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voir cet enfant accueilli par le peuple de Paris, qui lui souhaitait la bienvenue, tandis qu'il revenait ainsi prendre son rang de Français, après être né au milieu de la mitraille ennemie dans une terre lointaine et étrangère.

Enfin, nous entrâmes dans Paris. Je revis ma maison, j'embrassai mes enfans... Ils se portaient bien tous trois. Mon fils Napoléon était d'une beauté merveillense. Je passai ce jour-là de douces heures!... Hélas! elles ne devaient pas avoir beaucoup de soeurs; et l'enfant que je ramenais, à qui j'avais donné le jour au milieu de tant de douleurs et d'inquiétudes, je devais arriver à la joie, à l'orgueil de le voir un homme, et un homme tel qu'il est, par bien des jours et des nuits passés dans les larmes et les angoisses d'une mère craignant pour la vie de son enfant... Mais ces Mémoires ne sont pas ceux de mes intérêts privés; il faut poursuivre la narration de ceux qui sont publics.

Je trouvai en effet Paris extrêmement changé. La société avait pris une physionomie tellement différente, que j'en fus frappée au point de me croire dans un autre pays que le mien. Je ne pus m'empêcher de le dire à mes amis, en demandant compte à plusieurs d'entre eux de cette

cour si gaie, si aimable, que j'avais laissée charmante, et que je retrouvais, je le répète, si diffé rente d'elle-même.

Plusieurs causes avaient amené les choses à ce point; mais le mariage de l'empereur était la plus puissante de toutes. Le faubourg Saint-Germain, dont il y avait déjà bon nombre de femmes parmi les dames du palais, mais qui jusque là, quoi que fort protégées par l'impératrice Joséphine, n'avaient pas reçu de cette protection une assez grande assurance pour être ce qu'elles étaient devenues; le faubourg Saint-Germain se crut assuré de sa prépondérance. Aussitôt que l'empereur eut épousé une princesse d'Allemagne, il devint arrogant, et malheureusement l'empereur le souffrit. Le faubourg Saint-Germain jouait son jeu, et faisait bien. Napoléon faisait mal, et ne jouait même aucun jeu.

A l'époque du mariage, la cour avait été présentée en masse à l'impératrice; mais comme je n'étais pas à Paris à cette époque, je fus obligée de subir l'ennui d'une présentation personnelle. J'écrivis ausitôt après mon arrivée à madame la duchesse de Montebello, pour qu'elle voulût bien me faire parvenir les ordres de l'impératrice.

Je reçus la réponse presque aussitôt, pour

être présentée le surlendemain ; Junot également. La cour était en grand deuil, pour le roi de Danemarck. Ma toilette devait donc être toute renouvelée; car du noir au grand jour est hideux pour peu qu'il ait six mois de date. Je fis faire un grand habit de crêpe noir doublé de satin noir, garni d'une grande blonde surmontée d'une tête en jais. La jupe était également garnie de deux rangs de blonde, avec une tête de jais. J'étais coiffée avec des plumes noires, et j'avais au cou et aux oreilles de très beaux fers de Berlin, gravés et montés en émail noir. Le costume de cour est fort beau ainsi tout en noir. C'était d'ailleurs le matin que j'étais présentée; l'audience était indiquée pour deux heures. Je me rendis d'abord chez le grand-maréchal avec Junot: là nous attendimes avec les autres personnes présentées que,notre tour arrivât. Junot devait passer avant moi.

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Lorsque je fus appelée, j'avoue que je marchai d'un pas plus rapide que de coutume en de pareilles occasions, par l'impatience extraordinaire que j'avais de connaître enfin par moimême notre souveraine, celle qui avait remplacé Joséphine... celle enfin chargée par Dieu et les hommes de faire le bonheur de celui que nous aimions, que nous vénérions à l'égal d'un dieu.

Je ne dissimulerai pas que l'intérêt qu'elle exci. tait en moi était en ce moment porté au plus haut degré de force et lorsque j'entrai dans le grand salon jaune, qui était celui où l'impératrice Joséphine nous recevait toujours, non seu lement le matin, mais le soir, j'étais vivement émue.

Marie-Louise était alors âgée de dix-neuf ans. Sa taille était ordinaire, et si ses épaules et sa poitrine eussent été d'un moins grand volume, elle aurait pu avoir une tournure agréable. Mais ce dont elle manquait entièrement, c'était de la grâce.. Jamais femme n'en fut plus dépourvue. Il y avait bien en elle un ensemble, mais il était confus. Rien n'y était en harmonie. C'était un regard kalmouck avec une bouche autrichienne. C'étaient des parties de personne à la Rubens, et puis des bras et des mains d'une maigreur ou plutôt d'une petitesse ridicule, dès qu'il était question de proportions; une grande fraîcheur, de jolis cheveux, tels étaient les charmes qui avaient séduit Napoléon, qui pourtant était habitué à regarder de jolis visages. Quoi qu'il en soit, il a été amoureux, très amoureux de Marie-Louise : c'est un fait certain.

Si j'avais marché d'un pas rapide pour arriver plus vite devant l'impératrice, je dus ralentir

ma démarche au moment de franchir la porte, et me rappeler qu'elle était princesse allemande, et que je ne devais oublier aucune des façons de cour que j'avais apprises dans mon étiquette étrangère. J'entrai donc aussi posément qu'une douairière; je fis comme elle mes trois révérences, et j'attendis en silence le bon plaisir de Sa Majesté.

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On sait que ce bon plaisir n'était pas toujours celui de la causerie, surtout en public. Cependant nous ne pouvions pas, elle et moi, passer à nous contempler tout le temps de l'audience, et ce n'était pas à moi à commencer.

Ce fut elle qui, en effet, après m'avoir atten. tivement regardée d'un œil assez gracieux, me demanda combien j'étais demeurée de temps en Espagne?... puis si j'avais été à Madrid ?... s'il y faisait bien chaud?... si je nourrissais mon fils?... si je m'étais trouvée auprès de Junot lorsqu'il avait été blessé?...

Oh! pour le coup, cette dernière question

compléta l'enchantement!... Il avait déjà beaucoup de puissance en coinmençant l'entretien par une demande qui m'était directement personnelle. Mon Dieu! que notre pauvre nature contient de misérables sentimens si faciles à émouvoir!... et combien on comprend madame

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