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coup mon cheval, dont j'étais parfaitement sûre, et qui était une bête excellente du haras de Pless, et parfaitement dressée, fit un écart de gauche à droite... cela me surprit, parce que c'était là première fois que cela lui arrivait!

-Eh bien! qu'est-ce donc? dis-je en la flattant de la main... Mais avant que j'eusse fini la seconde parole, la maligne bête avait renouvelé son écart; et comme cette fois il avait été de droite à gauche, et que le premier avait légèrement dérangé mon équilibre, le résultat de cette seconde sottise fut de me jeter à bas de mon cheval, et d'une telle manière, que jamais il ne fut de chute plus complète... Je fus d'abord un peu étourdie du coup; mais comme je portais toujours un petit chapeau de castor, et qu'il ne quitta pas ma tête, le coup fut très amorti. Lorsque la belle demoiselle rua sur moi pour me faire ses adieux, elle le fit d'assez loin pour ne pas me maltraiter.

Lorsque je fus un peu remise, car enfin c'est une chose qui dérange l'équilibre général qu'une chute de cheval, je ne pus m'empêcher de rire en voyant l'air tout pantois du général Clausel. Eh bien! vous voyez ! me dit-il... je vous avais prévenue... c'est un sort attaché à moi.

Il en avait l'air si convaincu que ma gaieté en revint tout-à-fait; mais mon piqueur venait de

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trouver la raison des écarts de la Biche. La pau vre bête venait à l'instant même de prendre la vue grasse... et l'effet s'en était manifesté d'une étrange façon, C'était ma personne et ses deux oreilles qui lui avaient semblé singulières probablement, à défaut même d'un brin d'herbe, car en ce moment nous suivions un chemin dégarni même d'un buisson.

J'en fus quitte pour quelques contusions, et pour me faire saigner. Mais ce qui demeura dans ma mémoire pour en être à jamais reconnaissante, ce fut ce que je devais à Dieu, de ce que ce malheur ne m'était pas arrivé le jour où j'étais poursuivie par les brigands.

Junot revint de Salamanque ; il avait vu Masséna, et il avait repris pour lui sa vieille amitié. Ces deux pères, dont l'un était jeune et l'autre vieux, se trouvaient en même ligne, par ce rapprochement que produisaient leurs deux enfans et ce projet d'union: c'est ainsi que les jeunes générations dominent les anciennes.

Avant de quitter le commandement de l'armée de Portugal, Masséna eut une visite qui lui dé

On appelle ainsi une maladie qui prend instantanément aux chevaux et se jette sur leurs yeux; ils voient double, et les objets prennent presque une autre forme. Ma jument étai‡ une bête excellente, qui fut perdue à compter de cet instant.

plut beaucoup; ce fut celle du maréchal Bessières, qui fut à Ciudad-Rodrigo avec une division de la garde impériale.

-Si l'empereur m'avait donné de telles trou pes! disait Masséna... s'il m'avait donné des hommes, et non pas des enfans et des conscrits, comme une partie de ton corps d'armée...hum!... Et lorsqu'il avait de l'humeur, alors il frot tait son œil '... Il semblait par là adresser un reproche tacite à Napoléon. Du reste, il fallait que le prince d'Essling fût en grande confiance pour parler sur ce sujet. Il n'aimait pas que les gens qu'il ne connaissait que depuis peu de temps même le missent dans le cas de s'expliquer sur une chose qui lui était évidemment pénible.

Junot et Masséna reparlèrent encore de leur projet de mariage...et ce fut alors que celui-ci écri vit à ma fille cette lettre toute paternelle, à laquelle répondit Joséphine sans savoir ce qu'elle' écrivait, bien que cependant à cette époque elle comprît déjà la différence d'une lettre d'elle. à un étranger ou à son père; mais comme ellé l'écrivit sous notre dictée, elle ne put apprécier cette différence.

. On sait que ce fut à une des chasses de l'empereur ( je crois dans la forêt de Rambouillet) que, plusieurs person. nes se trouvant placées en rond, ou plutôt en demi-cercle,

Masséna repartit pour la France, et quitta le commandement de l'armée de Portugal le 15 mai de cette même année 1811, et le maréchal Marmont le prit à sa place. Une lettre de l'empereur lui-même avait annoncé à Junot qu'il avait un autre commandement dans le nord, et que le 8 corps allait être fondu dans une nouvelle organisation de l'armée de Portugal; il pouvait donc quitter l'Espagne et revenir en France.

Il faut avoir subi un long exil, loin de la patrie, pour apprécier l'harmonieuse magie de ces paroles.

-Laure! nous retournons en France...

Je fis un bond de ma chaise au cou de Junot... je l'embrassai en pleurant, en riant tout à la fois. Il y avait une douce folie dans un tel moment... Toutes les douleurs sont oubliées... toutes... On en accepterait pour ainsi dire de nouvelles pour l'avenir d'un pareil instant.

Tous nos préparatifs se firent avec une célérité facile à comprendre. Le maréchal Marmont, qui venait d'arriver à Salamanque, vint à Toro pour voir son vieil ami, son féal, son frère d'armes; celui qui, s'il vivait, lui aurait conservé

un grain de petit plomb creva l'œil de Masséna. L'empereur dit que c'était Berthier... Berthier, que c'était un autre; le fait est que c'était l'empereur.

comme moi, estime, amitié, et amitié profonde, parce qu'il aurait toujours vu en lui ce qu'il fut, ce qu'il est, ce qu'il sera, un homme habile, un homme de cœur et d'honneur, dont les évènemens ont maîtrisé la destinée, et qui fut constamment victime de l'ineptie des uns, et du despotisme des autres. Avant de jeter ainsi à la tête d'un homme malheureux la pierre qu'on s'empresse d'abord de ramasser pour l'accabler, il est bien naturel cependant de consulter un peu, par un regard en arrière, de quelle nature sont les jours de sa vie passée. Quand cet examen est fait, c'est alors qu'il faut rendre une justice impartiale; c'est alors qu'il faut lancer la pierre vengeresse; elle ne doit l'ètre que par une main pure, a dit Notre Seigneur... Si la loi était suivie, combien de pierres retomberaient sur la terre!... Quelquefois j'entends des voix s'élever contre le vieux soldat exilé... et quelles sont ces voix?...celles de quelques hommes qui ont blanchi sous les vingt-deux gouvernemens que nous avons eus depuis quarante ans, et qui toujours ont eu des sermens pour chacun d'eux... ou bien des inconnus dont la vie est non seulement obscure aux yeux de la patrie, mais dont ils seraient repoussés comme enfans parricides eux-mêmes, si cette vie était exposée au jour lumineux de la justice.

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