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tour de ce charmant visage! Elle était soeur de M. de Rambuteau. M. de Narbonne m'apprit d'abord à la connaître, et puis ensuite je l'appréciai par moi-même et pour elle-même. Hélas! celle-là aussi a fait dire :

Et rose elle vécut ce que vivent les roses!...

Elle est morte bien jeune !... aimée, regrettée, et devant aussi bien regretter la vie!...

C'est ainsi que va le monde !... Les heureux n'y sont retenus que par un lien de fleurs ; les malheureux par une chaîne de fer... et jamais elle ne rompt sous la main de la destinée... Ceux qu'elle retient, ils ne peuvent pas mourir ceux-là!...

Ce fut au milieu de ce groupe de jeunes et jolies personnes, qu'une femme également charmante fit son entrée dans ce monde dont le tribunal donne lui seul le droit d'être appelée belle. Cette jeune femme était la comtesse Legrand, femme du général Legrand. Cette union avait un aspect bizarre. La jeune épouse, vraiment charmante, était fille de Schérer, autrefois ministre de la guerre et général en chef de l'armée d'Italie pendant l'absence de l'empereur lors de la campagne d'Égypte. Cet homme, que beaucoup de voix ont attaqué, a été

plus malheureux que coupable, peut-être il fut contraint de suivre un torrent qui alors entraînait tout. Mais un fait positif, dont j'ai acquis la preuve depuis peu de temps, c'est que le général Schérer était un officier de la plus haute distinction comme savoir. C'était assez rare à l'époque où il commandait en Italie et où il eut le portefeuille de la guerre, et assez rare pour le dire, puisque cela est. Mais l'opinion était tellement contre lui à cette même époque, qu'un officier de l'armée d'Italie me disait encore l'autre jour, que l'armée, au désespoir de sa position et l'attribuant à Schérer, ce qui était faux, s'était soulevée tellement fortement, que les canonniers avaient été jusqu'à pointer leurs pièces sur sa tente. Le fait réel est qu'il a été fort calomnié, et qu'il est mort laissant une veuve et des enfans sans fortune. Madame Legrand, jolie et ravissante enfant, avait dû épouser, l'année précédente, un homme d'une grande distinction et vraiment supérieur: c'était le général Boyer, chef d'état-major de mon mari.

Madame Legrand avait d'abord dû faire l'Amour dans le quadrille des Saisons; je crois qu'ensuite elle ne le fit pas. Comme il faut toujours qu'on plaisante sur tout dans notre chère France, on fit courir une lettre dans le temps,

où le général Legrand faisait ses adieux à sa femme, et lui disait :

Songez surtout, madame la comtesse, que je vous défends de faire l'Amour dans les ballets.

Parmi les Heures, c'étaient toujours les belles personnes connues: c'était madame Regnauld de Saint-Jean-d'Angely, madame de Rovigo, madame Duchâtel, madame Gazani, madame de Bassano, et une foule d'autres.

C'est donc au bruit des airs de danse, des concerts et des éclats joyeux que la France vit se lever lentement, mais menaçant, mais terrible, ce gigantesque empire, ce colosse aux cent bras qui nous devait insulter en nous donnant la mort!... Pour la première fois Napoléon avait été confiant, et pour lui le réveil eut toute l'amertume d'une amère déception.

Il aurait dû voir cependant que la conduite de la Russie dans la campagne de 1809 était un terrible indice de la volonté de ne le pas soutenir, ou du moins de ne le faire qu'en parole. Napoléon ne vit pas à Tilsitt, malgré toute son habileté, que le cabinet de Pétersbourg avait plié, mais qu'il n'avait pas dévié de sa route; il était seule ment stationnaire; le Nord ( et par ce mot j'entends la Russie) n'ignore pas, depuis Catherine II surtout, que le levier qui doit ébranler l'Europe,

la renverser peut-être, est chez elle et en elle. Napoléon n'est pas remonté assez avant dans l'histoire de ce pays... S'il l'avait fait, il aurait aisément traduit l'inaction offensante, et par là presque hostile, des troupes d'Alexandre pendant la campagne de 1809. Et cependant ce fait avait lieu après les tendressesd'Erfurt!... mais ces tendresses elles-mêmes, quoique vraies (car je n'en doute pas), comment ont-elles pu endormir la confiance d'un homme comme Napoléon!... Il savait que l'autocrate du Nord était entouré d'une troupe toujours prête à se faire justice avec le lacet ou le poignard... et le système continental, admirable sans doute comme moyen destructif dans la main d'un ennemi comme Napoléon, ne pouvait être compris par des gens qui n'ont de fortune que par le commerce d'échange, et qui ne vivent que plongés dans toutes les jouissances procurées uniquement par la fortune provenant de ce même commerce. Si l'empereur était remonté dans l'intérieur du cabinet, et non pas du boudoir des deux Catherines, et d'Elisabeth, il aurait vu que ce qu'il exigeait en riant du jeune empereur c'était SA VIE!... et cette promesse-là, quand on la fait en riant on ne la tient pas...

Une des colonnes de son empire que Napoléon regardait comme admirable non seulement

par la force mais par la nature, c'était la Confédération du Rhin... Cette œuvre qu'enfanta d'abord le génie de Henri IV, et qui fut exécutée par Bonaparte, eût été admirable si son emploi eût été autrement dirigé... Les Allemands aussi ont été méconnus par Napoléon; les souverains confédérés ont été seuls caressés par sa main, tandis que leurs peuples étaient la vraie force. qu'il fallait se concilier. Les princes ont eu des terres, des souverainetés, des extensions de terri toire, même des couronnes... mais ils n'avaient pas le pouvoir, mais les peuples grandissaient, s'éclairaient; leur élan, pour n'être pas rapide, n'en était pas moins sûr, et c'était dans l'ombre qu'ils attendaient le jour de la vengeance. Plus franc d'ailleurs que l'habitant du Midi, l'Allemand ne mettra pas de poison dans, les citernes, ne brûlera pas son blé, n'assassinera pas surtout son ennemi pendant qu'il dort; mais il ceindra l'épée, au jour de la vengeance il frappera de son glaive, et ne le remettra dans le fourreau que lorsqu'il sera vengé... Le lien qui les unit porte un beau nom : c'est celui de la vertu (Tugend bund'). L'empereur Napoléon fit donc la faute de compter les peuples allemands pour rien comme

'Le lien de la vertu.

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