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J'ai pris, j'ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jusqu'à mon cœur le venin parvenu,

Dans ce coeur expirant jette un froid inconnu.

Un poison qui a rendu mes veines brûlantes, et étant parvenu jusqu'au cœur, y jette le froid de la

mort.

Et la mort à mes yeux dérobant sa clarté,

Rend au jour qu'ils souilloient toute sa pureté.

Des yeux qui souilloient le jour en le regardant : quand ils ne le verront plus, le jour reprendra sa pureté.

Que ne peut avec elle expirer la mémoire, etc.

On ne dit point la mémoire d'un tel événement expirera: ce mot est ici très-juste. Thésée répond à ce qu'il vient d'entendre :

Elle expire, Seigneur.

Allons de ce cher fils embrasser ce qui reste.

Dans la tragédie de Garnier, il pouvoit l'embrasser sur le théâtre; il y étoit apporté par ses domestiques, qui disoient :

Dessus nos épaules

L'apportons veuf de vie étendu sur des gaules. J'observerai sur ce vers que cette expression veuf pour privé, qui est si élégante en latin, viduus pharetrá, n'a pu passer dans notre langue. Notre poète, dans Iphigénie, a dit qu'Achille rendroit la ville de Troie vide de citoyens, et n'a pas hasardé veuve, quoique Virgile ait dit: Viduasset civibus urbem.

REMARQUES.

Lieu de la Scène, Durée de l'Action.

EURIPIDE place le lieu de la scène vis-à-vis la porte du palais de Thésée, à Trézène. Phèdre mourante s'y

fait apporter sur un lit, par cette inquiétude qu'ont les malades, qui veulent changer de place, et n'en sort plus que pour aller dans son appartement se suspendre au lien fatal. Dans la tragédie française, comme dans presque toutes nos tragédies, le lieu de la scène est une grande salle du palais, où l'on a coutume de se rassembler. Phèdre y vient par cette même inquiétude qui fait sortir la Phèdre d'Euripide: elle vient dans un lieu plus éclairé que son appartement, pour voir le jour; et avant que d'y arriver, elle envoie sa nourrice en faire retirer tout le monde, parce qu'elle y veut être seule :

Elle veut voir le jour, et sa douleur profonde

M'ordonne toutefois d'écarter tout le monde.

Pourquoi, dira-t-on, y revient-elle faire sa déclaration à Hippolyte ? C'est ce que le poète a sagement ménagé. Phèdre n'y arrive alors qu'après avoir fait avertir Hippolyte de s'y rendre. Théramène vient dire à Hippolyte, qui y étoit déjà avec Aricie, que Phèdre va l'y venir

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Mais on vous est venu demander de sa part.

On peut faire encore une difficulté. Après qu'elle a été si mal reçue par Hippolyte, et qu'OEnone lui a dit :

Venez, rentrez, fuyez une honte certaine,

comment peut-elle reparoître au même endroit? Elle y vient cependant ouvrir le troisième acte. Elle sait qu'un héraut d'Athènes lui apporte les marques de la royauté; elle ne veut pas qu'il la trouve dans son appartement, parce qu'elle n'est pas en état de se montrer ; elle en sort en disant à OEnone :

Importune, peux-tu souhaiter qu'on me voie?

Elle ne craint pas de trouver Hippolyte en cet endroit, puisqu'elle sait qu'il part pour Athènes; et elle envoie

sa nourrice courir après lui pour lui offrir le diadême. Dans ce moment elle apprend le retour de Thésée, qui vient d'abord au lieu de la scène, comme, dans la tragédie de Mithridate, on y voit d'abord arriver ce prince. Ce lieu de la scène est, dans cette tragédie, aussi vraisemblable que dans les autres.

L'unité du jour y est aussi exacte que l'unité de lieu, et même il ne faut pas plus de temps pour l'action que pour la représentation.

ACTE I, SCENE L.

Comme personne ne peut savoir encore la raison du triste état où est Phèdre, cette première scène ne peut contenir toute l'exposition du sujet, qui est, comme je l'ai dit, la vengeance que Vénus doit tirer de Phèdre.. Le spectateur, qui entend dire d'abord que Phèdre est Une femme mourante, et qui cherche à mourir,

en saura la raison dans la troisième scène. Il est instruit encore, dans celle-ci, que Phèdre, qui a long-temps persécuté Hippolyte, paroît le moins haïr:

Mais sa haine, sur vous autrefois attachée,

Ou s'est évanouie, ou s'est bien relâchée.

Il apprend que Thésée est absent, et qu'Hippolyte, qui va le chercher, aime Aricie malgré la défense de son père. Le spectateur ne peut être mieux préparé à une action qui ne commence précisément que quand Phèdre, apprenant la mort de son mari, quitte la résolution qu'elle avoit prise de mourir.

Et quitte le séjour de l'aimable Trézène.

Euripide et Ovide font demeurer Hippolyte à Trézène. Diodore de Sicile et Pausanias rapportent que Thésée, après avoir épousé Phèdre, envoya Hippolyte à Trézène. Il ne vouloit point qu'après lui il eût le royaume d'Athènes, qu'il destinoit au fils de Phèdre; il ne vouloit pas non plus qu'Hippolyte fût soumis à un fils de Phèdre:

il lui destina le royaume de Trézène, qui avoit appartenu à son aïeul Pitthée; ce qui fait dire à Hippolyte, quand il apprend la mort de son père :

Et dans cette Trézène aujourd'hui mon partage,
De mon aieul Pitthée autrefois l'héritage, etc.

roi Hippolyte,

A cette nouvelle, Trézène reconnoît pour et Athènes reconnoît pour roi le fils de Phèdre. Mais Hippolyte prétend que le royaume d'Athènes doit appartenir à Aricie, par les raisons que j'expliquerai. Phèdre se trouve avec lui à Trézène, parce que Thésée, ayant tué les Pallantides, fut contraint de s'absenter de la ville d'Athènes pour un an ; ce qui fut cause qu'il se retira à Trézène avec Phèdre, qui y retrouva cet Hippolyte qu'elle avoit déjà vu à Athènes. Leur séjour dans la même ville donne lieu à l'action de la pièce, qui commence pendant l'absence de Thésée; et le poète français donne habilement pour cause de cette absence le voyage de Thésée aux Enfers, qui rend vraisemblable la nouvelle de sa mort.

J'ai couru les deux mers que sépare Corinthe.

Théramène fait ici la relation d'un assez long voyage, puisqu'après avoir été de Trézène à l'isthme de Corinthe, il a été jusqu'à l'embouchure de l'Achéron; de là a traversé l'Elide pour aller au Ténare, d'où il a été dans la mer Egée.

Cher Theramène, arrête, et respecte Thésée.

Le caractère vertueux dHippolyte est bientôt connut par son inquiétude sur l'absence de son père, par son ardeur à l'aller chercher encore, quoique Théramène ait déjà parcouru tant de pays, par la vivacité avec laquelle il interrompt Théramène qui veut parler des amours de son père, par la sagesse avec laquelle il en parle lui-même, et enfin par l'embarras où il se trouve quand il parle d'Aricie.

Au

Au tumulte pompeux d'Athène et de la cour.

Hippolyte avoit d'abord vécu à Athènes avec l'Amazone sa mère. Thésée y avoit établi une forme de gouvernement républicain dont il étoit le chef.

La fille de Minos et de Pasiphaé.

Ce n'est pas sans dessein que le poète instruit de la naissance de Phèdre. Comme fille de Minos, elle doit aimer la vertu; comme fille de Pasiphaé, il n'est pas étonnant qu'elle soit susceptible d'une passion honteuse. Je fuis, je l'avourai, cette jeune Aricie, Reste d'un sang fatal conjuré contre nous.

Puisqu'il l'avoue, il est donc coupable de l'aimer, surtout lorsque son père a une juste raison de s'y opposer. Egée, père de Thésée, qui avoit été le neuvième roi d'Athènes, avoit eu un frère nommé Pallante dont les fils, qu'on nomma les Pallantides, prétendirent au royaume de leur oncle. Quand ils virent Thésée reconnu pour le fils d'Egée, ils conspirèrent contre lui. Thésée les attaqua, les tua, et, pour expier ce meurtre, fut obligé de s'absenter d'Athènes. Le poète suppose Aricie sœur de ces Pallantides; et par-là, Thésée a raison de ne pas vouloir qu'elle se marie:

D'une tige coupable il craint un rejeton.

Que seroit-ce donc, si son fils même donnoit un rejeton à cette tige? Voilà ce qui, dans cette pièce, fait paroître coupable envers son père cet Hippolyte si vertueux.

C'est peu qu'avec son lait une mère amazone, etc.

Antiope, que Thésée fit prisonnière dans une guerre qu'on prétend qu'il fit aux Amazones. Thésée est un héros des temps fabuleux..

Tu me contois alors l'histoire de mon père.

Il va faire lui-même cette histoire en rappelant les plus fameux exploits de son père. Comme Thésée ne doit pas faire dans cette pièce un personnage avantageux,

TOME VI.

L

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