-même dans le cabinet de Sa

Majesté.

Eh! monsieur, c'est impossible!

- Parbleu! monsieur, j'en ai donc MENTI ? - Non, mais vous l'avez rêvé... Qui diable voulez-vous qui ait été vous appeler, puisque je suis de service?

Quelqu'un, monsieur, qui se sert mieux lui-même qu'il n'est servi. C'est l'empereur !... Et il marmottait entre ses dents quelques mots assez peu polis, lorsque la porte du cabinet s'ouvrit violemment, et l'empereur parut le visage enflammé de colère...

-

Savez-vous bien, monsieur, que j'entends' qu'on obéisse à mes ordres à l'heure même où je les donne? Ne vous ai-je pas dit moi-même de monter à l'instant?

Ma foi, sire, il n'y a pas de ma faute; quand vous voudrez être obéi, mettez à votre porte des gens qui n'empêchent pas de passer. - Qu'est-ce à dire?

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C'est M. de Rémusat qui ne voulait pas que j'entrasse auprès de Votre Majesté.

-Hum! dit l'empereur en poussant le comte Dubois dans son cabinet, ils sont tous les mêmes! tous des imbéciles!

Et il referma lui-même la porte avec colère.

Il n'y avait dans le cabinet de l'empereur que l'archi-chancelier: il paraissait, comme toujours, fort calme; mais l'empereur était dans une agitation nerveuse qui le rendait incapable de rien faire. On voyait sur son bureau une grande feuille de papier sur laquelle étaient déjà quelques lignes de son écriture, mais plus illisibles que jamais il n'en fit. Pendant quelques minutes il se promena pour essayer de se calmer.

Enfin s'arrêtant tout-à-coup devant le comte Dubois :

-Dubois, lui dit-il, ce Fouché est un misérable!... Puis il reprit sa promenade en répétant deux fois encore :

- C'est un misérable! un grand misérable!... mais qu'il ne compte pas faire de moi ce qu'il a fait de son Dieu, de sa Convention et de son Directoire... qu'il a bassement trahis et vendus... J'ai la vue plus longue que Barras, et avec moi ce ne sera pas si facile. Qu'il se tienne donc pour averti... Mais il a des notes, des instructions de moi, et j'entends qu'il me les rende.

Tout cela se disait avec une grande rapidité et tout en marchant.

Je sais

que vous êtes ennemis, Fouché et vous, ajouta Napoléon en s'adressant spécialement au comte Dubois; mais c'est égal, je vous

ai choisi pour aller auprès de cet homme rem◄ plir une importante mission... importante surtout pour lui, car il y va de sa tête.

Sire, s'écria le comte Dubois, que Votre Majesté daigne me dispenser de l'honneur qu'elle veut me faire! Elle-même vient de le dire : le duc d'Otrante est mon ennemi; il croira que je vais chez lui pour le braver, et j'avoue que cette pensée m'est pénible...

Silence! dit l'empereur: vous allez auprès de lui pour remplir une mission grave, que vous seul pouvez mener à bien... Ecoutez-moi : Fouché, pendant son ministère, a reçu de moi beaucoup d'ordres, de notes, de lettres confidentielles de ma propre main!... Eh bien ! monsieur, quand je lui redemande ces papiers, qu'il devait me rapporter s'il eût été un honnête homme... savez-vous ce qu'il me fait répondre? qu'il a tout brûlé !... lui! Fouché!... brûler des papiers importans!... non, non, il n'est plus assez jeune pour faire une telle école '... IL A MES PAPIERS... j'entends qu'il me les rende. Vous allez partir pour son château de Ferrières où il est

Ces propres paroles ont été dites à M. le comte Dubois, alors préfet de police, lorsque l'empereur l'envoya à Ferrières.

Le château de Férrière est près de Pont-Carré.

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