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sans en apprécier les qualités, dont on ne voit que les défauts, défauts que tout spécialiste reconnaît au premier coup d'œil. S'atteler à une pareille besogne est donc un peu, comme l'a dit un critique, faire œuvre d'ascète et travailler pour le bien commun. Le seul sentiment qui puisse consoler, en pareil cas, c'est la conviction qu'on a été utile, qu'on a facilité la tâche quotidienne à ses confrères en érudition et contribué au progrès futur de la science historique.

Auguste Molinier, prématurément enlevé à cette science qui lui doit tant, a pu déjà se rendre compte, de son vivant, du grand succès de sa publication. Mais ceux qui en ont maintenant la responsabilité ont un devoir strict à remplir. Un index détaillé et rigoureusement complet ne suffit pas. Il faut que ce répertoire soit tenu au courant du progrès scientifique. Pour la première période du moyen âge (vro-x1° siècles), il nous donne l'état des connaissances en 1902; fatalement, sur plusieurs points déjà, il a vieilli; l'inconvénient est inhérent à la nature même des travaux bibliographiques. C'est à l'éditeur qu'il appartient d'y porter remède en ne permettant pas qu'un temps trop long s'écoule avant la publication d'un supplément. Espérons qu'il comprendra la nécessité de faire paraître, à des intervalles suffisamment rapprochés, les Additions et Corrections qui maintiendront à l'œuvre sa haute valeur. La librairie française n'a eu que rarement jusqu'ici le souci de tenir à jour ses publications scientifiques; il serait déplorable, dans le cas actuel, qu'elle ne changeât pas d'habitude. L'éditeur des Sources de l'histoire de France a tout intérêt à ne pas laisser un aussi précieux instrument de travail perdre son utilité principale, qui est de donner aux médiévistes le dernier état de la science historique. Molinier avait lui-même annoncé, à la fin de l'avant-propos qui est en tête du premier volume, qu'il réunissait les éléments d'un appendice et qu'il donnerait même les plus récents résultats de la recherche savante dans une édition nouvelle si l'ouvrage recevait du public un accueil suffisant.

Nous verrons si les intentions de l'érudit, dont la perte est à jamais regrettable, seront prochainement réalisées.

Harrive parfois à Molinier de forcer, comme ici, l'expression de sa pensée. Les mérites de son répertoire

ACHILLE LUCHAIRE.

sont de ceux qu'on apprécie du premier coup d'œil et que personne ne

méconnaîtra.

LA TÉLÉGRAPHIE SANS FIL.

ALFRED T. STORY. The Story of wireless Telegraphy.
1 vol. in-8°. Londres, Newnes, s. d. [1905].

I. L'histoire des sciences comprend deux parties. La première, qui est l'histoire des théories, est liée d'une façon très étroite à l'histoire de la philosophie et, par là, à l'histoire générale; celui qui la voudrait écrire au fur et à mesure que les théories prennent naissance, rencontrerait les plus graves difficultés, puisqu'il ne saurait d'avance faire le départ entre celles qui ne seront qu'éphémères et celles qui, au contraire, serviront longtemps de guide aux chercheurs. La seconde partie est l'histoire des découvertes positives et, lorsqu'il s'agit ainsi de faits précis et bien déterminés, les spectateurs avisés, qui disposent d'informations immédiates, qui peuvent recueillir de première main des documents authentiques, feront, en apportant leur témoignage sincère, une œuvre d'érudition, dont personne ne contestera l'importance, mais que l'on serait probablement tenté de croire d'une exécution facile.

Il s'en faut cependant de beaucoup que semblable besogne, même limitée à l'étude d'une question très particulière, par exemple à celle d'une invention récente, puisse s'accomplir sans que l'historien rencontre de très sérieux obstacles.

Une invention n'est en réalité jamais attribuable à un seul auteur; elle est le résultat du travail de nombreux collaborateurs qui parfois s'ignorent les uns les autres, le fruit produit par des labeurs souvent obscurs. L'opinion publique, volontiers simpliste, en face d'une découverte sensationnelle, exige cependant que l'historien fasse office de juge; c'est sa tâche de démêler la vérité au milieu des compétitions et de dire à qui peut aller, sans s'égarer, la reconnaissance de l'humanité. Il doit, en expert habile, dépister les contrefaçons, s'apercevoir des plagiats les plus dissimulés, discuter de délicates questions de priorité; il doit ne pas se laisser faire illusion par ceux qui ne craignent pas d'annoncer, d'une façon téméraire, qu'ils ont résolu les problèmes dont ils pressentent que la solution est imminente et qui, le lendemain du jour où d'autres les ont définitivement élucidés, se proclament les véritables inventeurs; il . doit s'élever au-dessus d'une partialité qui se croit excusable parce qu'elle provient de l'orgueil national; il doit enfin rechercher avec patience les

antécédents, et, remontant ainsi de proche en proche, il risque de se perdre dans la nuit des temps.

Un exemple d'hier peut nous servir pour montrer les difficultés de cette tâche. Parmi les découvertes récentes, l'invention de la télégraphie sans fil est l'une de celles qui sont devenues rapidement populaires; elle paraît d'ailleurs constituer un sujet précis, nettement délimité.

Déjà plusieurs tentatives ont été faites pour en écrire l'histoire (1). M. J. J. Fahie publiait dès 1899, en Angleterre, un livre intéressant: History of wireless Telegraphy; vers la même époque, M. Broca faisait paraître en France un ouvrage très documenté intitulé: La télégraphie sans fil; dans les rapports présentés au Congrès international de physique réuni à Paris en 1900, un illustre savant italien dont les travaux personnels ont grandement contribué à l'invention du système actuel de télégraphie, M. Righi, a consacré un chapitre court mais assez complet de son magistral rapport sur les ondes hertziennes à l'histoire de la télégraphie sans fil; le même auteur, en collaboration avec M. Bernhard Dessau, a également écrit un livre plus étendu : Die Telegraphie ohne Dracht. Tout dernièrement enfin, M. A. Story vient de nous donner dans un petit volume: The Story of wireless Telegraphy, un résumé condensé mais très précis de toutes les tentatives qui ont été faites pour établir des communications télégraphiques sans l'intermédiaire d'un fil conducteur. Si M. Story n'a pas su toujours se montrer un critique très sévère, s'il pas éliminé avec assez de rigueur des essais parfois bien médiocres, s'il ne s'est pas complètement mis à l'abri du reproche justifié d'attribuer aux savants anglais une part léonine au détriment des savants des autres nationalités et particulièrement des représentants de la science française, il a du moins compulsé beaucoup de documents, fait de curieuses exhumations et étudié jusqu'aux dispositifs les plus récemment adoptés.

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Il peut être intéressant, en utilisant les renseignements qu'il nous fournit, en les complétant au besoin par quelques autres, de remonter aux sources d'une découverte moderne, de la suivre dans son développement et de constater ainsi une fois de plus combien la matière la plus simple en apparence exigerait de la part d'un historien qui voudrait faire œuvre définitive des recherches étendues et complexes.

II. La première difficulté, qui n'est sans doute pas l'une des moins graves, est de bien définir le sujet. Les mots : « télégraphie sans fil »,

Voir aussi J. Boulanger et G. Ferrié, La télégraphie sans fil et les ondes

électriques; et Domenico Mazotto, La télégraphie sans fil.

qui semblent tout d'abord répondre à une idée unique et parfaitement claire, se peuvent en réalité appliquer à deux séries de questions, très différentes aux yeux d'un physicien, qu'il importe de nettement distinguer.

Une transmission de signaux exige trois organes qui apparaissent tous trois d'une nécessité absolue : le producteur, le récepteur et, entre les deux, un intermédiaire établissant la communication. Cet intermédiaire est d'ordinaire la partie la plus coûteuse de l'installation, la plus difficile à établir, celle d'ailleurs où se produisent des pertes sensibles d'énergie aux dépens du bon rendement. Et, cependant, nos idées actuelles nous le font considérer, cet intermédiaire, comme impossible à supprimer, 'plus encore qu'autrefois, car si nous sommes définitivement débarrassés de la conception des actions à distance, il nous devient inconcevable que de l'énergie puisse être communiquée d'un point à un autre sans être transportée par quelque milieu interposé.

Mais pratiquement la ligne sera supprimée si, au lieu de la construire artificiellement, on utilise pour la remplacer l'un des milieux naturels qui séparent deux points situés sur la terre.

Or ces milieux naturels se rangent en deux catégories fort distinctes, et de ce classement résultent les deux séries de questions à examiner.

Entre les deux points se trouvent d'abord les milieux matériels, l'air, puis la terre ou bien l'eau; depuis fort longtemps on s'est servi, pour des transmissions à distance, des propriétés élastiques de l'air et, plus récemment, de la conductibilité électrique du sol et de l'eau, particulièrement de l'eau de mer.

La physique moderne nous amène d'autre part à considérer qu'il existe, répandu dans tout l'univers, un autre milieu plus subtil, pénétrant partout, doué d'élasticité dans le vide et conservant son élasticité lorsqu'il pénètre dans un grand nombre de corps, dans l'air par exemple; ce milieu, c'est l'éther lumineux, qui possède, on n'en saurait douter, la propriété de pouvoir transmettre de l'énergie, car c'est lui qui nous apporte l'immense majorité de l'énergie dont nous disposons sur la terre et que nous retrouvons dans les mouvements de l'atmosphère, dans les chutes d'eau, dans les mines de charbon provenant de la décomposition des composés du carbone sous l'influence de l'énergie solaire. Depuis longtemps aussi, bien avant que l'on ait mis en évidence l'existence de cet éther, on a su lui demander le service de transmettre des signaux.

Ainsi, à travers les âges se déroule une double évolution que devra suivre l'historien dont l'ambition sera d'être complet.

III. S'il examinait d'abord le premier ordre de questions, il pourrait

sans doute ne parler que brièvement des essais antérieurs à la télégraphie électrique, mais, sans chercher le paradoxe, il devrait cependant faire allusion à l'invention du porte-voix ou à d'autres semblables qui, depuis longtemps, permirent aux hommes, par un emploi ingénieux des propriétés élastiques des milieux naturels, de communiquer à des distances supérieures à celles qu'ils auraient atteintes sans le secours de l'art.

Après cette période, en quelque sorte préhistorique, rapidement parcourue, il lui faudrait suivre de très près le développement de la télégraphie électrique; presque dès le début, peu de temps après qu'Ampère avait émis l'idée de construire un télégraphe, le lendemain du jour où Gauss et Weber établissaient entre leurs maisons de Goettingue la première ligne véritablement utilisée, on songeait à se servir des propriétés conductrices de la terre et de l'eau.

L'histoire de ces essais est très longue, elle est étroitement mêlée à l'histoire même de la télégraphie ordinaire; de longs chapitres lui ont été depuis longtemps consacrés dans les traités de télégraphie. M. Story la résume dans quelques pages, qu'il ne sépare peut-être pas assez franchement de celles qu'il consacre ensuite aux recherches modernes, si différentes dans leur essence.

C'est en 1838 que le professeur C. A. Steinheil de Munich exprima, sans doute pour la première fois, l'idée nette de supprimer le fil de retour et de le remplacer par une communication du fil de ligne avec la terre; il parcourut ainsi du premier coup la moitié du chemin, la plus facile il est vrai, qui devait amener au but définitif, puisqu'il économisait la moitié du fil de ligne.

Steinheil, conseillé peut-être par Gauss, eut d'ailleurs une conception très exacte du rôle de la terre, considérée comme corps conducteur; il semble avoir bien compris que, dans certaines conditions, la résistance d'un tel conducteur, supposé indéfini, peut être indépendante de la distance des électrodes qui amènent le courant et lui permettent de sortir; il songea aussi à utiliser les rails des chemins de fer pour transmettre les signaux télégraphiques.

Plusieurs savants qui s'occupèrent, dès le principe, de la télégraphie eurent des idées analogues. C'est ainsi que S. F. B. Morse, surintendant des télégraphes du Gouvernement des États-Unis, dont le nom donné à l'appareil si simple qu'il inventa est universellement connu, faisant à New-York, dans l'automne de l'année 1842, devant une commission spécialement convoquée et en présence d'un public très nombreux, des expériences destinées à démontrer avec quelle sûreté et quelle facilité fonctionnait son appareil, pensa, au cours même des expériences, d'une

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