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vernée aussi despotiquement qu'un royaume de l'Inde, avait une manière de se faire justice devant laquelle il n'était aucun tribunal qui osât siéger pour la condamner. Peut-être l'empereur Alexandre eut-il en effet un moment d'entraînement vers Napoléon, surtout à Erfurt, où Napoléon exerça sur le czar cet irrésistible empire que connaissent tous ceux qui l'ont approché. Mais il devait apprendre à connaître la nation russe; il devait le faire comme l'amant d'une femme doit parfaitement connaître tout ce qui est autour d'elle. Depuis Pierre-le-Grand, la nation russe (ce qu'on peut appeler corps de nation) n'avait fait aucun progrès dans la civilisation de l'Europe. Ses nobles, eux seuls, avaient pris de nous nos vices et nos besoins de luxe; mais le peuple russe était ce qu'il était, il avait toujours cette même soif de conquêtes et non de gloire, donnée à un peuple barbare par un maître despote. C'était toujours cette même volonté de ne voir dans une frontière, quelque reculée qu'elle fût, qu'une limite qu'il fallait abattre, et cela avec cet orgueil qui caractérise le peuple barbare. Les Russes ont encore, même après être venus se plonger dans la lumière de l'Occident, toute la superstition des Scythes, et cette haine pour tout étranger qui caractérise

le peuple hébreu, dont le sang s'est mêlé au sien depuis plusieurs siècles. Tout ce que je viens de signaler devait donc devenir l'objet de l'attention de Napoléon, même en admettant, ce que je crois vrai, que l'empereur Alexandre lui fût d'abord dévoué. Mais encore une fois l'Angleterre était là pour rappeler à la noblesse russe qu'elle ne pouvait vivre sans elle.

Toute l'année 1811 se passa en pourparlers inutiles. Le 5 avril, M. le duc de Bassano fut nommé ministre des affaires étrangères; le 6 il passa une note à M. le prince Kourakin, pour lui demander des explications. Le prince répondit des choses oiseuses, ou bien parlait toujours de ce duché d'Oldenbourg; c'était à peu près comme s'il était venu parler du douaire de la reine Mandane. On lui demanda ce que signifiait cette armée de 80,000 hommes qui se rassemblait par les ordres du cabinet de Pétersbourg? L'ambassadeur, comme un homme tout pacifique qu'il était, répondit qu'on se raillait probablement de lui, qu'il n'était pas question d'une armée, et que l'empereur son maître était luimême fort peiné qu'on lui fît de semblables questions.

Maintenant, savez-vous quel fut le véritable motif de plusieurs malheurs... peut-être

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même des plus grands malheurs de cette année? ce fut l'ambassade de M. le duc de Vicence. Alors que j'aurai raconté ce que j'ai à dire, on sera

moins étonné.

L'empereur Napoléon avait envoyé à Pétersbourg le duc de Rovigo, mais non pas comme ambassadeur, seulement comme envoyé extraordinaire, la manière dont l'empereur Alexandre l'avait traité à Austerlitz et à Erfurt ayant fait présumer à Napoléon qu'il le verrait avec plus de bienveillance qu'un autre.

Mais il fallait songer à un ambassadeur. L'empe reur, qui avait ses manies comme tout le monde, avait celle de faire entrer l'extérieur pour beaucoup dans ces sortes de choix. Le duc de Vicence avait une belle figure, une noble tournure; il était homme de bonne compagnie autant qu'homme de France; il était noble par lui-même, il l'était encore par lui Napoléon; tout cela, joint à d'autres raisons que j'ignore, le firent nommer à l'ambassade de Russie; mais aussitôt que cette nouvelle fut connue dans les salons de Pétershourg, il n'y eut qu'une voix pour s'écrier que M. de Caulincourt ne serait reçu de personne. Le duc de Rovigo d'était partout, et fort bien. Ce n'était donc pas la France ?... Enfin, un jour qu'on en parlait, même devant le duc de Rovigo,

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il prit un ton sérieux, et demanda ce qu'on pouvait reprochér à M. le grand-écuyer: alors plusieurs s'avancèrent, et lui répondirent aussi sérieusement, que, M. de Caulincourt ne serait reçu dans aucune maison de Pétersbourg, à cause de sa terrible affaire du duc d'Enghien! On l'avait résolu, et le parti était pris.

Savary avait sans doute des défauts, mais il avait deux qualités qui, selon moi, effacent ou compensent bien des choses: il était bon Français, et aimait véritablement l'empereur. En entendant réveiller une histoire qui frappait directement sur son maître, et dont le contre-coup atteignait son camarade, il fut irrité, et souvent il eut des scènes très vives avec plusieurs personnes de la cour de Pétersbourg; enfin, un jour la chose en vint au point de le faire sortir de touté mesure, et s'adressant au plus offensant du groupe dont il était entourés cons

Vous êtes dans l'erreur, monsieur, lui dit-il; le duc de Vicence n'est pour rien dans l'affaire du duc d'Enghien, car c'est moi, moi qui ai

l'honneur de vous parler, qui l'ai fait fusiller...

Et il regarda fixement l'homme à qui il s'adressait; celui-ci demeura tout interdit, et n'osa poursuivre. !...A

A son árrivée à Paris, le duc de Rovigo trouva

M. de Caulincourt encore au milieu de ses préparatifs de voyage, et il ne lui dissimula aucune des difficultés qu'il allait avoir à surmonter sans lui en cacher le motif. M. de Caulincourt fut effrayé; quoique très brave à l'armée, d'une họnorable et remarquable conduite, il était d'un caractère craintif, et ne pouvait prendre sur lui de braver un danger dans la vie privée. A la vue des difficultés qui s'élevaient devant lui, à cette cour où il se promettait tant de jouissances, il fut accablé, et au moment de refuser; mais le moyen de faire une pareille démarche ? comment aller dire à l'empereur: 1 ob

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Sire, je ne vais pas à Pétersbourg, parce que l'on m'accusé de vous avoir livre le duit d'Enghien... ea ca obFAL Dans sa perplexité, il se confia à Bune.ro Cėlui-ci n'était pas fort en inventions pour sortir d'embarras, témoin ce qu'il fit en 1814, lorsque, pour conserver ses majorats, ilenè trouva rien de mieux à faire que d'abandonner son bienfai teur. Après avoir long-tenips cherché une planche de salut pour le duc de Vicence, voici ce qu'ils imaginèrent à eux deux: ils firent des instructions, comme si elles eussentiété en effet données par Bar au nom de l'empereur à l'époque de la mort du duc d'Enghiens ces in

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