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Ces derniers vers, où la simplicité de l'original n'est

pas conservée, n'ont pas la même beauté.

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ADDITION AUX REMARQUES

SUR

ESTHER ET ATHALIE.

J'AVOIS écrit mes remarques sur Esther et Athalie, et elles n'étoient plus entre mes mains, lorsque le volume XV de l'Histoire du Théâtre français ayant été imprimé, m'a appris qu'Esther avoit paru sur le théâtre public de Paris en 1721, et qu'on trouvoit une critique d'Athalie dans un Mercure de 1722.

J'ai bien pu ignorer cette ancienne critique; mais je ne sais comment il m'est arrivé de n'avoir eu aucune connoissance de ces représentations d'Esther. Je ne fus témoin d'aucune de celles d'Athalie en 1716; mais je sus l'impression qu'elles faisoient sur les spectateurs, et leur satisfaction, par tous les discours publics. Celles d'Esther firent donc bien peu de bruit, puisque je n'en entendis point parler alors, et qu'elles m'étoient encore aujourd'hui inconnues.

Des personnes qui les ont vues, viennent de m'assurer qu'elles n'avoient pas fait une grande impression sur les spectateurs, qui, en admirant la pièce, l'écoutèrent trèsfroidement. Elle fut jouée huit fois, et n'a point reparu sur le même théâtre.

Voilà donc une pièce de l'auteur, que je me fais gloire d'admirer, qui a été, dans la représentation, aussi malheureuse que cinq ans auparavant Athalie avoit été heureuse. Athalie a souvent reparu depuis, et paroîtra encore

souvent, selon les apparences. Quelle peut être la raison de ces deux destinées différentes?

Je ne puis imputer les malheurs d'Esther (si c'en est un) au jeu des acteurs. Les deux principaux personnages étoient exécutés, l'un par notre Roscius, l'autre par une actrice extrêmement célèbre.

Je ne puis l'imputer à la sainteté de la pièce : la même sainteté règne dans Athalie.

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Je ne puis l'imputer au goût d'un siècle qui, en 1716, rendit justice à Athalie. Le siècle de Louis XIV fut, la vérité, favorable à Esther. On peut croire, sur les représentations faites à Saint-Cyr, ce qu'en ont écrit madame de Sévigné et madame de la Fayette, qui n'étoient pas disposées à admirer aisément l'auteur. Mais, comme c'étoit faire sa cour à Louis XIV que de lui demander d'être admis aux représentations qui se faisoient à Saint-Cyr en sa présence, le succès de ces représentations ne prouve rien en faveur de la pièce.

Je pourrois dire que le retranchement des chœurs, où règne toute la douleur, a dû lui faire perdre sur le théâtre public sa plus grande beauté. Cependant l'action seule ne devoit-elle pas, comme celle d'Athalie, faire sur les spectateurs une vive impression? Sans doute; et s'ils sont restés froids, c'est la faute de la pièce.

Je suis contraint de l'avouer : ce qui contribue à me convaincre des principes d'Aristote, que j'examinerai dans le Traité suivant.

Lorsqu'en parlant des parties essentielles à la tragédie, comme les caractères, les sentimens, la diction, il recommande surtout la première et la plus importante partie, celle qui est l'âme de toute la tragédie, l'action, il a donc une grande raison. Et qu'est-ce que l'action, selon lui? Une liaison, un contexte d'incidens qui amène une péripétie. Voilà ce que n'a point Esther. L'action est défectueuse

défectueuse, et même n'est point action théâtrale, parce qu'un changement de résolution n'est point une action, en prenant ce mot dans le sens d'Aristote.

Un roi, trompé par son ministre, a signé un édit qui dans dix jours causera le carnage d'un peuple: on trouve le moyen de faire entendre à ce roi qu'il a été trompé ; un seul entretien le désabuse; il révoque son édit. Voilà seulement un changement de résolution. Le peuple condamné ne sera pas exterminé dans dix jours: il n'y a en cela ni péripétie ni catastrophe; ses craintes seulement sont apaisées. La mort d'Aman n'est qu'un événement particulier : c'est un grand-seigneur qui fait étrangler son visir. Les principaux personnages de la pièce ne changent point d'état, mais seulement cessent de craindre un carnage qui devoit arriver dans dix jours.

Riccoboni s'est donc trompé quand il a écrit : « Si >> Esther avoit cinq actes, elle ne plairoit guère moins » qu'Athalie. » Elle peut, en trois actes, comme en cinq, causer une grande émotion; et lorsqu'elle n'en cause pas, c'est que l'action n'est point théâtrale.

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Le sujet étoit cependant très-heureusement choisi pour remplir de pieuses intentions sur l'éducation de la jeunesse de Saint-Cyr. L'auteur n'avoit pas non plus destiné son ouvrage à un autre usage: il paroît même qu'il n'avoit pas voulu le faire imprimer, puisque, de toutes ses pièces, celle-ci est la seule dont le privilége ne soit pas en son nom. Il est accordé aux Dames de Saint-Cyr : « Ces Dames nous ont fait remontrer que le sieur Ra»cine ayant, à leur prière, et pour l'édification des » jeunes demoiselles, composé un ouvrage de poésie » intitulé Esther...., nous avons auxdites Dames per» mis de faire imprimer ledit ouvrage........, avec défenses » à tous acteurs et autres montant sur les théâtres pu»blics, d'y représenter ledit ouvrage; et cet ouvrage, TOME VI.

V

dans le privilége, n'est jamais, comme Athalie dans un autre privilége, appelé tragédie.

L'auteur étoit trop instruit de son art, pour ne pas sentir, au milieu des applaudissemens donnés à SaintCyr, , que cet ouvrage n'avoit point la partie la plus essentielle de la tragédie. Cette raison l'engagea sans doute à en faire un autre également saint, dans lequel il fût maître de conduire son action en poète, et d'être créateur du contexte des incidens, pour en faire une véritable tragédie.

Pourquoi cependant ne fut-elle pas si bien reçue qu'Esther, quand elle parut imprimée? Et pourquoi ceux qui n'admiroient pas Esther, dirent-ils hautement : Elle vaut encore mieux qu'Athalie? Il est aisé de rendre raison de ce jugement précipité, qui prouve que le public, qui à la fin rend toujours justice, peut se tromper long-temps.

Le bruit qu'avoient fait les représentations de SaintCyr, fut cause qu'Esther imprimée eut beaucoup de lecteurs. Les personnes sans préjugés admirèrent les caractères, les sentimens, la diction, et ne critiquèrent point le défaut de l'action, parce qu'un lecteur ne s'en aperçoit pas comme un spectateur. Quand son esprit est content de ce qu'il lit, il loue tout l'ouvrage; mais en vain un spectateur a l'esprit content et les oreilles enchantées par les vers, si son cœur n'est point ému, troublé, agité, il dit que l'ouvrage est froid, et ne sort jamais content d'un spectacle qui l'a laissé tranquille. C'est par la représentation que le mérite d'une action théâtrale est connu; et Aristote, qui écrivoit sur des pièces faites pour être jouées, avoit toujours l'action en

vue.

L'auteur d'Athalie n'ayant jamais été témoin d'une représentation d'Athalie faite avec appareil devant plu

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