devient vertu dans Junie et dans Monime. Il est vertu dans Junie, qui ayant été destinée à épouser l'héritier de l'empire, préfère ce prince dans la disgrace, à celui qui lui offre l'empire. L'amour est vertu dans Monime, ainsi que dans Xypharès, parce que tous deux n'en parlent que quand il leur est permis d'en parler, se taisent et renoncent l'un à l'autre quand ils croient n'être plus destinés l'un pour l'autre. L'estime qu'on a d'eux cause l'intérêt qu'on prend à leurs périls; et cette pièce est une de celles que le public revoit le plus souvent, parce qu'excitant toujours la crainte et la pitié, elle est encore soutenue par la beauté des caractères, que j'examinerai après avoir parlé du sujet de la pièce. Sujet de Mithridate. Quelle est l'action de cette tragédie, demande le P. Saverio dans son long ouvrage sur la poésie? J'ai entendu quelque critique faire la même question. Si c'est, disent-ils, l'union de Xipharès et de Monime, Mithridate ne fait donc qu'un second personnage dans cette pièce; si le véritable sujet de la pièce est la mort de Mithridate, comment cette mort peut-elle être une suite de l'action, puisque les Romains n'arrivent que comme par hasard? Ce n'est pas ce qui s'est passé dans la pièce qui a causé leur arrivée ; et si Mithridate meurt, c'est parce qu'il a voulu se tuer. La catastrophe est imprévue, et par conséquent n'est point une suite de l'action. D'ailleurs, ajoutoient ces mêmes personnes, Mithridate est cru mort quand la pièce commence; et l'exposition du sujet n'annonce qu'un trouble entre les deux frères pour le partage des Etats de leur père, et surtout pour la possession de Monime. L'auteur semble avoir prévu cette difficulté, puisque dans la préface de cette pièce il en déclare le sujet; ce qu'il n'a point coutume de faire. La résolution que Mithridate prit d'aller à Rome, « fut, dit-il, en partie >> cause de sa mort, qui est l'action de ma tragédie. » Si l'on y fait attention, cette action commence avec la tragédie, et Mithridate est la cause du trouble qui règne dans sa famille. Ses deux fils vont se disputer sa succession; et Pharnace, pour être le plus fort, a demandé aux Romains un secours qu'il attend à toute heure c'est Mithridate qui a fait naître ce trouble, parce que c'est lui qui, pour connoître la fidélité de ses fils et celle de Monime, a fait répandre la fausse nouvelle de sa mort, comme il le dit en arrivant : : Vous avez cru des bruits que j'ai semés moi-même. C'est donc lui qui a commencé l'action de la tragédie, et qui la continue par ses soupçons. Il aliène de lui le cœur de ses fils, lorsqu'il en a le plus grand besoin; et sa violence, quand il fait arrêter Pharnace, engage ce fils à faire révolter une partie de ses soldats, en leur disant que son père va les mener à Rome : en sorte que les soldats rebelles se joignent aux Romains lorsqu'ils arrivent ce qui cause un combat dans lequel Mithridate perd trop tôt l'espérance, parce qu'il ne se conduit jamais que par emportement. En se jetant sur son épée, il se punit lui-même de toutes ses fautes. Quoiqu'admiré par ses grandes qualités dans la guerre, il n'est plaint que médiocrement, à cause qu'il est l'auteur de son malheur: ainsi la catastrophe est funeste à celui qui, oubliant son âge et le triste état où il est réduit, s'est livré à une jalousie amoureuse; et en même temps elle est heureuse pour les amans, qui, toujours traversés dans leurs innocentes amours, ont sacrifié leur passion à leur devoir. La morale de cette pièce ne se fait point chercher. Avant que d'en parler, examinons les caractères. MITHRIDATE. Mithridate a été appelé par Cicéron le plus grandhomme depuis Alexandre Vir post Alexandrum maximus. Il est tel dans cette tragédie que dans l'histoire, toujours occupé des grands desseins que lui inspire sa haine pour Rome, et plein d'un courage qui n'est jamais plus grand que dans l'adversité. A ses grandes vertus militaires il joint tous les vices du cœur : il est violent, emporté, jaloux, cruel; et toujours fertile en dangereux détours, plus capable de haïr que d'aimer, Sa haine va toujours plus loin que son amour. Sa jalousie et sa cruauté augmentent dans ses malheurs : Plus il est malheureux, plus il est redoutable. Ce n'est pas assez pour lui d'être dissimulé, il emploie le mensonge et la perfidie; et comme il ne se conduit qu'avec violence, tout ce qu'il fait est imprudent. Son dessein d'aller à Rome est un projet insensé, qui indispose son armée contre lui; et quoique dans cette circonstance, et surtout à son âge, il soit ridicule de songer à l'amour, il choisit ce moment pour épouser Monime, afin de désespérer ses deux fils: il fait enfermer l'un, et médite la perte de l'autre, lorsque tous deux lui sont très-nécessaires. Quand il se voit enveloppé par les Romains unis à ses soldats rebelles, il envoie empoisonner Monime, afin qu'elle ne soit à aucun de ses deux fils; et quand il se voit secouru par Xipharès, il envoie révoquer l'ordre du poison, pour pouvoir récom penser le fils qu'il reconnoît lui être fidèle. Il avoit tant de bonnes et de mauvaises qualités, qu'il est, comme dit Paterculus, un homme dont on ne peut se taire, et qu'on n'ose louer vir neque silendus neque dicendus ; : et c'est ce mélange de vertus et de vices, qui fait de Mithridate un grand personnage tragique, et beaucoup plus théâtral qu'un héros parfait. MONIME. Le poète a voulu faire le portrait d'une femme toujours malheureuse, et toujours pleine de sagesse, de modestie et de douceur. Persuadée que le ciel n'approuve pas la passion secrète qu'elle a dans le cœur, elle n'est occupée que du soin de l'y étouffer; et ne pouvant être à celui qu'elle aime, elle est toujours prête d'épouser, par obéissance, celui qu'elle a sujet de haïr. Lorsque Mithridate arrive, et lui déclare que dans le moment même il veut l'épouser, elle l'assure de son obéissance. Mithridate, peu content de cette obéissance, la soupçonne amoureuse de Pharnace, et veut la mettre sous la garde de Xipharès: alors, pour faire comprendre à Xipharès qu'il ne peut rester auprès d'elle, elle se voit obligée de lui faire l'aveu d'un amour qu'elle lui a toujours laissé ignorer; et c'est à cause qu'elle a pour lui de pareils sentimens, qu'il faut qu'il renonce à la voir. Elle ne le verra plus paroître sans sentir aussitôt son âme Revoler vers le bien dont elle est séparée; mais sa main ira dans son cœur pour y laver sa honte, et en arracher celui qu'elle aime. Cet amour, déchirant une âme vertueuse et capable de soutenir un si cruel combat, est un amour digne de la tragédie. Lorsque Mithridate, par une basse trahison, lui a arraché son secret, et l'a fait rougir d'un feu qui n'étoit pas pour lui, quelle douceur dans ses reproches ! Quoi, Seigneur, vous m'auriez donc trompée ! Et si elle dit avec quelque vivacité qu'elle aime mieux mourir que de l'épouser après une telle perfidie, elle semble demander pardon de cette vivacité, en ajoutant: Puisqu'ainsi je vous ose parler, Et m'emporte au-delà de cette modestie Dont jusqu'à ce moment je n'étois point sortie. Elle ne parle jamais qu'avec respect à Mithridate, qu'elle appelle le plus grand des humains, même après qu'il l'a trahie; et lorsqu'elle reçoit le poison qu'il lui envoie, elle se dispose à le prendre sans éclater en injures, et sans oser demander d'être unie du moins dans le tombeau avec Xipharès qu'elle croit mort. Quand elle apprend qu'on apporte Mithridate mourant, elle plaint la destinée de ce grand roi. Elle craint d'avoir contribué à son malheur; et ne se souvenant plus du poison qu'elle a reçu de sa part, elle le rappelle à la vie, en lui disant : Vivez, Seigneur, vivez pour nous voir l'un et l'autre C'est en effet au bonheur de ce prince si cruel que Monime et Xipharès ont toujours sacrifié le leur. HARNACE ET XIPHARÈS. Les deux frères ont des caractères très - opposés. Pharnace, ami des Romains, a eu recours à eux sitôt qu'il a appris la mort de son père : il attend leur secours pour s'emparer de force des Etats qu'il prétend lui appartenir; et c'est aussi avec autorité qu'il prétend s'emparer de Monime. Xipharès, au contraire, toujours dévoué à son père, a hérité de sa haine pour Rome. Il aime Monime; mais il la laisse maîtresse de se choisir |