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de Sévigné s'écriant, après avoir dansé avec

Louis XIV:

Quel grand roi nous avons!...

Eh bien! qu'en dites-vous? me demandérent plus de trente personnes que je vis dans la même journée.

Charmante; elle me paraît même jolie... Que me disiez-vous donc qu'elle ne l'était pas ?

Celui à qui j'adressais ce reproche sourit et ne me répondit rien... A quelque temps de là, il y eut cercle à la cour: on était encore en deuil; on m'avait dit le soir même de ma présentation, que l'impératrice avait témoigné que j'étais l'une des femmes qu'elle avait trouvées en France faisant le mieux la révérence. L'avait-elle vraiment dit, je n'en sais rien; mais on pense bien en même temps que cela compléta ma prévention, Aussi lorsque je revis Marie-Louise au cercle, je la trouvai encore charmante avec ses blonds cheveux et son cou blanc comme un cygne; elle me parla encore de l'Espagne pour me demander s'il y faisait aussi chaud qu'en France, et je trouvai l'à-propos de l'Espagne aussi aimable pour moi que spirituel pour elle; car une souveraine est doublement agréable par le sujet de discours qu'elle sait prendre... Un troisième

cercle vint; l'Espagne fut encore le texte de la phrase impériale... Et je commençai cette fois à trouver la chose un peu répétée. L'empereur, la première fois qu'il m'avait revue, m'avait dit:

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Ah! ah! madame Junot, eh bien! vous avez donc été en Espagne? Avez-vous eu bien peur des guérillas? On dit que vous avez été brave comme un soldat !...

Et puis ce fut fini; il ne me parla plus de l'Espagne qu'une ou deux fois, mais pour des choses tout-à-fait étrangères au sujet de conyersation qu'il fallait choisir.

Le jour de ma présentation, j'aperçus avec plaisir derrière l'impératrice la seule femme qui pouvait être sa dame d'honneur : c'était la duchesse de Montebello. Je savais déjà sa noinination; mais j'avoue que je fus heureuse en voyant sa belle tête me sourire avec une expression cordiale de bonne amitié, et représenter en même temps auprès de Marie-Louise, dans sa personne, toute l'armée impériale. J'ai déjà donné mon opinion sur la duchesse de Montebello; cette opinion est invariable, parce qu'elle est fondée sur la vérité. Je connais madame la duchesse de Montebello depuis trop long-temps pour n'être pas

fixée sur ce que je dois penser d'elle; et ce que j'en pense est bien sous tous les rapports possibles.

Quant à madame de Luçay, elle avait certainement de la douceur, de la politesse, de la bonne volonté, pour en avoir même; mais il y avait en elle une sorte de guindage, avec une excessive prévenance, si je puis employer ce mot, qui nuisait à la dignité simple et naturelle qu'il lui aurait fallu avoir dans une charge aussi éminente que celle de dame d'atours de l'impératrice du MONDE, car Marie-Louise l'était alors. Il faut non seulement du sérieux, mais un ensemble de convenances bien difficile à former. Au reste, l'impératrice parut ressentir l'effet que je viens de signaler, car elle n'avait pas pour madame de Luçay l'attrait qui la portait vers madame la duchesse de Montebello... Je dois dire, en parlant de celle-ci, que je trouvai en arrivant à Paris la clef d'une énigme renfermée dans l'une des lettres de M. de Narbonne, et que j'avais reçue quelques semaines avant mon départ pour France.

M. de Narbonne, cet ami si cher à moi, cet ami que j'avais défendu contre le caprice de l'empereur, quand il me disait :

• Je veux que vous lui fermiez votre porte... il est mon ennemi... »

Eh bien! M. de Narbonne justifiait en ce moment ma tendre amitié. Justice venait enfin de lui être rendue... l'empereur lui accordait non seulement de la bienveillance, mais une grande faveur. Il avait fort influé, comme chacun sait, dans l'affaire du mariage avec Marie-Louise... Aussi l'empereur attaché, je dirai presque subjugué par cet homme, dont le cœur avait de l'esprit, dont l'esprit avait du cœur, voulut avoir auprès de la jeune impératrice un homme comme M. de Narbonne, qui avait toutes les qualités requises pour faire un parfait grand-maître de sa maison.

*

Le maréchal Duroc, à qui l'empereur fit part de cette pensée, la trouva tout admirable, et pendant vingt-quatre heures M. de Narbonne fut nommé grand-maître de la maison de l'impératrice Marie-Louise.

Lorsque j'arrivai à Paris, la chose n'était pas faite, mais elle était au moment de l'être. M. de Narbonne m'en parla comme il l'aurait dit à l'une de ses filles, en me demandant le secret, et je lui tins parole, car Junot lui-même ne sut pas un mot de l'affaire. La nomination devait avoir lieu le jour de la Saint-Louis. La veille, je revis M. de Narbonne le matin, et de

meilleure heure que son heure habituelle'. Il paraissait soucieux, et lui, qui toujours était d'une humeur aimable et gaie, me sembla d'une préoccupation singulière. Je provoquai sa confiance, c'est-à-dire son abandon, et il me dit que dans ce même moment il prenait une étrange résolution, c'était celle de refuser la charge qui lui était offerte auprès de l'impératrice. Il me dit toutes ses raisons pour le faire, et je l'approuvai.

Il avait su ( n'importe par quel moyen, mais il le savait que l'impératrice avait beaucoup pleuré en apprenant qu'elle aurait un grandmaître de sa maison; la duchesse de Montebello, qu'elle aimait tendrement, n'avait peut-être pas été étrangère à cette scène, et je trouve que dans ce pays qu'on appelle la cour, il est tout-à-fait de bonne guerre de s'examiner et de se défendre si l'on se croit attaqué.

La duchesse de Montebello se crut donc en danger, car son poste était le point important qui, de la place qu'on allait créer, allait être constamment attaqué, et elle en parla à l'impératrice de manière à la faire agir avec efficacité. En effet, à peine l'empereur eut-il vu ses larmes, qu'il fut ébranlé. Cependant sa résolution n'était

1 Je le voyais tous les jours de ma vie, à cette époque.

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