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lorsque vous ne l'avez pas encore expliquée. Il y a un rapport positif dans la conception qui établit alors un charme profond dans les relations. Ce charme, lorsqu'il manque, enlève alors tout ce qui peut rendre une relation soit d'amitié, soit autrement, plus tendre et plus durable; son absence est peut-être la seule cause de cette rareté de liaison survivant à d'autres plus intimes. Lorsqu'il se trouve aussi dans les rapports de deux femmes par exemple, il est la base d'un attachement que rien n'altère.

Madame Doumerc a un esprit amusant et paresseux, souple et impérieux, sérieux et gai, indulgent et mordant; mais tout cela s'harmonise et ne se choque pas; tout cela est distribué avec un art parfait... tout ce qu'elle entreprend elle le fait, et le fait bien... son talent de chant est le plus admirable que j'aie entendu. J'ai écouté souvent des hommes comme Crescentini, comme Nourrit, comme Garat; des femmes comme madame Malibran, madame Mainvielle-Fodor, la Grassini surtout, adorable femme, qui me faisait pleurer quelquefois en l'entendant chanter... Eh bien! madame Doumerc me faisait un plaisir plus senti... il y avait dans son chant une harmonie avec la pensée que je ne trouvais pas autre part; il faut que ce soit ce

motif-là qui me faisait demeurer à côté du piano où elle m'a si souvent chanté des romances et les airs italiens de Crescentini avec un charme tout divin... Quant à l'italien, quoiqu'elle le chante d'une manière remarquable, elle rencontrera des rivales, tandis qu'elle n'en a pas une seule tant qu'elle se mettra en lice pour chanter les romances françaises.

La princesse Borghèse m'ayant entendu parler de madame Alexandre Doumerc, comme je pouvais le faire d'une femme de mes amies qui arrivait aux eaux, ce dont j'étais ravie, et ayant surtout compris qu'elle était la plus charmante du monde dans un salon où se trouvaient des gens faits pour l'apprécier, me dit un jour : • Amenez-moi donc cette dame... » Je ne fis pas semblant d'avoir entendu. Quelques jours après, madame Doumerc étant chez moi, il arriva que nous fimes de tels rires que nous en fûmes malades; c'est littéral... Un chambellan du prince Borghèse se trouvant chez la princesse le lendemain de cette journée rieuse, en parla à Talma, qui était aussi chez moi, et qui certes n'avait pas été en reste pour se mettre à l'unisson des fous... Comme ma maison était sur la place, et que les fenêtres en étaient ouvertes, selon la coutume de tous les

pays au mois de juillet, mais particulièrement des lieux d'eaux', nos joies avaient fait l'envie de ceux qui n'étaient pas admis au milieu d'elles, et de ce nombre fut le chambellan de son altesse impériale et royale, Camille Borghese... La princesse qui s'ennuyait !... mais qui s'ennuyait... me dit le lendemain :

Madame Junot, savez-vous que l'empereur serait très mécontent, s'il apprenait que l'on fait chez vous des farces comme celles qu'on y joue?... cela ne convient pas à votre DIGNITÉ... ·

-Bonté du ciel! madame !... quelle est donc ma dignité ?... Je n'en ai d'abord aucune que je sache, car nous autres pauvres femmes, vous le savez, nous comptons pour bien peu dans ce monde... Mais s'il en est une qui m'empêche de rire, je déclare d'avance que je n'en veux pas !...

Hélas! c'était une parole bien téméraire que je proférais là... je l'ai bien expiée depuis !........

Je connaissais l'esprit inquiet de la princesse.... Je ne m'amusai pas à la questionner, parce que je savais que c'était une chose inutile avec elle, mais je m'adressai à madame de la Turbie, qui

Il y eut cependant cette même année à Aix en Savoie, une fenêtre ouverte qui pensa causer une grande rumeur,.~ C'était chez madame Verrier.

était celle de ses dames qui l'avait accompagnée à Aix... Madame de la Turbie avait toute sa famille aux environs, étant de Genève même. C'était, comme je l'ai déjà dit, une personne que j'aimais fort à rencontrer...

Elle se mit à rire lorsque je lui parlai de la semonce impériale que je venais de recevoir au nom de l'empereur, qui en était aussi instruit que le roi lorsqu'on dit: Au nom du roi, je vous arrête !... Madame de la Turbie, qui avait l'habitude de la vie intérieure et parfaitement sociale qu'on mène à Genève, trouvait que la maison Chevalay aurait pu être plus gaie; mais elle était si remplie de convenance, qu'elle ne me le dit que par un sourire très significatif, et je sus par elle que nos rires avaient été rapportés, et avaient fait envie : c'est à la lettre. Or donc, la princesse se mit dans l'esprit de commander une soirée amusante comme elle com

Madame la duchesse de Clermont-Tonnerre est de Genève et de l'une des premières familles du pays. Elle est mademoiselle de Sellon. Son frère, le comte de Sellon, est renommé pour son goût pour les arts et ses goûts philantropiques. La société des Amis de la paix a été fondée par lui. Il est à la tête de tous les établissemens remarquables en ce genre. Son cabinet de tableaux à Genève est une des belles choses que l'on puisse voir en collection. Son château d'Alaman est une des plus curieuses choses de la Suisse.

mandait des gâteaux et des glaces; elle me tira l'oreille, m'embrassa, et me dit :

- Amenez-moi donc madame Doumerc.

- Ma chère duchesse, me dit madame Doumerc, je ne puis en bonne foi accepter une invitation faite de cette manière; je ne suis pas une femme de la cour, et comme devoir, je ne suis donc aucunement obligée d'aller bâiller chez votre gentille princesse. Si elle veut augmenter sa société, et qu'elle me fasse l'honneur de m'engager à passer la soirée chez elle, je serai fort heureuse d'y aller... Dire que je le serai autant que chez la reine de Hollande, qui est bonne et parfaite pour moi, ainsi que son excellente mère... non... mais je serai reconnaissante que la princesse Pauline veuille bien m'admettre chez elle... si toutefois chaque chose est dans l'ordre.

Je trouvai ces raisonnemens parfaitement justes; aussi n'y opposai - je rien, et le lendemain je le dis à la princesse: comme elle n'avait pas l'intention de blesser, elle fit aussitôt partir une Invitation, qu'écrivit madame de Saluces; et le même soir, nous montâmes près de dix à douze personnes à la petite maison Chevalay, dont les murs tapissés de jasmins répandaient au loin jusque dans la vallée une odeur enchanteresse, apportant à la maîtresse du lieu ce dont elle man

XIV.

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