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hommes, et de ne les admettre dans la politique que comme une valeur numérique, qui produisait tant d'hommes de plus ou de moins dans un traité... ! maintenant nous sommes à une époque où tout devient malheurs, même nos gloires.

La Russie et la Porte avaient fait un traité; on a prétendu que Napoléon l'ignorait... on a dit bien des choses à cette époque mémorable... on a gardé le silence sur bien d'autres !... Depuis, tout a été trouble et confusion; mais du milieu de ce trouble on peut tirer quelques vérités. Je vais tâcher de le faire.

Dès l'année 1810 et 1811 la récolte n'avait pas été bonne. L'empereur était vraiment paternel pour tous les besoins du peuple; et à cet égard il avait soin qu'il ne lui manquât rien, comme un père de famille, je le répète, soignerait ses enfans. Les ordres les plus sévères furent donc donnés pour que non seulement les greniers fussent remplis, mais que des approvisionnemens fussent faits, afin que Paris ne manquât pas. Les provinces sont presque toujours sûres d'avoir du blé, par leur position d'abord, et puis parce qu'elles sont plus prévoyantes. Jusqu'à présent, Paris et les grandes villes ont seules souffert de la famine.

C'était alors M. le conseiller d'État Maret, frère du duc de Bassano et honnête homme comme lui,

qui était chargé de l'approvisionnement de Paris, en même temps qu'il était directeur-général des vivres de la marine. Avant lui, M. Paulet, gendre de Wanderberg, avait été à la tête de l'approvisionnement de Paris, moyennant la somme de cinq cent mille francs par mois, lesquels lui étaient payés par un bon du préfet de police sur les hôpitaux et les hospices... La chose alla quelque temps assez bien. Puis arriva 1812, et l'on vit qu'il n'y avait pas ce qui serait nécessaire; déjà le pain haussait de prix, et le peuple souffrait.

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M. de Montalivet avait envoyé chercher un jour le comte Dubois, préfet de police, et lui avait dit : - A dater de tel jour, vous ne donnerez plus les bons sur les hospices à M. Paulet... c'est M. Maret, conseiller d'état, qui est chargé de cette besogne.

Il existait, ainsi que je viens de le dire, une direction des vivres de la guerre et de la marine à la tête de laquelle était M. Maret, frère du duc de Bassano, homme peut-être moins spirituel que son frère, mais, je le répète, intègre comme lui et comme lui ne connaissant que son devoir. Comme l'empereur avait un coup d'œil d'aigle pour démêler dans chacun le mérite qui lui était propre, il sut, à ne pas en douter, que M. Maret était celui qu'il lui fallait dans la place où il

était, et il joignit à sa direction des vivres la réserve de Paris, à la tête de laquelle était avant M. Paulet et quelques autres. Cette explication est nécessaire pour arriver à ce que je vais dire.

On était alors au mois d'août 1811. Les plus graves affaires se traitaient. M. le duc de Bassano était ministre des affaires étrangères; et si la confiance d'amitié que l'empereur lui portait, ainsi que celle qu'il avait dans les lumières du duc, eût égalé celle que Napoléon avait dans ses propres prévisions, nos affaires seraient aujourd'hui dans une autre position, et l'empereur serait peut-être encore aux Tuileries.

Le duc de Bassano est un des hommes les plus remarquables de notre époque, et le plus en état de tenir le gouvernail d'un vaisseau en dérive. Il me prend une noble et généreuse indignation lorsque je vois que les affaires ont été confiées à des mains inhabiles, à des cœurs anti-français, à des hommes ineptes dans la science si difficile de parler à des intérêts différens, de mettre d'accord ceux de la patrie, de la gloire, et pourtant ne pas blesser ceux qui sont en regard dans la question. Tout cela se peut faire sans fausseté. Le duc de Bassano, dont l'esprit, le talent naturel, joint à une grande

finesse de tact, une grande habitude des affaires, avait bien paru à l'empereur le seul homme capable de porter le fardeau de ses confidences politiques, est devenu depuis un homme d'autant plus précieux pour un Etat que les trésors de son expérience sont remplis des faits qui rendront l'histoire de notre époque si importante... J'ai rarement rencontré d'homme plus aimable, plus spirituel et plus capable de charmer les loisirs de toute une soirée, dans un salon rempli de gens aimables et difficiles. Jamais on ne causa avec plus de grâce, plus de charme, une parole plus gracieuse; c'est toujours le mot de de la chose, c'est toujours ce qu'il faut dire et faire, jamais autrement. Et puis... comme cet homme est Français !... Ce qu'il aime, c'est le sol de cette France que tant de gens oublient!... dont ils parlent pourtant, et qu'ils connaissent si peu !... J'ai pour le duc de Bassano une profonde estime, et cette estime est fondée sur ce que je connais, sur ce que je sais de lui...

En confiant donc à son frère la direction des vivres de la guerre et de la marine, l'empereur montrait au duc de Bassano une confiance intime, car la connaissance de la marche des différens corps de troupes devait être à la disposition du directeur des vivres, et cette chose, déjà d'une

immense importance, doublait encore de sa valeur, dès que le directeur était frère du ministre des affaires étrangères... M. de Montalivet était alors ministre de l'intérieur.

C'était le 15 d'août de l'année 1811. Les salons de Saint-Cloud étaient remplis par la foule de ceux qui venaient faire leur cour à l'empereur... Il souriait à tout le monde, mais il était facile de voir qu'un sujet grave l'occupait et que son esprit était envahi par une foule de grands intérêts. Il fut préoccupé pendant tout le temps que dura le tour du cercle diplomatique... puis, apercevant le duc de Bassano, il lui dit :

-Retenez à Saint-Cloud le ministre de l'intérieur, votre frère, Dubois, le comte Réal, Regnauld de Saint-Jean-d'Angely... nous aurons un conseil après la messe ; vous direz à M. de Montalivet d'envoyer chercher à Paris toutes les notes qu'il peut avoir sur l'état de la récolte de cette année et sur les restes de l'année dernière. Si votre frère a également des notes prêtes à cet égard, dites-lui de me les apporter. Afin de leur donner le temps nécessaire pour arriver, le conseil n'aura lieu qu'à trois heures...

M. le duc de Bassano s'acquitta sur-le-champ de cet ordre. M. de Montalivet envoya ou fut chercher les notes demandées par l'empereur,

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