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de mon retour d'Espagne, car jusque là je ne la sus qu'imparfaitement.

Lorsque nous n'étions pas contens de notre logement, je faisais venir l'alcade ou le corrégidor, et je demandais à être conduite dans un couvent de femmes, bien certaine d'y trouver non seulement mes aises, mais même beaucoup de superfluités. Ce fut ce qui m'arriva à Duenas, ou bien à Torrequemada, ou bien encore à Bribiesca'; je ne veux préciser lequel des trois endroits. Junot demeura dans la maison qui nous avait été donnée, et moi je m'en fus loger au couvent, où je fus reçue par la prieure avec toute la plus affectueuse hospitalité. Ma petite chambre avait un tapis de nattes indiennes; un cuir d'Espagne recouvrait le mur à hauteur du genou; de bons fauteuils, un très beau brasero à bassine d'argent contenant des noyaux d'olives embrasés était au milieu de la chambre; une aiguière d'argent, de très beau linge, des matelas de soie et de laine de Ségovie; un lit entouré de bons et amples rideaux de pékin des Indes, quelques miroirs à bordure en filigrane d'argent; enfin,

C'est dans l'une des stations de coucher, de Bayonne à Madrid... Voilà ce que je puis affirmer, par exemple, sans préciser un lieu, ce qu'il est inutile d'exiger.

toute une foule de recherches soignées faisaient de cette chambre une délicieuse retraite.

Les religieuses espagnoles ne donnent aucunement l'idée de ce qu'était autrefois chez nous la vie claustrale. Chez elles, tout est liberté, et même quelquefois licence; elles jouissent même, en général, d'une trop grande facilité à recevoir les étrangers. La closura n'existe vraiment que de nom. Aussi, dès qu'elles voient une figure qu'elles ne connaissent pas, elles l'entourent, et ne lui laissent aucun repos. Lorsque je fus installée, elles s'en vinrent toutes, deux par deux, trois par trois, pour m'entretenir en gaieté, à ce qu'elles disaient... D'abord, elles m'amusèrent; mais ensuite, cela devenait long et fatigant; l'une d'elles, jolie comme un ange, paraissait moins tourmentante que ses compagnes, et pourtant bien désireuse de me parler. Je l'appelai; elle vint; mais je m'aperçus que la conversation ne serait pas longue; la pauvre petite sœur ne parlait pas un mot de français. Je savais dès lors un peu l'espagnol, et je lui dis quelques phrases pour l'engager à parler. Elle ne dit rien d'abord; mais dans la soirée elle s'enhardit, et venant à moi, elle me dit tout bas un nom qui me fit sauter sur ma chaise, car je ne pouvais comprendre comment ce nom pouvait être pro

noncé dans l'intérieur d'un couvent. Je regardai la petite sœur; on l'appelait Santa-Maria da Gracia, et, en vérité, elle était bien nommée : c'était une bien gracieuse personne. Elle était alors rouge comme une cerise, et cette nuance rose momentanée, car les Espagnoles sont pâles habituellement, lui seyait comme un fard de beauté; mais quoiqu'elle fût bien jolie, cela ne m'expliquait pas sa question, et je la lui fis répéter. Cette fois, il n'y avait pas erreur, et j'entendis parfaitement bien :

Donde stà ahora el general Duroc1?

Et que lui voulez-vous? ma sœur ! m'écriaije toute surprise, et tout amusée de cette question.

La petite sœur mit un doigt sur sa bouche, sourit en montrant trente-deux petites perles, et dit encore à demi-voix, et avec une délicieuse expression de confiance, et qui montrait qu'elle voyait que je l'avais comprise:

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-Oh! muy bien... muy bien !...

Et lui prenant la main de nouveau, je lui dis en souriant aussi :

Où est le général Duroc ?

• Il se porte bien?

3 Très bien, très bien!

Es my amigo el general Duroc...

Sa jolie figure s'anima à l'instant même d'une foule de sensations impossibles à rendre.Ses yeux devinrent plus brillans, sa bouche s'entr'ouvrit comme une rose; elle joignit les mains, et les élevant à demi, elle vint se placer devant comme pour mieux me voir. J'étais une autre personne pour elle depuis qu'elle savait que j'étais l'amie de celui qu'elle aimait, et cependant je pouvais, moi aussi, être son amie par amour!... je pouvais être sa femme... Eh bien! toutes ces pensées ne vinrent pas d'abord à l'Espagnole aimante. Elles ont des cœurs d'or ces jeunes filles !... il y a là des trésors d'amour qui feraient renoncer à tout une éternité.

.... Je revis encore la jeune sœur. J'appris d'une de ses compagnes, qu'elle avait fait profes sion seulement depuis deux mois. Elle était d'une bonne famille de la province, et depuis son enfance on l'avait destinée au cloître.

Nous fimes séjour le lendemain. Je revis la jeune religieuse, et je lui demandai si elle savait que le général Duroc fût marié. Elle fit un signe de tête affirmatif, et sans aucune apparence de chagrin.

-Su muger es Española, ajoutai-je '.

• Madame la duchesse de Frioul, veuve du maréchal Du

Ici ce ne fut pas de même, et elle parut fort étonnée. Elle leva plusieurs fois les mains en ligne de surprise, mais toujours sans nulle mar→ que de contrariété. Lorsque je m'en allai, elle me donna un petit reliquaire, que j'ai rapporté très fidèlement, et tout aussi fidèlement remis.

Lorsque je parlai de cette petite aventure à Duroc, il fut long-temps à me comprendre, et cela était tout simple, parce que ma Santa-Maria da Gracia, religieuse, ne lui rappelait pas le souvenir d'une jolie jeune fille à la basquiña frangée, et au corset rose brodé d'argent et serrant la taille... Mais le signalement et le nom de la ville finirent par le mettre au fait... Je fus surprise de voir l'embarras que cela lui causa. Je lui promis d'être discrète, et je lui ai tenu parole.

Oh! ce n'est pas pour moi que je crains, me dit-il...

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Et pour qui donc ? lui demandai-je.

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Eh bien! si vous ne voulez pas tout me

dire, moi, je vous promets de ne jamais laisser passer une seule de nos conversations sans parler de la petite nonne.

roc, et aujourd'hui madame la baronne Fabvier, est Espagnole; elle est fille de M. Hervas.

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