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à perito artis musicæ factis. C'est pourquoi on voit à la tête des comédies de Térence, le nom de celui qui avoit fait les modes. Quand on changeoit les modes du cantique, ce qui arrivoit quelquefois, on mettoit à la tête de la pièce M. M. C.; c'est-à-dire : mutatis modis cantici.

Il faut distinguer diverbium, choricum, canticum.' Le diverbium étoit le dialogue, l'ouvrage du poète, récité par les acteurs : le reste étoit l'ouvrage du musicien..

Le choricum étoit la musique du choeur, qui commençoit avant la pièce par une ouverture. Quand les personnes accoutumées à aller aux spectacles entendoient l'ouverture, elles disoient : « C'est Antiope, c'est Andromaque qu'on » va jouer ; » et Cicéron avoue qu'il n'avoit pas cette connoissance, parce qu'il n'alloit pas assez souvent aux spectacles.

Le canticum s'exécutoit ainsi : Une voix seule chantoit, accompagnée de la flûte, pendant qu'un danseur imitoit, par ses gestes, une action qui avoit ordinairement rapport à la pièce. Si c'étoit Andromaque, il dansoit les malheurs d'Andromaque. Ce canticum étoit aussi nommé soliloquium (mot que nous rendons mal par monologue), à cause qu'une voix seule chantoit, au lieu que dans choricum toutes les voix s'accordoient ensemble. On pouvoit dire également danser et chanter le canticum, parce qu'il étoit dansé et chanté.

Toute pièce de théâtre pouvoit être intitulée à Rome tragédie-ballet ou comédie-ballet, de même que Molière à intitulé le Bourgeois Gentilhomme comédie-ballet, et Psyché tragi-comédie-ballet, et de même qu'un ouvrage de symphonie de Lulli est intitulé Armide, Phaeton, etc. La musique faite pour une pièce portoit le nom de la pièce, ainsi que la danse de cette pièce, la musique et la danse étant faites pour cette pièce : « Le sujet de la pièce, dit » Lucien, est commun au ballet et à la tragédie. » Par cette

raison, les anciens employoient indifféremment ces mots qui nous embarrassent quelquefois : Jouer Andromaque, chanter Andromaque, et danser Andromaque. Ovide écrit:

Carmina cum pleno saltari nostra theatro,
Versibus et plaudi scribis, amice, meis.

Par le premier vers, il veut dire seulement Vous m'ap-
:
prenez qu'on joue mes pièces; et par le second, il veut dire :
Et qu'on applaudit à mes vers.

Comme la danse étoit une imitation par gestes d'une action, on disoit également danser et gesticuler, gesticulatio; c'est-à-dire, saltatio carminis. On faisoit moins d'attention aux pas d'un danseur qu'à ses bras, à ses gestes, comme dit Ovide :

Brachia saltantis, vocem mirare canentis.

Quintilien ne voulant pas que l'orateur fasse des gestes outrés, dit : « Je veux un orateur, et non un danseur ; » c'est-à-dire, un gesticulateur de théâtre.

Cette danse gesticulante, qui avoit commencé dans la Grèce, fut séparée, sous Auguste, des pièces dramatiques; et la danse des pantomimes, dont on a écrit tant de merveilles, s'exécutoit sans aucune pièce de poésie.

Voilà l'idée que je me suis faite des représentations théâtrales des anciens. Tout m'y paroît vraisemblable; et il n'y reste que deux merveilles à admirer, qui sont certaines : celle de la danse des pantomimes, que nous avons peine à comprendre ; et celle d'une déclamation si belle et si exacte, que dans cette assemblée si nombreuse et si tumultueuse, une seule syllabe prononcée un peu trop rapidement ou un peu trop lentement, excitoit des murmures; et cependant le comédien étoit obligé de pousser avec une grande force sa voix hors d'un masque qui lui enfermoit la tête jusqu'aux épaules.

Toute action appartenant à l'âme, comme dit Cicéron,

et le visage étant l'image de l'âme : Animi est omnis actio, et imago animi vultus est, il est certain que le masque, qui avoit plusieurs utilités, faisoit un tort considérable à l'acteur: « Nos anciens, est-il dit dans Cicéron, n'ad» miroient plus tant Roscius lui-niême, quand il avoit un » masque. » Nostri illi senes personatum ne Roscium quidem magnopere laudabant. Puisque ce Roscius, dont on voyoit briller les yeux au travers de son masque, savoit jeter le trouble des passions dans les spectateurs, et les faire pleurer, il falloit qu'il eût su pousser à une extrême perfection une déclamation dont l'exécution étoit si difficile.

Il ne faut donc pas prendre à la lettre ce vers de Juvenal:

Grande Sophocleo carmen bacchatur hiatu,

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ni quelques autres passages des anciens, qui semblent faire entendre qu'au lieu d'une voix naturelle, l'acteur tragique poussoit de grands cris, et pour ainsi dire, hurloit. C'est ce qui arrivoit souvent, parce que les mauvais comédiens sont plus communs que les bons; et les cris des mauvais acteurs tragiques donnèrent lieu aux railleries de Lucien. Mais puisque, par d'autres passages, nous apprenons que souvent les spectateurs étoient en larmes, nous ne devons pas douter que la déclamation ne fût alors très-naturelle.

Je me suis attaché, dans ce chapitre, à détruire quelques opinions de l'abbé du Bos, parce que, par la manière dont il explique quelquefois les passages qu'il cite des anciens, ceux qui, sans remonter aux sources, se contentent de lire son ouvrage, peuvent être souvent trompés. Je n'en rapporterai plus qu'un exemple.

Le spectacle que donnoient les pantomimes étoit celui où le geste et le chant étoient véritablement partagés entre deux hommes, le chanteur et le gesticulateur, suivant cette ancienne épigramme :

Quæ resonat cantor, motibus ipse probat, etc.

Pour expliquer ce spectacle étonnant, dans lequel un acteur, toujours muet, exécutoit lui seul toute l'action d'une tragédie, l'abbé du Bos distingue deux sortes de gestes : ceux qui sont naturels, et ceux qui étant d'institution, ont une signification arbitraire. Selon lui, les pantomimes employoient les uns et les autres, et n'avoient pas encore trop de moyens de se faire entendre.

Puisque leur langue factice étoit pareille à celle des muets du grand-seigneur, qui sont obligés d'apprendre, comme le dit M. de Tournefort, les gestes qui sont reçus dans le sérail, comment le peuple pouvoit-il tant aimer des acteurs qu'il ne pouvoit entendre? Les anciens nous disent que le pantomime, avec un geste éloquent, eloquente gestu, rendoit tout intelligible : « Tout ce qu'il imitera, dit Manilius, » vous le croirez voir, surpris de l'image de la vérité. »

Quodque aget, id credes stupefactus imagine veri.

Un spectateur qu'étonne l'image de la vérité, n'est pas attentif à des gestes d'institution, et à comprendre une langue arbitraire. Un pantomime se faisoit entendre de toutes les nations, puisqu'un prince étranger en demanda un à Néron, « afin, disoit-il, qu'il me serve d'interprète >> avec tous les ambassadeurs. » Ce seul mot prouve la fausseté de l'opinion de l'abbé du Bos. Il est étonnant qu'il veuille persuader une opinion si inconcevable, et encore plus étonnant qu'il la croie autorisée par le passage suivant de saint Angustin :

<«< Autrefois, dit saint Augustin, quand les pantomimes » commencèrent à jouer sur le théâtre de Carthage, un » crieur public annonçoit au peuple ce qu'ils alloient jouer. » Nous avons encore aujourd'hui des vieillards qui se sou̟» viennent d'avoir vu cet usage; et nous ne devons pas n avoir de peine à les croire, puisqu'encore aujourd'hui, si quelqu'un qui n'a encore aucune connoissance de ces

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» bagatelles, va au spectacle, il n'entend rien, si son voisin » ne lui explique ce que veulent dire tous ces gestes. » Comment pourroit-on nous expliquer sur-le-champ tous' les mots d'une langue inconnue, que quelqu'un parleroit devant nous rapidement? Ce que saint Augustin veut dire est très-clair, et n'a aucun rapport au sentiment de l'abbé du Bos.

Les sujets qu'exécutoient les pantomimes étant trèsconnus à Rome, ils n'avoient pas besoin, avant que de commencer une pièce, de faire crier : « C'est Andromaque, » c'est Priam, c'est Hercule, etc., que nous allons repré» senter. » Ils furent dans cette nécessité lorsqu'ils vinrent s'établir à Carthage, chez un peuple à qui tous ces sujets étoient nouveaux: quand il y fut accoutumé, cet usage cessa; il ne falloit instruire du sujet de la pièce que celui qui la voyoit pour la première fois.

En relevant ainsi quelques erreurs de l'abbé du Bos, je ne prétends pas lui faire un tort considérable. Un homme' n'en est pas moins estimable pour être (je rappelle ici les termes de saint Augustin) peu instruit de toutes ces bagatelles : Talium nugarum imperitus.

CHAPITRE XIII.

Récapitulation.

"On peut ignorer toutes les matières qui font l'objet de ce Traité, puisque la poésie dramatique, quoiqu'elle puisse être utile par elle-même, est presque toujours pernicieuse, par la faute des poètes. Il est très-certain que les premiers qui élevèrent des théâtres n'eurent pas en vue l'utilité publique, et ne les élevèrent pas pour y placer des prédicateurs. Nous avons vu Solon frapper la terre avec colère, en

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