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madame Récamier qui était exilée à Lyon, sa ville natale, mais qui n'était plus sa patrie. La patrie est aux lieux où sont les habitudes et les affections.

Madame Récamier était exilée pour avoir été voir madame de Staël à Coppet. La cause de cet exil était trop honorable pour que cette femme, aussi célèbre par la bonté de son cœur que par la beauté de son ravissant visage, n'acceptât pas toutes les conséquences de son dévouement d'amie; elle fut à Coppet, malgré les avertissemens de Junot et de plusieurs autres de ses amis. A peine arrivée à Coppet, elle reçut l'ordre qui lui fermait les portes de Paris... Après le départ de madame de Staël, madame Récamier quitta la Suisse, et vint à Lyon, pour être au moins plus près de Paris... Elle fut là compagne d'infortune d'une autre personne qui avait excité la colère de l'empereur, mais qui était moins digne d'intérêt, parce qu'elle voulait le braver, et se singulariser, plutôt qu'elle n'était héroïne d'amitié ; c'était madame de Chevreuse : celle qui, dans cette occasion, fut une véritable héroïne, ce fut sa belle-mère : la conduite de madame la duchesse de Luynes est admirable de tous points. En arrivant à Lyon, j'allai descendre à l'hô

tel de l'Europe, parce que je savais que madame Récamier logeait dans cette maison; et comme je voulais la voir aussi souvent que je le pourrais pendant mon séjour à Lyon, qui n'avait qu'elle pour objet, cela me parut le meilleur moyen.

Je ne puis rendre avec exactitude l'impression que j'éprouvai en entrant dans une vaste chambre dont un paravent marquait la distribution, et qui formait à elle seule tout l'appartement de Mme Récamier!... Elle que j'avais vue dans son magnifique hôtel de la rue du Mont-Blanc, entourée du luxe le plus recherché, je la trouvais dans cette chambre d'auberge, aussi calme, aussi belle, aussi gracieuse que par le passé. Ce fut de ce jour que je lui vouai un attachement qui jamais ne s'est démenti, et qui durera autant que ma vie... Car, dans cette résignation, il y avait une grandeur d'âme qui ne se feint pas davantage qu'elle ne se détruit, parce qu'elle repose sur des bases qui sont d'airain, la foi, et la foi en Dieu.

Elle était là, comme je l'ai dit dans un article que j'ai écrit il y a quelques années, toujours belle et bonne... elle faisait du bien, elle voyait

Voir l'article intitulé l'Abbaye-aux-Bois dans le Ier vol, des Cent-et-Un.

quelques amis qui quittaient Paris à leur tour pour venir passer plusieurs semaines avec elle : c'était M. de Montmorency (Adrien, aujourd'hui le duc de Laval), Matthieu de Montmorency, dans qui on trouvait ce qui est si rare aujourd'hui, le chevalier et le saint; Benjamin-Constant, M. de Catelan, l'un de ses plus anciens amis, et une foule d'autres que je pourrais nommer si je n'aimais mieux parler d'elle.

Elle brodait lorsque j'entrai chez elle.

-Ne vous ennuyez-vous pas ? lui demandaije tout émue, en voyant cette solitude animée.

- M'ennuyer! me répondit-elle de sa douce voix, je ne le puis; j'ai quelques occupations, et lorsqu'elles laissent retomber sur moi le poids de ma destinée, et je me retrouve à la vérité avec moi-même, et je pleure... car je ne me vanterai pas d'un stoïcisme que je n'ai pas... Je suis fort malheureuse loin de la France!

Elle était si belle, si naturelle en parlant ainsi, que je regardai madame Alexandre Doumerc, qui était venue avec moi jusqu'à Lyon, et nos yeux échangèrent le sentiment profond d'attendrissement que nous inspirait une si touchante infortune, supportée avec tant de courage.

Elle avait un piano, des crayons, des métiers,

des livres, tout ce qui aide à supporter la vie, mais qui ne la remplit pas.

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Ah! je le sens bien, me dit-elle lorsque je lui en fis la remarque.

Nous étions alors sur un balcon qui donnait sur la place; elle était en cheveux, avec une robe blanche, et la plus ravissante personne qu'on puisse voir encore dans cet abattement et dans cette douleur; mais cette douleur avait un caractère si touchant!... elle parlait si bas!... qu'il fallait la deviner comme celle qui en souffrait : c'était bien un ange ici bas dans un moment d'exil.

Madame Doumerc promena sa main sur le piano, et en tira des sons, comme elle sait les donner, soit qu'elle accompagne, soit qu'elle chante.

Ah! donnez-moi un peu de souvenirs qui me restent avec les vôtres! nous dit madame Récamier; chantez un peu... chantez une romance française... pas d'italien...

Il semblait que son exil de Paris la renvoyait par-delà les monts... Je ne sais plus ou j'ai lu que madame Récamier n'avait pas le cœur français... Eh!... il serait à souhaiter que celui qui a écrit le livre qui dit pareille sottise fût aussi bon Français qu'elle! J'ai eu des preuves de son patriotisme, et des preuves que je puis affirmer. Lors

que nous serons en 1814, je les ferai connaître.

Madame Doumerc me demanda de lui accompagner une romance de Boieldieu, dont les paroles sont de M. de Longchamp, qui les composa lorsqu'il fut au moment de partir pour l'Amérique, exilé par le Directoire. Ces paroles sont remplies de tout ce que le cœur peut donner de vraie tristesse et de sentiment naturel. Madame Doumerc la chanta, comme tout ce qu'elle chante, avec une expression admirable. Madame Récamier la comprit si bien, qu'elle eut bien souvent l'œil humide, en écoutant surtout le dernier couplet.

Ces fleurs que je plantai moi-même,

Loin de mes yeux vont se flétrir.
Privé du bon maître qu'il aime,
Mon chien peut-être va mourir.
Touchés de ma triste infortune,
De moi mes amis parleront;
Puis, chassant l'idée importune,
Avant ma mort ils m'oublieront.

y a dans ces

Oh! quelle profonde mélancolie il vers!... je conçois que l'exilé pleure en les écou

tant.

Nous passâmes ainsi quatre jours à Lyon avec madame Récamier. Je fus heureuse de remplir ce devoir d'amitié, et puis j'étais certaine que Junot me saurait gré de cette attention. Il

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