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n'étaient ces éternels couvens', qui donnent un aspect toujours si sérieux à la ville, on s'en arrangerait assez bien. Une particularité philantropique est attachée à cette ville de Toro: c'est que furent souvent convoquées les Cortès, et que les lois, les constitutions les plus libérales de l'Espagne y furent promulguées, et sont toujours reconnues sous le nom de lois de Toro.

La campagne qui entoure Toro est fertile et riante comme l'est toujours une plaine arrosée par un beau fleuve. Il est donc assez agréable de s'y promener à cheval... mais le moyen de prendre ce divertissement, certes bien innocent, lorsque les guérillas nous entouraient au point de venir jusqu'au pont du fleuve!... Cependant on s'y prenait de façon à pouvoir prendre l'air au moins, et après avoir doublé le poste du pont, placé quelques hommes dans un bois, ou plutôt un bocage formé de quelques massifs, on pou vait faire quelque temps le galop... encore, pour en arriver là fallait-il faire une grande opération; c'était presque aussi habile qu'une ramasse dụ

* On compte à peu près huit mille habitans à Toro; mais cette immense quantité de couvens, en renfermant un grand nombre de ses habitans, lui donne un aspect désert; il en est de même à Valladolid et à Salamanque. Valladolid surtout est plus frappé de ce vrai fléau! On y comptait qua- . rante sept couvens en 1805, et il n'y avait pas 30,000 âmes.

Mont-Cenis. Pour ceux qui connaissent Toro, et le pain de sucre sur lequel il est bâti, il n'est besoin de rien ajouter; pour ceux qui ne le connaissent pas, il est bon de savoir que la montagne sur laquelle se trouve la ville est positivement, comme je le disais tout à l'heure, un pain de sucre. C'est comme Angoulême, ou bien comme Laon; mais la montagne de Toro est bien plus rapide que celle de ces deux villes, et il était désagréable, pour des femmes, de la descendre à cheval à cause de la fourche de la selle. Je descendais donc en calèche, me donnant des airs de fashionabilité comme au bois de Boulogne, et montant mon cheval à l'extrémité du pont.

Un jour je proposai à madame Thomières de faire une promenade un peu longue... Le temps était beau comme il l'est dans les jours de printemps, où tout ce qui vous entoure est lumière et fleur... où tout est clair et parfumé : alors il y a du bonheur dans cette atmosphère qui nous presse; vous aspirez la vie, et une vie presque heureuse à chaque mouvement de votre cœur. Aussi Ramond', en remerciant une violette de lui rappeler plusieurs printemps, ne dit pas: Ce printemps qui fut heureux... il dit: plusieurs

Impressions en revenant de Gardani, par Ramond.

printemps... Oui, cette époque est toujours belle, fraîche, heureuse!... le printemps de l'année, le printemps de la vie, le printemps de l'amour, ils sont tous également frais et doux.

Ce fut donc par une belle journée de mai que nous fimes la partie, madame Thomières et moi, de parcourir les campagnes qui bordent le Duero. C'est un beau fleuve; surtout au-dessous de Toro. J'avais envie d'aller à Tordesillas' pour y voir le vieux château dans lequel mourut Jeanne la folle, fille de Ferdinand et d'Isabelle, et mère de Charles-Quint. Millin m'avait écrit de Paris pour me demander un renseignement que je ne pouvais avoir que sur les lieux, et je voulais m'acquitter de ma commission. Toutefois je n'avais encore rien de bien déterminé lorsque ce beau soleil, ce doux air parfumé, ce beau ciel bleu, lorsque tout cela se déroula autour de moi, je demandai mes chevaux, et nous descendîmes la montagne. Madame Thomières était aussi gaie que moi, nous étions comme des jeunes filles sortant de captivité... Nous descendîmes de calèche, et nous montâmes à cheval à la tête du

C'est la Turris-Syllæ des Romains... tout le royaume d'Espagne est en général fort curieux pour les antiquités qu'il ren ferme; il n'y a guère de ville qui n'offre des vestiges antiques plus curieux encore du temps des Romains que de celui des Maures.

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magnifique pont de pierre qui est sur le Duero au bas de la montagne; puis, nous nous avançâmes dans la campague tout en continuant une conversation intéressante que nous avions commencée dans la calèche.

Nous parlames long-temps i et l'on sait que l'on peut avancer assez loin tout en demeurant au pas de son cheval, ce fut ce qui nous arriva, Mon cheval, qui était une bête ardente et toujours alerte, me pressait de partir; je regardai madame Thomières, et rendant la main à la biche, nous partimes au galop de course dans cette belle plaine, où c'était plaisir, en vérité, d'aller à ce train.

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Il y a un charme indicible à être emporté ainsi rapidement à une distance éloignée... de franchir des lieux inconnus... de gravir à des hauteurs immenses, de descendre dans de sombres profondeurs, et tout cela est facile avec un cheval sûr et de l'adresse. Cette volonté satisfaite, ce mouvement donné au corps, cet air fendu par la vitesse de la course, tout cela est fantastique et plaît surtout à l'homme parce que un moment il à l'illusion de la souveraine puissance, il croit dominer la nature... Il tient une baguette de com+ mandement'.

Les hommes doivent bien mieux apprécier cela que

Le jour dont je parlé j'éprouvais ce charme dans toute sa force, et je m'y abandonnais avec une volupté d'autant plus douce, que depuis long-temps je n'avais été aussi loin dans mes courses et avec une aussi entière liberté. J'arrêtai mon cheval après une longue traite, et re jetant mon voile en arrière je respirai avec délices l'air embaumé de cette Espagne toujours chargée de parfums et d'une si douce langueur... ¡

- Mon Dieu! me dit alors madame Thomières qui comme moi sentait bien les charmes de cette belle matinée, quel adorable temps!... quelle charmante promenade!... quel dommage qu'on ne puisse goûter ce plaisir qu'en tremblant, et qu'on ait toujours peur des brigands !...

A peine eut-elle dit ce mot, que je m'arrêtai court, et que moi et mon cheval nous fimes un groupe Equestre... Je regardais madame Thomières et n'osais lui répondre, car tout en parlant de sa peur, elle croyait encore que le poste accoutumé était dans le petit bois auquel nous touchions en ce moment; mais il n'en était rien,

nous. Ils peuvent être SEULs, et nous il nous faut continuelle ment être obsédées par un domestique qui nous suit, et une personne qui nous accompagne. Cette société forcée empoisonne tout le plaisir de cette exécution de volonté dont je parle.

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