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faire pour n'en pas rencontrer. Il y en avait même de tous les genres. Reines en exercice comme la reine d'Espagne, reine en espérance comme la princesse de Suède, reine dans le passé comme l'impératrice Joséphine, et roi de théâtre comme Talma, car pour le dire en passant, il était à Aix pour y boire de l'eau chaude et se faire du bien; mais au lieu de cela, il faillit y faire une maladie qui aurait été mortelle. Le pauvre homme était condamné tous les soirs de la vie, par la princesse Pauline, à lire tout haut des scènes de Molière pour nous faire rire!... Talma n'osa d'abord se refuser à une demande faite par la sœur de l'empereur. Il se mit donc à faire la petite voix, et à dire presque aussi bien que mademoiselle Mars:

grec.

Excusez-moi, monsieur, je n'entends pas

Puis il reprenait en faux bourdon, pour gronder comme l'Avare. Enfin, c'était tous les soirs une joie nouvelle. Cela alla bien tant que Talma lui-même, fatigué de faire l'empereur et le prince royal, et même le grand turc, s'amusa de cette extrême différence dans ses personnages'; mais le fait est que le pauvre homme en avait par

A cette époque Talma jouait très souvent Nicomède et Héraclius.

dessus sa tête, et encore par-delà, des tragédies, des comédies, tout cela fût-il chefs-d'œuvre, et plus que chefs-d'œuvre...

Je n'y puis plus tenir, me dit-il un jour; je tourne à la mort... C'est aussi par trop fort, en vérité!... Elle me forcera à quitter Aix... ce dont je suis fâché, car je m'y serais amusé, si ce n'était cette malheureuse obligation de faire le répétiteur tous les soirs... car vous saurez qu'elle veut apprendre le rôle d'Agnès', et celui d'Angélique'.

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Et que feriez-vous, dis-je à Talma, à la personne qui vous aurait valu cette belle gloire de vous entendre dire que vous jouez mieux Célimène que mademoiselle Contat, et que mademoiselle Levert3 ?

Talma prit un air furibond qui me réjouit extrêmement.

Ce que je lui ferais!... ce que je lui ferais, me répondit-il tout effarouché... eh bien! je lui dirais que c'est fort ridicule...

3

-Dites-moi donc alors que c'est fort ridicule,

› L'École des Femmes.

Les Femmes savantes.

Mademoiselle Mars n'avait pas encore pris le rôle à cette époque. On sait que mademoiselle Contat ne le jouait pas bicn du tout.

car c'est moi qui ai fait cette belle besogne en lui racontant combien vous nous aviez fait rire un jour à Bièvre, en jouant à vous seul tout une parade, avec un talent aussi supérieur que celui que vous mettez à jouer Hamlet.

Le pauvre Talma demeura confondu. Il n'osa plus reparler de cette affaire pendant quelques jours, et le fait est que la chose était réelle. Tous ceux qui connaissaient Talma, et qui ont été dans son intimité, savent qu'il jouait les Gilles et les parades dans une perfection rare, qui rappelait le talent de Garrick. Mais, pour cela, il ne fallait pas qu'on lui apportât une planche sur laquelle il fit le Bobèche ou le Desbureaux; il fallait qu'il se trouvât dans un salon de château, bien commodément assis sur un bon divan, dont il prenait un coussin pour se faire un enfant, et auquel il parlait pour faire rire tout comme pour faire pleurer. J'avais raconté une scène de ce genre à la princesse Pauline, et tout de suite la pauvre femme en avait demandé une représentation. Seulement, comme il n'y avait pas d'affiches, on ne pouvait pas mettre : PAR ORDRE, comme nous voyons que cela arrive tous les jours.

La princesse Pauline avait avec elle madame de la Turbie, une personne que je fus fort aise de

retrouver à Aix; elle a de l'esprit, une grande réserve dans ses manières, ce qui la rend plus agréable pour ceux qu'elle préfère. Quant à moi, je la goûtais fort. Elle avait à cette époque un certain magot de mari qu'on appelait M. de la Turbie, gentilhomme sarde, ou du moins de Turin, où il était là avec le prince gouverneur général, avec lequel il devait s'arranger à ravir. Depuis, cette bizarre union a été rompue, et madame de la Turbie a épousé M. le duc de Clermont-Tonnerre, qui, alors, était écuyer de la princesse Pauline. M. de Forbin passa un mois avec nous, mais non pas comme attaché à la maison de la princesse; il s'arrêtait à Aix en revenant d'Italie.

M. de Forbin a été, sans contredit, l'homme le plus agréable de la haute société de France ce qui veut dire de l'Europe; et l'époque dont je parle est celle de sa vie qui le présente entouré de plus d'agrémens. Il avait une jolie figure... une tournure distinguée et fort remarquable d'élégance, ce qui est regardé par les femmes comme la chose la plus obligatoire dès qu'il est question de dire:

M. le marquis de... M. le duc de... voilà l'homme le plus agréable de la société, cet

Ce n'est pas d'être extraordinaire qu'il faut se piquer, c'est d'être élégant dans ses manières comme dans sa mise, et surtout dans cette dernière chose. On me citera lord Byron, qui ne mettait pas de cravate, et portait des manteaux drapés. C'est vrai; mais lord Byron est une de ces exceptions extraordinaires qui ne peuvent nullement être proposées pour modèles dans aucun temps il faut être ce qu'il était, un immortel génie, pour s'en aller ainsi mascaradant par le monde avec ses poules, ses chiens et ses têtes de mort... Il était original, parce qu'il le voulait bien; il aurait au reste tout aussi bien fait de ne le pas vouloir; et si l'on doit admirer lord Byron, ce n'est pas du tout en cela...Mon Dieu! que verres de lunettes sont difficiles à choisir pour avoir la vue claire!... et encore lorsque votre lunette est garnie de bons verres, c'est une autre besogne non moins difficile que de la mettre au point juste, pour que votre rayon visuel rencontre parfaitement.

les

Pour en revenir à M. de Forbin, il était, comme je viens de le dire plus haut, un homme parfaitement aimable, et de bonne façon surtout; ensuite entouré de cette recherche dans sa toilette et dans sa vie, qui composaient un homme élégant.

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