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ACTE II, SCENE I.

C'est lui, qui devant moi refusant de ployer, etc.

Dans le style noble, et surtout en vers, on dit ployer, et non pas plier: « Que tout ploie, et que tout est souple » quand Dieu commande! » Bossuet.

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Et je dois d'autant moins oublier la vertu,
Qu'elle-même s'oublie.

S'oublier se prend ordinairement en mauvaise part: ici, ce mot est pour négliger ses intérêts; et comme oublier la vertu veut dire ne la pas récompenser, ellemême s'oublie quand elle néglige de demander sa récompense.

SCENE V.

Pour vous régler sur eux, que sont-ils près de vous?

Que près soit ici syncope ou non, je ne crois pas qu'on le puisse critiquer, surtout en vers. Hippolyte dit à Théramène :

Attaché près de moi par un zèle sincère.

Et fais à son aspect que tout genou fléchisse,

Pour fais qu'à son aspect. Inversion très-ordinaire.

SCENE VII.

Esther, que craignez-vous? Suis-je pas votre frère?

En prose, on diroit ne suis-je pas? En vers, suis-je pas a un agrément, à cause de la vivacité. On a vu, dans Mithridate, sais-je pas pour ne sais-je pas.

Un éclat qui le rend respectable aux dieux mêmes.

« Ce mot, dit Richelet, est de nouvelle fabrique; » on ne s'en sert pas encore librement. » Il cite ce vers pour l'autoriser; ce qui a fait croire à plusieurs per

sonnes que l'auteur de la tragédie l'avoit fait. Il ne faisoit point de mots : celui-ci n'étoit pas encore fort en usage ; et comme il s'en est servi, il a pu contribuer à l'établir. Il est étonnant que respecter et respectable soient beaucoup moins anciens que respect. Je crois que la raison est que le verbe respecter ne vient point du latin, et respect en vient: Respectum habere ad senatum, Cicér. Respectuque mei, Ovid. On trouve dans le P. Bouhours comment le mot respectable s'est introduit dans notre langue.

Si ce succès dépend d'une mortelle main, Pour de la main d'un mortel.

SCENE VIII.

Si nous ne courbons les genoux.

On dit ordinairement ployer les genoux. Dans Malherbe :

A souffrir des mépris, à ployer les genoux.

L'auteur, qui pouvoit se servir également de ployer, a sans doute préféré courber.

Nulle paix pour l'impie; il la cherche, elle fuit.

M. l'abbé d'Olivet, qui condamne ce la, à cause de nulle qui précède, est fondé sur une règle de Vaugelas, qui est vraie en bien des occasions, mais qui n'est pas générale. Dans cet exemple : nulle récompense pour les poltrons, et vous la demandez, il est certain qu'il faut dire et vous en demandez une. Il y a plusieurs sortes de récompenses. Ici, comme il n'y a qu'une paix, cette manière de s'exprimer ne fait aucune peine; et même on ne pourroit pas dire: nulle paix pour l'impie, il en cherche une. Dans ces occasions, c'est le bon goût qui décide, et non pas la règle, quoique celle de Vaugelas, « qu'on ne doit pas mettre le relatif après un nom sans.

>> article,

soit sagement établie, et le plus communé

ment doive être suivie.

ACTE III,

SCENE I.

Eclaircissez ce front où la tristesse est peinte.

Et dans Iphigénie :

N'éclaircirez-vous point ce front chargé d'ennuis?

Et pour prix de ma vie à leur haine exposée,

Le barbare aujourd'hui m'expose à leur risée.

M'immole eût été plus fort; mais expose répond à la vie exposée du vers précédent.

Chassa tout Amalec de la triste Idumée.

On ne diroit point tout Hercule pour les Héraclides, tout Pallante pour les Pallantides; mais les Pallantides; mais comme, dans

le style de l'Ecriture-Sainte, on dit tout Israël pour le peuple sorti d'Israël, on peut dire tout Amalec pour les Amalécites, dont il fut le père.

SCENE III.

Que ce nouvel honneur va croître son audace!

On a déjà vu des exemples de ce verbe croître fait actif; il doit toujours être neutre dans la prose. Vaugelas avoue que « les poètes, pour la commodité des vers, » s'émancipent, et ne craignent point de le faire actif » quand ils en ont besoin, aussi bien que tarder; » il cite pour exemple ces deux vers de Malherbe :

Qu'à des cœurs bien touchés tarder la jouissance,
C'est infailliblement leur croître leur desir.

L'Académie, dans ses observations sur les remarques de Vaugelas, décide qu'on ne doit pas, même en poésie, employer ces deux verbes au neutre. Nous n'avons point trouvé dans ces tragédies d'exemple de tarder actif; mais puisqu'il y en a plusieurs de croître, cette autorité ne peut-elle pas balancer la décision de l'Académie?

SCENE IV.

Dans quel sein vertueux avez-vous pris naissance?

Expression hardie. On dit un chaste sein ; mais avoiton dit un sein vertueux?

Ont vu bénir le cours de leurs destins prospères.

Vieux mot qui ne se dit plus en prose, et qui a de la noblesse en vers. Malherbe aimoit à l'employer:

O que nos fortunes prospères !

Ce mot fait bien comme épithète; mais il ne plaît pas dans ce vers de Malherbe :

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On traîne, on va donner en spectacle funeste, etc.

Il est certain que, quand on dit donner en spectacle, on ne doit point ajouter d'épithète à spectacle. La critique de M. l'abbé d'Olivet est bien fondée.

SCENE IX ET DERNIÈRE.

Il sembloit à son gré gouverner le tonnerre ;

Fouloit aux pieds ses ennemis vaincus.

En prose, il faudroit ajouter et. Les vers permettent de pareils retranchemens.

Du temple où notre Dieu se plaît d'être adoré.

En prose, il faudroit se plaît à. En vers, de ne fait point de peine.

Au-delà de l'éternité.

On dit au-delà de mes espérances, au-delà des mers, au-delà des temps et des âges; c'est-à-dire, dans l'éternité. Quand le poète a dit au-delà de l'éternité, il a voulu rendre in æternum et ultra de la Vulgate; ce que Vatable a traduit, suivant l'hébreu : In sæculum et ultra. « Dans le temps et au-delà; » c'est-à-dire, dans l'éter

nité.

M. l'abbé d'Olivet, qui, dans son ouvrage intitulé Remarques de Grammaire sur Racine, n'a examiné ni la première tragédie ni la dernière, après avoir dit, en finissant ici ses remarques, qu'il a relevé peut-être une centaine d'expressions, ajoute : « Qu'est-ce qu'une » centaine d'expressions peu exactes, dans une quantité » d'environ quinze mille vers? Il y a peut-être moins à > reprendre dans Racine que dans nos ouvrages de prose » les plus estimés. » Dans ses remarques, il a quelquefois relevé de véritables fautes; il a quelquefois aussi critiqué des expressions qu'on peut justifier. La poésie a ses priviléges; et les excellens écrivains en ont un dont ils n'abusent jamais : il leur est permis de s'écarter quelquefois des règles de la Grammaire, parce qu'ils ne s'en écartent que pour rendre service à la langue.

REMARQUES.

Lieu de la Scène, durée de l'Action.

UNE pièce dramatique n'est pas défectueuse pour n'être qu'en trois actes. Ce partage en actes, qui ne nous est connu que par les Romains, n'est fondé sur aucune raison; et malgré ce qu'a dit Horace (ce qu'il n'a point tiré d'Aristote), il est indifférent qu'une pièce soit en trois, quatre ou cinq actes : il est seulement nécessaire que l'action ait son étendue suffisante. Celle de cette tragédie a toute son étendue, et est partagée en quatre intermèdes, suivant la forme des tragédies grecques.

L'unité de lieu n'y peut être conservée, puisqu'Esther doit être, tantôt dans son appartement, tantôt dans la chambre d'Assuérus, où elle entre sans être attendue,

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