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excellent père !... il sentait si bien le bonheur !... mais comme il avait souffert !... Grand Dieu! comme il était changé!... Etait-ce donc pour avoir des jours aussi assombris à cette époque de sa vie que son sang avait baigné les champs de l'Afrique et de l'Italie, et tout récemment encore ceux de l'Espagne !... Je le questionnai; il ne me répondit pas avec clarté ; mais je vis, moi qui connaissais son âme, qu'il souffrait, et qu'une main bien chère ne fermait pas la blessure qu'elle avait faite sans intention, j'en suis certaine, mais enfin qu'elle AVAIT FAITE, et Junot pouvait être bien malheureux d'une semblable souffrance.

Aussitôt après l'arrivée de Junot à Salamanque, où du reste il ne venait que pour me chercher, nous partîmes pour Toro. L'armée de Portugal était en pleine dissolution; elle n'avait plus de cavalerie; son artillerie était presque toute démontée, et l'infanterie était dans l'état le plus déplorable. Le 8° corps surtout était abîmé par les maladies et le manque de vivres.

. Comme il serait heureux aujourd'hui en voyant cet enfant né au milieu des dangers et des larmes, sauvé comme par miracle de la mort... être un grand garçon, la joie, le bonheur et l'orgueil de sa mère!... Junot arriva à Salamanque, le 23 avril.

Le pays de Toro est fertile; il aurait pu s'y rétablir; mais tout aussitôt qu'il y fut, sa mission le mit sur les routes pour escorter les convois sur Rodrigo, que les Anglais devaient reprendre quelques semaines plus tard; garder le pays, et faire un genre de service qui devait achever de le fondre; car il devenait pour ainsi dire colonne mobile,

En passant à Martin del Rio, Junot apprit une nouvelle qui fut d'un augure fâcheux : ce fut la désertion du chef de bataillon Fitz Henry. Chef de bataillon dans le régiment irlandais, il avait non seulement déserté, mais emmené avec lui. quatre-vingt-quatre hommes de son régiment, qu'il avait, ainsi que lui, livrés à don Julian, près de la Boreda de Castro. Cette nouvelle fit une profonde impression sur Junot. L'abandon des troupes étrangères faisait présager que l'orage pourrait bien enfin demeurer stationnaire, et gronder sur nos têtes du moment que le vent des destinées ne le pousserait plus sur celles de nos ennemis.

Dans le même temps, lord Wellington qui avait toujours suivi nos traces, était déjà devant Almeida, devant cette malheureuse ville abîmée par deux siéges, deux explosions', dont chaque

'La première fois qu'elle fut attaquée, il y eut déjà une très

monceau de décombres recouvrait cent cadavres, et qui devait avant peu succomber sous un nouveau malheur.

C'était le général Brénier qui était dans Almeida : c'était un homme loyal, brave, résolu, grand comme un jeune garçon de dix ans, mais ayant dans cette enveloppe la valeur, et toutes les nobles qualités que pouvait avoir un officier de la grande armée ayant fait les guerres de la république. Aussi était-on sûr qu'Almeida tiendrait tant qu'elle pourrait tenir; mais il était de son destin de mourir en l'air. Dans la nuit du 10 au 11 mai, une effroyable explosion se fait entendre... c'est encore Almeida!... Cette fois, les fortifications sont détruites... tout est ravagé...mais la garnison s'échappe dans l'ombre, gagne Barbadel Puerco, où elle est recueillie par le 2e corps. Le général Brénier a perdu quatre cent cinquante hommes à cette aventure; mais l'honneur de la garnison est sauf, et puis une sortie, plusieurs assauts auraient bien frappé autant de têtes.

Un matin, Junot entra chez moi en tenant une lettre qu'il me donna à lire; elle était de

forte explosion; la seconde eut lieu lorsque le général Coxe y commandait, et la troisième et la dernière fut celle du général Brénier.

Masséna. Il lui annonçait qu'il quittait l'armée ; et le priait d'aller le voir avant son départ pour la France. La lettre de Junot en contenait une autre pour moi. Comme les parties, du moins le plus grand nombre, n'existent plus maintenant, je puis dire quelle était la cause de cet adieu plus spécial.

C'était un projet d'union entre nos deux familles. Il s'agissait d'un mariage entre deux de nos enfans; son billet d'adieu était aimable. Il m'y demandait la permission d'aller porter luimême de mes nouvelles à mes enfans à son arrivée à Paris.

-L'un d'eux m'appartient autant qu'à vous, me disait-il ; je veux le lui prouver... Autorisezmoi à aller lui porter une petite lettre de vous ou de son père.

Mes enfans étaient alors en Bourgogne chez leur tante (une sœur de leur père, et j'ai toujours eu de l'humeur de ce contre-temps); je ne pus donc donner à Masséna la lettre qu'il demandait. Je suis sûre qu'il prit mon refus pour un caprice par l'humeur que j'avais de ses querelles avec le duc; et puis, en joignant à cela une voix ennemie, qui ne cherchait qu'à souffler un feu de discorde, l'on aura facilement la traduction de beaucoup d'incidens qui vont être

excité

connus incessamment. Je lui répondis une lettre que je fis le mieux qu'il me fut possible, et que Junot lui porta.

Je demeurai alors seule à Toro, avec madame Thomières, mon ange consolateur, et gardée par la première division, dont le général Clauzel (aujourd'hui maréchal) était le chef. J'étais charmée de l'avoir près de moi. J'ai déjà parlé de la haute estime que Junot lui portait. Mais ce que je n'ai pas dit, c'est combien il est d'un charmant esprit, d'une conversation qui est tout à la fois instructive et amusante; instructive, parce qu'il a beaucoup vu; amusante, parce que son esprit fin et prompt dans son regard sait saisir tous les aspects d'une chose, et vous la présenter avec d'autant plus d'art que j'ai connu peu d'hommes avec l'apparence d'un plus grand naturel. J'ai fort appris à l'apprécier, et les années écoulées n'ont fait qu'ajouter à mon estime et à mon attachement pour lui, dont, au reste, j'ai hérité de mon mari.

Toro est un des plus singuliers séjours que j'aie eu occasion d'habiter pendant mes campagnes. C'est une vieille ville située dans le royaume de Léon, sur la rive droite du Duero. C'est l'Abocella des Romains. La ville est jolie; assez peuplée pour une ville d'Epagne, et si ce

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