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maintenant. Vous lui demanderez, en MON NOM, tous les papiers qu'il tient de moi... S'il refuse! s'il refuse, qu'on le mette dans les mains de dix gendarmes; qu'il soit conduit à l'ABBAYE, et de par Dieu! je lui ferai voir qu'un procès peut se faire promptement... Eh bien ! qu'attendez-vous? partez donc !...

Mais, sire, quels sont les papiers qu'il faut que je demande?... Votre Majesté doit en avoir une liste... S'il m'en donne six, et qu'il en ait

trente...

Vous avez raison;.: Ecrivez...

Et poussant le comte Dubois sur la chaise qu'il avait occupée, il le mit devant la feuille de papier qu'il avait commencé à couvrir, et continuant sa promenade ou plutôt sa course, il se mit à dicter, mais avec une telle vitesse, qu'il vit lui-même que le comte Dubois ne pouvait le suivre.

-Il m'est impossible de dicter comme il m'est impossible d'écrire, dit-il enfin en se jetant dans un fauteuil... Prenez cette liste, tout informe qu'elle est, elle vous servira. D'ailleurs, mettez les scellés sur les papiers qui resteront, je vérifierai, et nous verrons... Partez! et partez à l'in

stant.

Le comte Dubois envoya sur-le-champ cher

cher des chevaux de poste, et se mit en route pour Ferrières, où il arriva avant la nuit. Il trouva le vestibule, toutes les avenues de la maison remplis de ballots, de caisses, de malles sur lesquelles était écrit:

A monsieur le gouverneur de Rome!... Et le gouverneur au moment lui-même de partir.

En voyant son ennemi ou plutôt son rival devant lui, Fouché devint tremblant; car, pâlir', n'était pas pour lui chose facile, ou plutôt possible. M. Dubois lui exposa le motif de sa visite, en enveloppant sa mission de tout ce qui pouvait en faire disparaître les aspérités... mais le coup n'en fut pas moins rude.

Que je LUI rende ses notes, monsieur! s'écria-t-il en se levant, et parcourant la chambre comme un insensé... que je rende ses notes !... et où voulez-vous que je les prenne?... elles sont brûlées, vous dis-je !... Je l'ai déjà juré... je le jurerai encore tant qu'on le voudra.

Ce n'était pas le serment qui l'embarrassait. Cependant le comte Dubois avait des ordres précis... formels : avec Napoléon il n'y avait aucune plaisanterie à faire pour éluder l'exécution de sa volonté. Il FALLAIT obéir. Il fut donc

(1) On sait que Fouché élait excessivement pâle et même blême.

obligé d'en arriver à prononcer le mot de l'AB

BAYE!...

A peine le duc l'eut-il entendu, qu'une teinte livide se répandit sur tout son visage déjà si blême, et le comte Dubois crut qu'il allait s'évanouir... Ses jambes ployèrent sous lui, et il retomba anéanti sur son fauteuil.

la

-A l'Abbaye!... moi, à l'Abbaye!... mais que veut-il faire de moi?... Me faire mon procès, dites-vous ?... Et il se relevait et courait par chambre comme un insensé. Le préfet tenta de le calmer, et de nouveau lui parla de la remise des papiers.

Mais quand je vous répète qu'ils sont tous anéantis! brûlés... Croyez-vous donc, monsieur, que j'aurais été garder des papiers qui pouvaient, non seulement un jour me perdre!... m'exterminer... mais faire pendre mes enfans et mes petits-enfans JUSQU'A LA QUATRIÈME GÉNÉRATION!

Et il continuait sa course à travers la chanıbre, se heurtant contre les meubles, joignant les mains, et dans une véritable agonie. Enfin il ne s'est jamais vu d'homme ayant aussi peur...

Le préfet en eut pitié. C'était bien à lui; car jamais Fouché ne lui avait montré que de la malveillance. Il s'approcha de lui, et lui dit qu'il

voulait faire pour lui ce qu'il pensait que luimême ferait dans une semblable circonstance.

Ecoutez! dit-il au duc : je vais mettre les scellés sur quelques papiers que vous avez sans doute ici. Je dirai à l'empereur que vous n'avez voulu rien me montrer, et que Réal n'a qu'à venir lever les scellés. Je crois que Réal est votre ami... Avec l'empereur, il n'y a jamais qu'un premier mouvement à redouter... Une fois le sommeil sur sa colère, souvent il n'y en a plus de traces au matin. Calmez-vous donc, et tout ira bien.

Ils rassemblèrent en effet une foule de vieux papiers, tous insignifians, car il paraissait certain qu'il n'y en avait pas d'autres1, et le comte Dubois mit son cachet sur toute cette belle collection, puis disant adieu au ministre disgracié, 'il s'en revint à Paris rendre compte de sa mission. L'empereur éclata d'abord en injures, et persistait toujours à faire traduire le duc devant un tribunal; mais le préfet lui parla de sa visite à Ferrières comme homme d'État, et comme homme d'esprit. Tous deux avaient examiné Fou

Il me disait encore dernièrement qu'il était convaincu que les papiers étaient brûlés. Cependant, après sa mort du duc d'Otrante, on remit une cassette fermée de la part à Louis XVIII... Mais, au reste, après le jeu double que Fouché jouait, la cassette pouvait ne contenir que des papiers relatifs aux derniers temps de son ministère.

ché pendant cette sorte d'enquête qu'il lui avait fait subir, et le résultat était pour la conviction de M. le comte Dubois, que les papiers étaient bien effectivement brûlés.

-Il avait trop peur pour qu'ils ne le soient pas, disait-il. Que Votre Majesté envoie à Ferrières un autre conseiller d'État, car je ne puis faire une telle course tous les jours. Les affaires de mon département en souffriraient; que Votre Majesté envoie là Réal, ou tel autre qui lui plaira... Tout le monde d'ailleurs en fera autant que moi.

L'empereur consentit à ce que le comte Dubois ne retournât pas à Ferrières. Ce fut Réal qui leva les scellés, et fit le procès-verbal. Le résultat de tout ce fracas fut l'entrée du duc de Rovigo au ministère.

La même cabale qui avait culbuté Fouché fit à son tour sauter Dubois, mais six mois plus tard; quant au duc d'Otrante, sa nomination de gouverneur de Rome n'eut pas une grande suite, et il subit une sorte d'exil moral dans sa sénatorerie jusqu'au moment où, pour le malheur de l'empereur, il rentra aux affaires; non pas que son savoir ne fût supérieur à celui de tous les autres, mais parce que Fouché, s'il avait en effet mérité d'être éloigné du ministère, le méritait encore

XIV.

II

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