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jamais subordonnée, pour quoi que ce fût, aux instances et aux pleurs d'une femme; il ne céda en conséquence en rien, d'après ce que lui dit Marie-Louise. Mais Duroc ayant raconté l'histoire à M. de Narbonne, celui-ci prit aussitôt son parti, et il vint me le communiquer... C'était un refus.

-Je ne veux pas me trouver là en dissidence avec la favorite, me dit-il; elle est bonne, bienveillantemême, et je crois la connaître assez pour être sûr que jamais je n'aurai rien à craindre d'elle; mais on ne peut répondre d'aucune bonne nature dans le pays où elle vit... Cet intérêt personnel, qui partout ailleurs est déjà un poison qui altère les affections les plus saintes, devient ici un serpent qui nous contraint de mordre et d'étouffer père et mère... jugez, moi, pauvret, ce que je deviendrais !... à peine distingué de l'empereur, il me faudrait tout à la fois reconquérir sa bienveillance et lutter contre une ennemie, car la duchesse deviendrait la mienne... et bien certainement que l'impératrice le deviendrait aussi ; non... non, je refuse et mon parti est bien pris.

Ce qui fut dit fut fait. L'empereur, charmé de plus en plus de l'esprit et des talens de M. de Narbonne, et voyant peut-être dans cette der

nière partie de sa conduite une nouvelle preuve de sa force de raisonnement, l'empereur le nomma l'un de ses aides-de-camp... S'il n'avait jamais choisi que de cette manière dans le faubourg Saint-Germain, on ne le lui aurait pas tant reproché.

Quelque temps après, je vis dans les nominations de chambellans, celle de M. le comte Juste de Noailles, tandis que madame la comtesse Juste de Noailles était nommée dame du palais de l'impératrice. Cela me charma. J'aimais la comtesse Juste depuis bien des années, et je n'avais jamais voulu céder à l'empereur, non plus que pour M. de Narbonne, pour fermer ma porte à madame de Noailles ; ceci me donna lieu de faire à l'empereur une observation que je tenais, au reste, en réserve depuis longtemps.

La cour était au bal chez la reine Hortense, je crois... je ne dansais pas... j'étais assise sur une banquette en regardant danser; c'était une anglaise qui se descendait alors. M. de Narbonne portait l'aiguillette pour la première fois ce jourlà. Il était appuyé dans l'embrasure de la porte et regardait aussi danser... L'empereur l'avisa comme moi...

-Eh bien, me dit-il avec cette expression im

possible à bien rendre pour qui ne l'a pas connu... eh bien! êtes-vous contente... voilà un de vos amis près de moi?...

Madame de Noailles descendait alors l'anglaise, et je crois que son mari la dansait aussi... Je regardai d'abord M. de Narbonne, vers lequel l'empereur dirigeait mes yeux, puis les ramenaient vers mon amie; je souris en regardant l'empereur et je lui dis:

-Et si j'avais strictement obéi à vos ordres, sire, qu'en serait-il arrivé?... quel nom mériterais-je à l'heure même, si j'eusse rempli votre volonté? car Votre Majesté m'a recommandé plus de vingt fois de fermer ma porte à M. de Narbonne et à madame de Noailles ainsi qu'à son beau frère, M. de Mouchy !... J'ai eu l'honneur de lui répondre, qu'étant mes amis ils ne pouvaient lui être ennemis, et que j'en répondais... Votre Majesté a jugé que j'avais raison probablement... puisqu'elle les a placées près d'elle?...

L'empereur ne répondit pas un mot... Mais sa physionomie n'était pas à l'orage, malgré mon long discours. Au surplus, il y avait déjà quelque temps que je l'avais préparé.

Le jour de la Saint-Louis, il y eut grande réception pour l'impératrice; mais la cour fut convoquée à Trianon. Il paraît que l'impératrice

montrait de la prédilection pour cet endroit plus que pour un autre, et l'empereur, toujours désireux de lui plaire, voulut que le jour de sa fête fût encore plus gai pour elle en se passant dans un lieu qu'elle aimait. En conséquence, sans regarder à l'ennui que les femmes devaient éprouver en faisant dix lieues en grande toilette, les billets d'invitation furent envoyés pour Trianon. Les circonstances qui se groupent autour de mes souvenirs de cette journée sont assez remarquables :

Nous nous trouvions ensemble, la maréchale Ney, la duchesse de Raguse et moi, lorsqu'on vint à parler de cette fête de Trianon, et de l'ennui de faire quatre lieues et demie dans une voiture, étant coiffée, habillée; et tout cela pour une fête de cour.

- Eh bien! dit la maréchale Ney, faisons une chose, allons à Versailles en robe blanche et en chapeau de paille, faisons porter nos toilettes par nos femmes; quant à nous, nous partirons de Paris d'assez bonne heure pour nous promener dans le parc; ensuite comme mon mari et le général Junot sont ici dans ce moment, ils nous donneront à dîner chez Raimbaud; nous nous habillerons ensuite, et nous arriverons belles et fraîches à Trianon.

Ce projet était trop agréable pour ne pas être accueilli. Seulement la duchesse de Raguse proposa un amendement qui fut accueilli à l'unanimité. Elle avait un vieil ami nommé Ricbourg ancien maître d'hôtel du roi, autant que je puis me le rappeler, qui logeait à Versailles. Il était ami de M. Perregaux, le père, et connaissait madame Marmont depuis son enfance. La duchesse nous proposa d'aller dîner chez lui, dans son établissement toujours confortable de vieux garçon, de nous de nous y habiller, et de là nous rendre à Trianon. On parla de ce projet à M. de Ricbourg, qui en fut enchanté, car il faut dire aussi que nous étions toutes de sa connaissance.

Le maréchal Ney et la maréchale, Junot et moi, la duchesse de Raguse et le bon Lavalette qui, en sa qualité de notre ami à tous, occupait la place du duc de Raguse, alors en Espagne ; la baronne Lallemand et M. de Ricbourg; nous étions donc réunis dans la salle à manger de ce dernier le 25 août 1811, dans les meilleures dispositions de gaieté, et assis tous les huit autour d'une table où était servi le plus succulent, le plus parfait des dîners.

• Jamais il ne s'est vu de gens plus joyeux et d'une humeur plus cordiale. Junot et le maréchal Ney, heureux d'avoir quitté l'Espagne, de

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