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malveillant. Dans une lettre de Junot, que je reçus par un officier qui passa au mois de janvier, il me disait1:

Il paraît positif qu'on est décidé à rejeter sur Ney et sur moi ce qui a été fait de mal dans cette campagne; mais je suis enfin décidé à ne pas me laisser attaquer ainsi plus long-temps sans me défendre. Il faudra que l'empereur m'entende; il faudra qu'il sache enfin la vérité.

On voit par cette phrase, que non seulement le maréchal Ney sentait la conduite de Masséna envers lui, mais que ses camarades la jugeaient ainsi. Cependant il rejeta loin de lui, au moment du péril, toute pensée de vengeance.

Cette lettre a huit pages; elle me fut écrite de Pernès, le 6 janvier, et ne me parvint que long-temps après. Elle était fort importante, en ce qu'elle parlait des affaires privées de Junot et en même temps des affaires de l'armée-Je la donnai en 1819 à Sa Majesté Louis XVIII... et depuis elle est devenue un autographe assez curieux, parce que le roi souligna à l'encre rouge tout ce qui lui parut mériter quelque attention relativement à Masséna et à mes propres affaires. Cette lettre fut ensuite envoyée à M. de Villèle, lorsqu'il était président du conseil, quelques années après... Jamais depuis je n'ai pu la ravoir... Maintenant je l'ai demandée à M. Humann... Il m'a répondu qu'on ne pouvait la trouver. Comment une lettre de huit pages peut-elle s'égarer ?...Si elle me revient avant que le volume soit composé, je la mettrai out entière; autrement elle sera placée dans le XVe volume. ~

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Tout entier au salut de l'armée, sa conduite fut admirable. Faisant continuellement l'arrièregarde, il soutint constamment le feu de l'ennemi; ses attaques et sa bravoure, et sa fermeté imposèrent aux Anglais, et sauvèrent l'armée de Portugal d'une ruine entière. Ce qu'on lui a reproché à l'affaire de Pombal était ordonné par les circonstances'. Ce fut le 10 mars que Pombal fut brûlé, et le 12, Ney était obligé de livrer son brillant combat de Redinha; le 14, à Miranda da Corbo; le 15, il protégeait le passage de la Segra, et il avait encore un combat à Foz d'Arience; le 16, il protégeait encore le passage des troupes à l'Alva; tandis qu'au milieu des grands périls dont l'armée était entourée, Masséna, si différent de ce qu'il fut jadis, voyant cependant tous les malheurs qui pouvaient l'accabler au milieu d'une marche de nuit faite dans le bas pays, tandis que l'ennemi occupant les hauteurs, pouvait aisément suivre jusqu'à nos moindres pas; eh bien! Masséna, insoucieux de TOUT dans un pareil moment', insoucieux de notre salut et du sien, était auprès d'une femme!... lorsque l'ennemi surprenant tout-à-coup le quartier

'C'était à Chao de Lamas, et les Anglais occupaient les hauteurs de Fuente-Cuberta... Le maréchal Ney eut une belle conduite là.

général, fut au moment de prendre le général en chef. Masséna, obligé de se jeter à peine vêtu sur un cheval, fut contraint à fuir !... fuir!..... lui!... pendant une nuit sombre, obligé de presser le galop de son cheval pour que les Anglais ne se rient pas de lui devant ses cheveux blancs!

Le maréchal Ney était à peu de distance. Accablé de fatigue, ainsi que ses troupes, il prenait un repos bien nécessaire pour recommencer le lendemain au point du jour sa mission libératrice... On court à lui..... on l'éveille... on lui annonce que le prince d'Essling est peut-être pris. L. Pris!... s'écria-t-il en s'éveillant tout-à-fait à cette nouvelle; pris! Pardieu!... tant mieux... il faut s'en réjouir, et s'en réjouir doublement, car l'armée est sauvée... hum!... aussi pourquoi dormait-il? Ne faut-il pas que chacun veille?

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Et pourtant il montait à cheval! et repoussait les Anglais, étonnés dé le retrouver toujours le même, toujours prêt à combattre, même au milieu du sommeil, cet homme qu'ils avaient tout le jour en face, et qui leur apparaissait ainsi comme un être des temps fabuleux.

Mais Masséna, déjà ulcéré contre Ney par cette lutte continuelle établie entre eux depuis le commencement de la campagne, fut au comble de l'irritation pour cette affaire de Chao de

que

Lamas... parce qu'il était de ces hommes qui se fâchent quand ils ont tort; et pourtant Masséna, tout vétéran qu'il était comparativement à Ney, devait aussi apprendre, quoiqu'il fût vieux, que des hommes tels que ceux que l'empereur lui avait donnés pour composer le grand état-major de son armée, étaient d'une nature assez supérieure pour n'être pas traités en enfans, et de manière à sentir journellement une flèche aiguë blesser leur amour-propre; je ne puis même décider, après avoir entendu Junot proclamer hautement l'armée n'avait été sauvée que par le maréchal Ney, en faveur du prince d'Essling. Qu'a-t-il fait pour cette armée? le siége de CiudadRodrigo a été conduit par Ney et Junot '; celui d'Ameyda?... une bombe a fait rendre la place; la bataille de Busaco ? mais le 6° et le 2o corps ne lui ont même pas l'obligation d'avoir donné une sépulture chrétienne aux milliers de cadavres que sa faute a fait massacrer à la Sierra d'Alcoba!... et leurs crânes blanchis qui roulent aujourd'hui dans la montagne en servant de jouet aux linx et aux ours, prouvent que sa gloire ne doit pas s'enorgueillir de cette fatale journée. Est-ce dans

Junot protégeait les opérations de siège en passant l'Agueda et occupant les Anglais, comme on l'a vu dans les lettres de Junot...

sa conduite à la Fabius? Mais lord Wellington a été bien autrement habile, et de ce côté toute la gloire est pour lui'. Est-ce dans la retraite que fit l'armée française?... Mais, sans Ney et sans Junot, cette armée étaitperdue!... perdue à jamais...

Non! non... il faut que son ombre fasse silence si elle ne veut pas que celles des deux autres se lèvent pour l'accuser.

Enfin, l'armée arriva à Celerico; et là on put enfin respirer. Alors, le maréchal Ney regarda autour de lui: il vit que ses frères d'armes n'avaient plus besoin de ses secours.

Je te laisse avec eux, dit-il à Junot, et il partit pour la France.

Je le vis à son passage. Il était bien ulcéré contre Masséna!... et il avait raison. Cependant lorsque l'on était seul, on réfléchissait, et l'on voyait que la passion montrait peut-être à Ney ces mêmes objets dans un de ces miroirs qui dou blent et grandissent les choses.

Oh! que je fus heureuse de revoir Junot, et de lui mettre son fils entre les bras! Il était si

'Pour en donner une idée, voici un fait sur mille : quelques jours après que le maréchal Ney eut quitté l'armée, le 6 corps ayant, comme de coutume, envoyé à la maraude (c'était à Urgeira, près de Guarda, qui venait d'être surprise par les Anglais), les Anglais survinrent, l'armée redoubla de vitesse, et laissa les maraudeurs: ils étaient 1,200!...

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