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des hagiographes anciens et modernes, «il sera toujours impossible d'écrire une biographie vraiment critique de l'apôtre des Gaules et de dater exactement les principaux faits de son existence ».

C'est avec la même sûreté de jugement et la même exactitude d'informations que l'auteur traite de Grégoire de Tours, des vies de saints, des chroniques universelles, de la renaissance patronnée par Charlemagne, et qu'il tâche d'éclaircir en particulier la question si difficile des Annales carolingiennes. Il y a là des pages excellentes, où les idées ingénieuses et les larges aperçus ne manquent pas. On remarquera notamment ce qui est dit des vies des saints de l'époque franque, un genre de production historique que l'histoire ne peut utiliser sans les plus grandes réserves. Molinier explique avec une parfaite clarté pourquoi ces documents ne sont pas aussi instructifs qu'ils pourraient l'être. Il signale le parallélisme constant entre les récits bibliques et ceux des hagiographes, la banalité des miracles rapportés, le vague des détails biographiques, la multiplicité des anachronismes, l'abus des citations, l'application des actes d'un saint illustre à des saints moins connus, les plagiats, et même les légendes hagiographiques créées de toutes pièces par de pieux faussaires. L'analyse critique est ici poussée à fond, et tout au plus pourrait-on reprocher à l'auteur certaines expressions qui dépassent la mesure, par exemple quand il appelle la Légende dorée de Jacques de Voragine << un livre niais que certains qualifient encore de naïf ». Beaucoup de ces niaiseries du moyen âge sont la poésie même et la couleur du temps, et si l'histoire proprement dite peut s'en plaindre, l'histoire littéraire ne les juge pas avec la même sévérité.

(1)

L'action de Charlemagne sur le mouvement intellectuel de son temps a été bien définie (2), et il est très exact de dire que la renaissance carolingienne s'est surtout inspirée des lettres antiques. Il l'est moins d'affirmer que c'est à cette renaissance que « l'Europe doit en partie sa culture moderne »(3), car si la tradition en a été transmise à quelques écoles ecclésiastiques du x° siècle, c'est surtout par le large mouvement d'idées dérivé des révolutions politiques et économiques du xir° siècle, croisades, émancipation des villes, lutte du pouvoir civil contre le pouvoir religieux, extension du commerce, que l'esprit du moyen âge a été renouvelé. Somme toute, la renaissance carolingienne, sortie du Palais et d'un cénacle de moines, artificielle et superficielle, n'a pas été une force capable de transformer le milieu social dans ses couches profondes, et il ne faudrait pas en exagérer le bienfait. D'ailleurs, dans cette floraison des

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lettres, vraiment curieuse et extraordinaire pour le temps, et qui dut beaucoup à l'appui des pouvoirs publics, il serait juste d'associer au nom de Charlemagne celui de Charles le Chauve, ce roi philosophe et lettré que l'histoire à présent semble vouloir réhabiliter.

Le deuxième fascicule, daté, comme le premier, de 1902, s'applique à l'époque féodale, de Hugue Capet à Philippe Auguste exclusivement. Les considérations préliminaires qui précèdent les notices y sont moins nombreuses et moins développées que dans le précédent volume, mais se recommandent par les mêmes qualités. On y distinguera surtout celles qui expliquent la localisation de l'historiographie française, corrélative au mouvement de morcellement féodal, et celles qui ont trait à l'ordre de Cluni (2) et aux chroniques universelles dont la Chronographia de Sigebert de Gembloux a été le type (3). L'ordre adopté pour la répartition des notices consacrées à ces innombrables documents d'histoire locale est le suivant domaine royal (Ile-de-France, Orléanais, Picardie); groupe normand et angevin; groupe champenois et bourguignon; région aquitanique (Poitou, Limousin, Périgord, Berry, Auvergne); région du Midi (Gascogne, Languedoc, Roussillon, Provence, Dauphiné); région de l'Est (Franche-Comté, Lorraine); région du Nord (Flandre, Artois, Hainaut). Classement arbitraire, comme le remarque l'auteur lui-même. La Flandre n'y paraît qu'à la fin, comme pays étranger au royaume capétien; mais il aurait été plus conforme à la réalité historique du xro et du XII° siècle de la mettre parmi les provinces soumises plus ou moins effectivement à la suzeraineté des rois de Paris, à côté de la Normandie et de la Champagne, car elle ne relevait alors que pour une minime partie de son territoire de l'Empire germanique.

Aux histoires et documents des diverses provinces féodales font suite les écrits historiques directement relatifs à Louis VI et à Louis VII, les lettres et les poésies du xir siècle, les histoires anglo-normandes, les écrits relatifs aux grands et petits ordres religieux, les documents de la première et de la seconde croisade, et les chroniques universelles qui intéressent l'histoire de France.

Ici encore, l'ordre suivi, et qui est tout à fait conventionnel, importe peu l'essentiel est que ces 1259 notices rendent aux érudits qui s'occupent du xr et du xir siècle le très grand service de les orienter dans la masse confuse de l'historiographie locale. Mais déjà plusieurs parties de ce tome Il seraient à remanier. C'est le cas pour les notices concernant les sources de l'histoire du règne de Hugue Capet, car le livre

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récent de M. Ferdinand Lot, dont nous avons ici même signalé tous les mérites, contient un grand nombre d'observations critiques qui renouvellent notre connaissance de l'historiographie de la fin du x° siècle et du commencement du xr. Il y aurait aussi beaucoup à corriger dans les pages relatives aux documents de l'Anjou et de la Touraine. Sur les Gesta consulum Andegavensium (n° 1303), Molinier s'est contenté de reproduire les allégations de Mabille, battues en brèche aujourd'hui par M. Louis Halphen, aux conclusions (1) duquel l'auteur des Sources de l'histoire de France avait fini, du reste, par adhérer. Les Gesta Ambaziensium dominorum (no 1310) ne seraient pas, comme l'écrit Molinier d'après Mabille, l'œuvre d'un moine de Pontlevoi, mais très probablement celle d'un chanoine d'Amboise. Sur l'Historia comitum Andegavensium auctore Thomas Pactio (n° 1306) que l'auteur cite, d'après Marchegay et Salmon, sans en rien dire, il serait utile de rappeler qu'elle n'est qu'une série d'extraits des Flores chronicorum de Raoul de Diceto, comme l'a démontré Stubbs, dans sa préface à l'édition de Raoul. Sur la Chronique de Saint-Maixent (no 1438), il est bon d'observer que cette compilation est loin d'avoir, même pour l'histoire de la France de l'Ouest, la « haute valeur » que Molinier lui attribue; et lui-même aurait dû noter que la réimpression qu'en ont donnée Marchegay et Mabille (Chroniques des églises d'Anjou, p. 351-433) est criblée de fautes de toute espèce. Ici encore, par exception, il y a une citation de manuscrit, le 4892 du fonds latin, dont le 554 du fonds de la reine Christine (ignoré des éditeurs) n'est sans doute qu'une dérivation. Quant au de Commendatione Turonice provincie (n° 1312), que Salmon datait de 1208-1209 (et non de 1210 environ »), de récentes études semblent prouver qu'il faut y distinguer deux auteurs: celui qui rédigea la quatrième partie, qui traite de l'histoire de Marmoutier, vivait dans le deuxième quart du x siècle; les trois premières parties dateraient du début du siècle suivant.

Au sujet de Pierre Abélard (n° 2037), Molinier affirme « que la réforme intellectuelle tentée par lui fut arrêtée par saint Bernard, et qu'à cette réaction on doit en partie la ruine du haut enseignement au moyen àge et l'avènement de la scolastique ». Il est difficile de soutenir que l'opposition de saint Bernard rendit infructueux les efforts d'Abélard, et que la méthode inaugurée par ce dernier ne put lui survivre dans l'université de Paris. D'autre part, attribuer l'avènement de la « scolastique »

(1) Elles seront exposées dans la nouvelle édition des Gesta que M. Halphen

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prépare en collaboration avec M. Poupardin.

au conservatisme étroit de l'abbé de Clairvaux nous semble fort aven

tureux.

II. Le troisième volume, publié en 1903, est intitulé Les Capétiens. L'historiographe, ici encore, a voulu adapter son plan à la réalité des choses et comme le fait dominant de l'histoire de France, à la fin du xII° siècle et pendant tout le xi, a été le développement rapide du pouvoir et du territoire de la monarchie, les notices sont réparties par règnes et dans un ordre assez strictement chronologique. Philippe Auguste, saint Louis, Charles d'Anjou, Philippe III, Philippe le Bel et ses fils, marquent les principales étapes de cette troisième série d'informations bibliographiques. C'est aux règnes de Philippe Auguste et de son fils que Molinier a naturellement rattaché ce qui concerne la troisième, la quatrième et la cinquième croisade. Il a fait suivre ces dernieres notices de celles qui ont trait à la guerre des Albigeois et aux faits annexes (inquisition, dominicains). Mais il n'a pas mis à part ce qui se rapporte à la première et à la seconde croisade de saint Louis; elles ont trouvé leur place, à leur date, dans le détail du règne.

L'auteur a consacré des développements particuliers à la question des Grandes Chroniques de France, de Primat et de Guillaume de Nangis, et à celle de l'histoire du texte de Joinville. Sur ce dernier point, sa conclusion est que « si nous n'avons pas le texte des Mémoires, tel qu'il a été dicté par Joinville, les travaux de M. de Wailly ont permis de rétablir une leçon qui, vraisemblablement, n'est guère éloignée de celle du manuscrit original ». Pour saint Louis et pour Philippe le Bel, il a cru devoir indiquer, dans une catégorie de notices spéciales, les documents administratifs, enquêtes, jugements, comptes, etc., ce qui est pleinement justifié par l'importance historique des textes de cette nature au XIIIe siècle.

Dans certaines de ces pages, l'auteur a fait un peu plus que ne comportait sa besogne d'historiographe: il a jugé de grands événements (comme la quatrième croisade, la croisade des Albigeois) et esquissé des portraits d'hommes politiques (Joinville, saint Louis, Charles d'Anjou). Ne nous en plaignons pas ces passages reposent un peu de l'aridité des nomenclatures, et, d'ailleurs, ils ne font que reproduire en général les appréciations les plus autorisées des spécialistes. Quand l'auteur conclut, par exemple à propos de saint Louis, qu'avec tous les éléments d'information laissés par le moyen âge « on «< on pourrait tracer de ce grand souverain un portrait réellement vivant, dégagé de tout l'attirail banal dont l'ont affublé certains écrivains du XII° siècle, il faut rappe

ler que cette possibilité était réalisée avant la publication de ce troisième volume des Sources de l'histoire de France. Le Saint Louis de M. Ch.-V. Langlois (1) nous a donné du personnage, et pour la première fois, un dessin frappant de vérité et de vie. L'histoire complète et détaillée du règne, quand on aura le courage de la faire, modifiera peu cette noble et curieuse physionomie ainsi fixée dans ses traits principaux. Les imperfections de détail qu'on peut relever dans cette masse de 882 notices si pleines de faits et de renseignements substantiels sont insignifiantes: Davidsohn, l'historien d'Ingeburge de Danemark, écrit à l'anglaise, par trois fois, dans la même page (2), Davidson; « Gesta quæ Ludovicus IX cepit (3) » au lieu de Gista; quelques traces de rédaction hâtive, ce qui est dit d'Hélinand et d'Aubri de Troisfontaines répété littéralement à quelques pages de distance(), etc. Nous reprochons plus justement à Molinier l'expression forcée ou inexacte de certains jugements historiques. Que la déviation de la quatrième croisade ait été un événement « lamentable » si l'on envisage le « crime de lèse-civilisation » commis à Constantinople, cela peut se soutenir; mais la traiter « d'histoire ridicule (5) », ne se comprend plus. Plus loin, quand l'auteur, à propos de la croisade des Albigeois, affirme que les princes féodaux du Midi étaient << pour la plupart, quoi qu'on en ait dit, des catholiques fervents », l'opinion est inacceptable. La plupart de ces princes restèrent attachés extérieurement au catholicisme et ne firent jamais profession d'hérésie, mais ils étaient ou indifférents en matière religieuse, ou de cœur et d'esprit avec les prêcheurs des nouvelles doctrines.

Il est à peine besoin d'observer que quelques-unes de ces notices, dans le troisième volume comme dans les précédents, ont déjà vieilli. Aujourd'hui, pour ne citer qu'un exemple, le meilleur texte de l'Historia Albigensium de Guillaume de Puylaurens et le mémoire le plus développé sur son œuvre ne se trouvent plus dans les publications indiquées par Molinier, mais dans le fascicule XVIII de la Bibliothèque de la Faculté des Lettres de Paris (6) qui a été publié en 1904. Remarquons enfin, à propos de la notice 2432, qu'il n'est pas certain le moins du monde. que le titre de l'ouvrage de Pierre des Vaux de Cernay soit : De factis et trium

(1) Histoire de France publiée sous la direction de M. Lavisse, t. III, 2 partie (1901).

(2) Page 9.

(3) Page 145.

(4) Cf. p. 83 et 89, 84 et 91.

(5) Page 27.

(6) Texte du manuscrit le plus ancien, le 5212 du fonds latin de la Bibl. Nat., et notice par M. Beyssier. Un accident survenu au moment du tirage a rendu inintelligible la dernière ligne du texte de la chronique (p. 175), mais l'interversion est facile à corriger.

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