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Dans un salon, il y parlait mieux qu'un autre; il y faisait, par exemple, une lecture comme il en fit une chez moi dans l'hiver de 1812 à 1813, et telle était la mode dans l'orbite de laquelle il faisait alors sa révolution, que je me rappelle que madame Juste de Noailles me demanda comme grande faveur d'y être admise; nous n'étions que douze à quatorze personnes. C'était pour entendre la lecture du Quaker, charmante nouvelle qu'il fit imprimer à quelque temps de là. Ensuite il peignait avec un talent positif et un succès qui était non discuté. Il avait enfin, au moment où je le mets en scène, tout ce qui peut le plus établir la réputation d'un homme à la mode, et d'un homme à la mode parce qu'il est aimable et qu'il est supérieur. Il s'arrangeait assez peu de la frivolité de la cour de sa princesse, à laquelle il était néanmoins fort attaché. On disait même qu'il le lui avait été beaucoup plus encore. Mais dans le moment où nous sommes, c'était du colonel Du....... qu'elle-même était fort occupée alors. Le colonel Du...... qui n'était encore que lieutenant-colonel, c'est-à-dire chef d'escadron, était un grand garçon de cinq pieds sept à huit pouces, qui était toujours habillé en hussard, qui était beau-fils tout-à-fait. Je me mets hors de la question pour

juger un pareil agrément. On peut être fort bien, fort beau, mais les tournures de ce genre me sont antipathiques.Voici un trait qui peut donner une idée, à ce qu'il me semble, de toute sa personne. Aix est mal bâti, comme doit l'être en effet un lieu d'eaux au milieu des montagnes. La princesse Pauline habitait une petite maison appelée maison Chevalay, et située sur le haut d'une montagne au pied de laquelle est bâtie la petite ville. Pour arriver chez la princesse, il fallait traverser une vigne assez étendue, et par conséquent prendre un peu de terre après ses souliers, ce qui est l'un de ces inconvéniens qui prêtent à rire plus qu'à toute autre chose. M. le colonel Du.... n'en jugeait pas ainsi, et nous le trouvâmes dans le salon de la princesse avec des bottes si bien cirées, si luisantes, que des souliers de femme en satin noir en ussent été jaloux. Comme j'avais plus de familiarité qu'une autre dans le salon de la princesse, je me chargeai de savoir comment il faisait pour se mirer ainsi dans les pointes de ses bottes, quand nous étions crottées quelquefois jusqu'à mi-jambes.. Non seulement il n'y a pas de voiture à Aix; mais la maison de la princesse était inabordable autrement qu'à pied.

Rien de plus simple, me répondit M. Du.....

J'ai pour domestique un ancien brigadier de mon régiment, et comme il est grand et fort, il me porte.

Il vous porte!...

Et je demeurai immobile,

Sans doute, il me porte, me répondit-il tout étonné lui-même de mon étonnement. Mais comment se peut-il qu'il vous porte ? car enfin vous êtes plus grand que

lui.

Je me mets sur ses épaules, et je relève mes jambes.

Oh! pour le coup, c'était trop fort!... Cette description était une peinture raphaélique dans son genre... Le colonel Du.... me rappelait le vieillard des Mille et une Nuits, que Sindbad le marin trouve dans une île déserte, et qui s'élance à califourchon sur ses épaules, en le contraignant à galoper comme un cheval... Je fus long-temps à me représenter le colonel Du.... comme le vieillard de Sindbad le marin. Cela prouve qu'il faut éviter de donner de soi une impression extérieure qui frappe en ri.dicule.

Une autre personne de la maison de la princesse Pauline était aussi venue à Aix avec elle: c'était mademoiselle Millot, depuis madame de Saluces: c'était une charmante personne, et

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même d'un esprit fort supérieur; il y a d'elle un roman fort bien fait, intitulé: Foscarini ou le Patricien de Venise.

Madame-mère était, comme toujours, simple, convenable et bonne. Madame de Fontanges, sa dame d'honneur, était la seule femme de sa maison d'honneur qui l'eût suivie. Je me proposai pour faire mon service auprès de MADAME, quoiqu'alors j'en fusse entièrement dispensée; mais Madame ne voulut pas en entendre parler, et fut bonne pour moi, comme au temps où elle venait chercher la pauvre orpheline pour lui servir de mère. M. Rossi, ami de Madame plutôt que son secrétaire, était avec elle. Je crois, mais confusément, que M. de Beaumont vint avant la fin de la saison.

+

La reine d'Espagne n'avait que peu de suite; c'était un ange repliant toujours ses ailes, et ne sachant faire aucune chose qui jetât le moindre éclat. Sa sœur avait auprès d'elle une personne fort agréable, Grecque de naissance, fort belle, et qui mourut bien tragiquement peu de temps après on l'appelait madame de Flotte.

Quant à l'impératrice Joséphine, je ne me rappelle pas quelles étaient les personnes qui étaient avec elle; et puis ensuite elle ne vint que très tard. Je crois pourtant que c'est ma

dame d'Audenarde, mais je n'en suis pas sûre. Nous avions ensuite beaucoup de personnes de la société de Paris, ce qui n'était pas sans mérite, car Paris lui-même était alors désert par la dispersion de chacun. Presque tous les hommes étaient en Russie avec l'empereur, et les femmes dans leurs terres, ou bien en couches. C'était une singulière époque, que celle-là.

communs

Tout est mode à Paris, depuis les rois jusqu'à la façon d'ètre malade, de se saigner, et même de mourir. Je ne désespère pas maintenant que voilà l'Espagne qui, en vraie coquette, quand elle a vu que son Alhambra commençait à vieillir, et ses romanceros à devenir un peu si tant est que ceux qui les traduisaient les aient jamais bien compris, s'est mise à jouer de la prunelle avec nous, en commençant une petite guerre civile; je ne désespère pas, dis-je, que nous ne nous fassions enterrer dans une jaquette de dominicain ou de franciscain. Eh bien! au temps de 1812 et 1813, temps auquel nous sommes arrivés dans ces Mémoires, il est bon de savoir qu'il était de bon goût d'aller aux eaux d'Aix en Savoie.

Mais j'ai besoin des eaux de Vichy!....

Eh bien! les eaux de Vichy, les eaux d'Aix!... n'est-ce pas la même chose?

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