Images de page
PDF
ePub

comme lui, se borner à plaire à des lecteurs, que de s'exposer aux dédains d'un spectateur difficile :

Quàm spectatoris fastidia ferre superbi.

CHAPITRE VII.

Histoire de la Poésie dramatique moderne.

QUINTILIEN Compare le respest qu'imprimoient encore aux Romains de son temps les noms d'Ennius et de Pacuvius, à ce respect religieux qu'impriment dans les forêts ces vieux troncs qui ont, par leur antiquité, quelque chose de vénérable. Quand à tous les noms de troubadours nous ajouterions ceux de maître Eustache, Gacebrulés, Grognet, Guillaume de Lorris, appelé notre Ennius par Marot; ceux même de Jodelle et de Garnier, nos premiers poètes de théâtre, tous ces noms ne nous imprimeroient aucun respect. Notre langue ne s'étant formée que fort tard, nous accordons aux Italiens qu'ils ont eu une poésie noble, et digne de vivre encore, long-temps avant nous. Ils prétendent aussi, et les Espagnols, comme les Anglais, prétendent, comme eux, avoir eu long-temps avant nous une poésie dramatique nous leur accordons qu'ils ont eu des théâtres avant nous, et nous ne leur envions point cette gloire, parce que, comme tout ce qui s'exécute en dialogue sur un théâtre n'est pas poésie dramatique, nous croyons ne devoir placer le temps de la véritable renaissance en Europe, de la tragédie et de la comédie, qu'au temps de Corneille et de Molière. C'est ce que fera connoître une histoire trèsabrégée, dans laquelle je ne prétends point discuter des questions obscures sur les origines et les antiquités des théâtres, questions où les recherches sont très-difficiles et les découvertes très-peu importantes.

Les théâtres ne tombèrent pas avec l'Empire romain en Italie, s'il est vrai, comme le soutiennent quelques personnes, que la farce italienne, spectacle très-ancien et très-constant en Italie, est une suite de ces spectacles bouffons dont les Romains, dans les derniers temps, étoient si amoureux, et que les Zanni rendent ce personnage nommé par Cicéron Sannio, acteur qui, au rapport de Cicéron, faisoit rire par sa voix, son visage, ses gestes et toute sa figure : Ore, vultu, motibus, voce, denique corpore ridetur ipso. C'est par ce passage d'un écrivain si grave, qu'on croit découvrir l'origine d'un acteur qui portant le nom bizarre d'Arlequin, est couvert d'un habit qui n'a aucun rapport à l'habit d'aucune nation, et est un mélange de morceaux de drap de différentes couleurs, coupés en triangles; baladin qui porte un petit chapeau sur une tête rasée, un masque dont le nez est écrasé, et, comme le planipes des Romains, a des souliers sans talons; acteur principal d'un spectacle dont le langage est aussi bigarré que son habit, puisque les acteurs y doivent parler différens idiomes, le vénitien, le boulonnais, le bergamasque, le florentin; mime dans son jeu comme dans son habit, puisque le mime (comme on le voit dans un passage d'Apulée ) étoit vêtu, centuncuculo, d'un habit de pièces et de morceaux; personnage qui est toujours prêt à recevoir des soufflets, suivant un passage du Traité de Tertullien sur les spectacles: Faciem suam contumeliis alaparum objicit. On peut aussi rapporter à la mêine antiquité le Polichinelle, puisque le P. Saverio nous apprend que le masque de cet acteur est semblable à un masque antique qu'on conserve dans l'Italie, et dont on voit la figure dans Ficoronius, de larvis scenicis. On trouve aussi l'origine de ce petit manteau qui ne sert que de badinage à un Scapin, dans les figures du manuscrit de Térence qui est à la bibliothèque du Vatican. Tous les esclaves ont un pareil manteau, avec lequel ils ne font que badiner.

Voilà assez d'érudition, au sujet d'Arlequin, pour conclure que ces spectacles, assez semblables à ceux des pantomimes, et où régnoient les lazzi, ont survécu à la tragédie et à la comédie : « Ils ont leur beauté. » Hanno veramente il suo bello, dit le P. Saverio, qui observe que les pièces régulières, quand elles parurent en Italie, ne les firent pas tomber. Nous avons eu aussi nos farceurs. Charlemagne les chassa, et la sagesse de nos rois a plus d'une fois mis un frein à la licence de pareils spectacles. Les troubadours donnoient quelquefois le nom de tragédie et de comédie aux fabliaux qu'ils récitoient; mais on connoissoit si peu alors ce que signifioient ces termes, que le Dante appelle comédie son poëme sur l'Enfer, le Paradis et le Purgatoire, et appelle tragédie l'Enéide. Sa raison étoit que toute poésie en style élevé devoit être appelée tragédie, et celle en style plus simple devoit être appelée comédie. Par la même raison un homme qui traduisit en vers italiens les Epîtres d'Ovide, intitula sa traduction : Comédia del' Epistole d'Ovidio. (Maffei, des Traduct.)

Nous n'avons eu long-temps d'autres spectacles que ces pieuses mascarades, par lesquelles, sous prétexte de célébrer les fêtes, on profanoit les églises. Enfin, comme si la religion devoit toujours avoir part à la naissance de la poésie dramatique, on attribue l'établissement des représentations théâtrales sérieuses à ces pélerins qui revenant de la Terre-Sainte, le bourdon à la main, voulurent amuser le peuple. Il reconnurent bientôt, sans avoir lu Aristote, que pour l'amuser il falloit le faire pleurer; et ne trouvant pas de sujet plus lamentable que la Passion de NotreSeigneur, ils la représentèrent. Dans ce sujet, il leur étoit aisé, en faisant paroître des Diables, d'exciter la terreur et la pitié. Le premier essai du spectacle tragique se fit à Saint-Maur on y représenta la Passion de Notre-Seigneur; et le prévôt de Paris, scandalisé de cette

:

nouveauté, défendit de pareils spectacles par son ordonnance du 3 juin 1398. Les acteurs se pourvurent à la cour, et, pour se la rendre favorable, érigèrent leur société en confrérie, sous le titre de la Passion de Notre-Seigneur. Le roi voulut voir leurs spectacles, et, en ayant été édifié, approuva leur confrérie par lettres-patentes du 4 décembre 1402, leur permettant de représenter la Passion et les Vies des Saints. Lorsqu'en 1420, les rois de France et d'Angleterre firent leur entrée dans Paris, on représenta, disent nos historiens, «< un molt piteux mistère de la Passion, et » n'étoit homme qui le vît, à qui le cœur ne apiteast.»

Les Italiens eurent de pareilles représentations. Une de leurs anciennes pièces de théâtre est intitulée della Passione di Nostro Signor Giesu Christo; et le principal institut de la confrérie del Gonfalone, étoit de représenter la Passion. Partout ce sujet parut le plus propre à la tragédie, comme étant un sujet tout de larmes ; et partout on exécutoit sur le théâtre des sujets saints.

On a connoissance d'une requête que le clergé d'Angleterre présenta à Richard II, parce qu'ayant fait de grandes dépenses pour représenter à Noël l'Histoire du vieux Testa-' ment, il supplioit sa majesté de ne point permettre à d'autres de la représenter.

Lenfant, dans son Histoire du Concile de Constance, rapporte que, quand l'empereur y arriva, les évêques anglais firent représenter devant lui, en 1417, une Comédie ou moralité sur la naissance du Sauveur, l'arrivée des Mages et le massacre des Innocens ; sujet fort tragique, qui à aussi paru sur notre théâtre, aussi bien que la décolation de saint Jean-Baptiste.

Les spectacles donnés par les évêques anglais au concile de Constance, parurent très-nouveaux aux Allemands. Les représentations de ces premières pièces, qui contenoient plusieurs actions, étoient fort longues. Il y en eut une à Angers qui dura quatre jours, et qui fut précédée par une

Grand'Messe, dont on avança l'heure, de même qu'on retarda celle des Vêpres, afin que le clergé y pût assister. On se faisoit un pieux devoir, dans les églises, de prêter des habillemens aux acteurs, et un sacristain des cordeliers fut cruellement puni, suivant Rabelais, pour n'avoir pas voulu prêter à Dieu le père une pauvre chape.

Quand les confrères de la Passion furent établis à Paris. par lettres-patentes, les beaux-esprits travaillèrent pour eux. Les deux Grebans furent leurs poètes ; et parce que les premières pièces avoient été appelées mystères, toute pièce de théâtre, sainte ou profane, sérieuse ou bouffonne, fut appelée mystère. On disoit le mystère de Griselidis, le mystère du Chevalier qui donne sa femme au Diable. Les êtres moraux, si en usage dans notre première poésie, étoient les personnages de ces pièces, Espérance, Contrition, Chasteté, Regnabo, Regnavi.

Les Italiens avoient quitté avant nous les représentations pieuses, puisqu'on croit que la Calandra fut jouée au commencement du seizième siècle. L'auteur ayant été fait cardinal en 1514, on doit croire charitablement qu'il l'avoit composée avant que d'être du sacré collége. Elle fut imprimée en 1523, sous ce titre : Comedia nobilissima è ridiculosa, per il Reverendissimo Cardinale da Bibiena; cette pièce ridiculosa paroissant faire beaucoup d'honneur à son auteur, Reverendissimo.

La comédie le tre Tiranni, indigne de paroître devant de graves spectateurs, fut représentée à Bologne, en présence du pape, de l'empereur et des cardinaux : ces deux pièces sout comptées par les Italiens comme leurs deux premières pièces régulières. Ce n'étoient que des farces que jouoit la troupe comique de Sienne; troupe si excellente, que Léon X, qui molte di tali com ponimenti se dilettava, dit le P. Saverio, la faisoit venir tous les ans à Rome pendant le Carnaval : attention qu'eut pendant tout le temps

« PrécédentContinuer »