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façon fort heureuse, à remplacer, sur une longueur de près d'un mille, par l'eau d'un canal un fil qui venait d'être subitement et accidentellement détruit. Cet accident, qui avait un instant compromis le légitime succès qu'attendait le célèbre ingénieur, lui suggéra ainsi une idée féconde qu'il n'oublia pas; il répéta par la suite des essais d'utilisation de l'eau et du sol et il obtint des résultats très remarquables.

On ne saurait citer toutes les recherches entreprises dans la même voie et auxquelles sont plus particulièrement attachés les noms de S. W. Wilkins, de Wheatstone, de H. Highton en Angleterre, ceux de Bonelli en Italie, Gintl en Autriche, Bouchot et Donat en France. Il en est cependant auxquelles on ne peut songer sans émotion.

Le 17 décembre 1870, un physicien, qui a laissé dans l'Université un souvenir durable, M. d'Almeida, alors professeur au lycée Henri IV, plus tard inspecteur général de l'Instruction publique, quittait en ballon Paris assiégé; descendu au milieu des lignes allemandes, il parvenait, à la suite d'un voyage périlleux, à gagner le Havre en passant par Bordeaux et par Lyon; après s'être procuré les appareils nécessaires en Angleterre, il descendait la Seine jusqu'à Poissy; où il parvenait le 14 janvier 1871. Depuis son départ, deux autres savants, MM. Desains et Bourbouze, se relayant jour et nuit, attendaient à Paris, dans un bachot sur la Seine, prêts à recueillir un signal qu'ils guettaient avec une anxiété patriotique. Il s'agissait d'employer un procédé imaginé par Bourbouze, dans lequel l'eau du fleuve jouait le rôle de fil de ligne. Le 24 janvier, la communication paraissait enfin établie; malheureusement l'armistice, puis la reddition de Paris venaient rendre inutile le précieux résultat de ce noble effort.

On doit aussi une mention spéciale aux expériences exécutées par l'Office télégraphique des Indes anglaises, sous la direction de M. Johnson, puis de M. W. F. Melhuish; elles conduisirent en effet, en 1889, à des résultats si satisfaisants qu'un service de télégraphie, où le fil de ligne était remplacé par la terre, put fonctionner réellement et régulièrement.

D'autres tentatives furent aussi faites pendant toute la seconde moitié du xix siècle pour transmettre des signaux à travers la mer; elles précédèrent le moment où, grâce aux travaux de nombreux physiciens, parmi lesquels lord Kelvin occupe sans conteste une place prépondérante, l'on parvint à immerger le premier câble, mais elles ne furent pas abandonnées, même après cette date, car elles donnaient l'espoir d'une solution singulièrement plus économique. Parmi les plus intéressantes, on a conservé le souvenir de celles que S. W. Wilkins poursuivit assez longtemps, à partir de 1845, entre la France et l'Angleterre. Avec Cooke et

Wheatstone, il imagina d'employer comme récepteur un appareil qui ressemble par certains côtés au récepteur actuel des télégraphes sousmarins; plus tard George E. Dering, puis James Bowman et Lindsay firent dans la même voie des essais qui sont dignes d'être retenus.

Mais ce n'est que de nos jours que Sir William H. Preece obtint enfin, le premier, des résultats vraiment pratiques. Sir William a effectué luimême et fait exécuter par ses collaborateurs (il est ingénieur en chef de l'Office postal et télégraphique anglais) des recherches conduites avec beaucoup de méthode et appuyées sur des considérations théoriques précises. Il est ainsi parvenu à établir des communications très faciles, très nettes et très régulières, entre divers endroits, par exemple à travers le canal de Bristol.

La longue série de travaux accomplis par tant de chercheurs, dans le but de substituer un milieu matériel et naturel aux lignes métalliques artificielles, aboutissait ainsi à un succès incontestable qu'allaient bientôt éclipser les retentissantes expériences dirigées dans une voie différente par Marconi.

Il convient d'ajouter que sir William Preece avait lui-même utilisé, dans ses expériences, les phénomènes d'induction et commencé des recherches à l'aide des ondes électriques; on doit aussi lui savoir gré de la façon dont il accueillit Marconi; c'est certainement grâce aux conseils et à l'appui matériel qu'il trouva chez sir William que le jeune savant parvint à effectuer ses sensationnelles expériences.

IV. Le point de départ initial des expériences de transmission de signaux, fondées sur les propriétés de l'éther lumineux, est fort éloigné et il serait aussi très laborieux de rechercher tous les travaux accomplis dans cette seconde direction, même si l'on n'envisageait que ceux où entrent en jeu des actions électriques.

Une action électrique, influence électrostatique ou phénomène électromagnétique, se transmet à distance à travers l'air par l'intermédiaire de l'éther lumineux : mais l'influence électrique ne peut guère être utilisée; les distances qu'elle permettrait de franchir sont beaucoup trop faibles et les actions électrostatiques sont souvent bien capricieuses; les phénomènes d'induction, très réguliers, insensibles aux variations de l'état atmosphérique, parurent, au contraire, depuis longtemps, pouvoir servir dans des dispositifs télégraphiques.

On trouverait déjà, dans un certain nombre des essais dont il vient d'être parlé, un emploi partiel de ces phénomènes. Lindsay, par exemple, dans son projet de communication à travers la mer, leur attribuait un

SAVANTS.

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IMPRIMERIE NATIONALE.

rôle considérable. Ils permirent même, ces phénomènes, une véritable télégraphie sans fil intermédiaire entre les organes d'émission et de réception, à des distances très restreintes, il est vrai, mais dans des conditions particulièrement intéressantes. C'est, en effet, grâce à eux que C. Brown, puis Edison et Gilliland parvinrent à établir des communications avec des trains en marche.

M. Willoughby S. Smith, M. Charles A. Stevenson entreprirent aussi, dans ces vingt dernières années, des expériences où ils utilisaient l'induction; mais les essais les plus remarquables sont peut-être ceux du professeur Émile Rathenau. Avec l'aide de M. Rubens et de W. Rathenau, ce physicien poursuivit, à la demande du Ministère de la Marine de l'Empire d'Allemagne, une série de recherches qui l'avaient amené, grâce à un système mixte de conduction et d'induction par des courants alternatifs, à obtenir des communications nettes et régulières à une distance de 4 kilomètres.

Parmi les précurseurs, il conviendrait aussi de faire mention de Graham Bell; l'inventeur du téléphone songea à employer son admirable appareil comme récepteur de phénomènes d'induction transmis à distance; Edison, M. Sacher, de Vienne, M. Henri Dufour, de Lausanne, le professeur Trowbridge, de Boston, firent aussi de curieuses tentatives dans la même direction.

Dans toutes ces expériences se trouve déjà l'idée d'employer un courant oscillatoire. On savait d'ailleurs depuis longtemps (puisque dès 1842, le grand physicien américain Henry constatait que les décharges d'une bouteille de Leyde, placée dans le grenier de sa maison, donnaient naissance à des étincelles dans un circuit métallique observé au rez-dechaussée) qu'un flux variant rapidement et périodiquement a un effet beaucoup plus efficace qu'un flux unique, lequel ne peut produire à distance qu'un phénomène peu intense. Cette idée du courant oscillatoire est bien voisine de celle qui allait enfin conduire à une solution entièrement satisfaisante, solution qui, on le sait, est fondée sur les propriétés des ondes électriques.

V. Arrivé ainsi au seuil de l'édifice définitif, l'historien, qui aurait fait parcourir à ses lecteurs les deux routes parallèles que l'on vient de jalonner, serait amené à se demander s'il s'est montré un guide suffisamment fidèle et s'il n'a pas négligé d'attirer l'attention sur des points essentiels de la région traversée.

Ne doit-on pas, à côté, au-dessus peut-être, des auteurs qui ont imaginé les dispositifs pratiques, placer les savants qui ont construit les

théories, réalisé les expériences de laboratoire dont ces dispositifs ne sont, après tout, que d'assez immédiates applications? Si l'on parle de la propagation du courant dans un milieu matériel, peut-on oublier les noms de Fourier et de Ohm, qui établirent par des considérations théoriques les lois qui président à cette propagation? Si l'on envisage les phénomènes d'induction, ne serait-il pas juste de rappeler qu'Arago les pressentit, que Michel Faraday les découvrit?

Ce serait une tâche délicate, un peu puérile aussi, de classer par ordre de mérite les hommes de génie; le mérite d'un inventeur comme Edison et celui d'un théoricien comme Clerk Maxwell n'ont pas de commune mesure; aux uns comme aux autres l'humanité est redevable d'ur grand progrès.

Avant de dire comment on parvint à utiliser les ondes électriques pour la transmission des signaux, on ne saurait, sans ingratitude, passer sous silence les spéculations théoriques et les travaux de science pure qui conduisirent à la connaissance de ces ondes. Il conviendrait donc, sans remonter au delà de Faraday, de dire comment cet illustre physicien attira l'attention sur le rôle des milieux isolants dans les phénomènes électriques et d'insister ensuite sur les admirables mémoires dans lesquels Clerk Maxwell jetait pour la première fois un pont solide entre deux grands chapitres de la physique jusque-là indépendants l'un de l'autre, l'optique et l'électricité. Et sans doute on penserait qu'il serait impossible de ne pas évoquer le souvenir de ceux qui, en établissant d'autre part le solide et magnifique édifice de l'optique physique, en prouvant par leurs immortels travaux la nature ondulatoire de la lumière, préparaient, eux aussi, par la voie opposée, la jonction future. Dans l'historique des applications des ondulations électriques, les noms des Young, des Fresnel, des Fizeau, des Foucault doivent avoir place; sans eux l'assimilation entre les phénomènes électriques et les phénomènes lumineux qu'ils ont découverts et étudiés eût évidemment été impossible.

Puisqu'il y a identité absolue de nature entre les ondes électriques et les ondes lumineuses, on doit, en toute équité, considérer aussi comme de véritables précurseurs ceux qui imaginèrent les premiers télégraphes lumineux. Claude Chappe a fait incontestablement de la télégraphie sans fil grâce à l'éther lumineux, et les savants qui, comme le colonel Mangin par exemple, ont perfectionné la télégraphie optique ont indirectement suggéré certains perfectionnements apportés depuis peu à la

méthode actuelle.

Mais le physicien dont l'œuvre devra surtout être mise en évidence est, sans contredit, Heinrich Hertz. C'est lui qui démontra d'une façon

irréfutable, par des expériences aujourd'hui classiques, qu'une décharge électrique produit dans l'éther que contiennent les milieux isolants voisins un ébranlement ondulatoire; c'est lui qui, théoricien profond, mathématicien habile, expérimentateur d'une adresse prodigieuse, sit comprendre le mécanisme de la production, et élucida complètement celui de la propagation de ces ondes électro-magnétiques.

Il dut naturellement songer lui-même que ses découvertes pourraient s'appliquer à la transmission d'un signal; il paraîtrait cependant qu'interrogé par un ingénieur de Munich, nommé Huber, sur la possibilité d'utiliser les ondes pour des transmissions téléphoniques, il aurait répondu négativement en s'appuyant sur quelques considérations relatives à la différence entre les périodes des sons et celles des vibrations électriques. Cette réponse ne permet pas de préjuger ce qui serait advenu, si une mort cruelle n'avait, en 1894, enlevé, à l'âge de trente-cinq ans, le grand et infortuné physicien.

On pourrait aussi retrouver dans quelques travaux antérieurs aux expériences de Hertz des essais de transmission où, inconsciemment sans doute, étaient déjà mis en œuvre des phénomènes que l'on rangerait aujourd'hui à côté des oscillations électriques. Il serait loisible sans doute de ne pas parler d'un... dentiste américain, Mahlon Loomis, qui, d'après M. Story, fit en 1870 breveter un projet de communication où il utilisait les Montagnes Rocheuses, d'une part, et le Mont-Blanc, de l'autre, comme de gigantesques antennes pour établir une communication à travers l'Atlantique, mais on ne saurait passer sous silence les très remarquables recherches du professeur américain Dolbear, qui montra, à l'Exposition électrique de Philadelphie, en 1884, un ensemble d'appareils permettant de transmettre des signaux à distance et dans lesquels il signalait «< une application exceptionnelle des principes de l'induction électrostatique »; ces appareils comprenaient des groupements de bobines et de condensateurs, au moyen desquels il obtenait, on ne saurait en douter aujourd'hui, des effets dus à de véritables ondes électriques.

On devrait aussi faire ici une place à un inventeur bien connu, D. E. Hughes, qui poursuivit, de 1879 à 1886, des expériences très curieuses où certainement aussi les oscillations jouaient un rôle considérable; c'est, d'ailleurs, ce même physicien qui a inventé le microphone et attiré ainsi, d'autre part, l'attention sur les variations de résistance au contact, phénomène bien voisin de celui qui se produit dans les radioconducteurs, organes importants du système Marconi. Malheureusement, fatigué et malade, Hughes cessa ses recherches au moment peutêtre où elles allaient donner un résultat définitif.

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