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« Et dit au jeune homme : D'où vient que tu es si défait et si amaigri? >>

Nos pères ont composé avec en quantité de verbes, entre autres ceux qui marquent le passage progressif d'un état dans un autre : embellir, enlaidir, emmaladir (1), engraisser, emmaigrir, etc., c'est-à-dire, devenir de plus en plus beau, laid, gras, maigre; tomber malade.

Mais comme la notation en sonnait an, d'où vient qu'on a écrit et prononcé anemi, fame, solanel, les mots figurés, ennemi, femme, solennel, on a de même prononcé, et par suite écrit, amaigrir, agrandir, pour emmaigrir, engrandir; certains mots ont conservé leur syllabe initiale en ; d'autres ont totalement péri, par exemple, emmaladir, au lieu de quoi il nous faut dire tomber malade; d'autres enfin ont conservé la double forme, comme ennoblir et anoblir, à chacune desquelles les grammairiens sont parvenus à fixer une nuance particulière, d'abord toute de fantaisie, puis adoptée, et maintenant consacrée par l'usage.

Les grammairiens obtiendront peut-être un jour ce résultat pour maigrir et amaigrir. Déjà, dans un Traité des synonymes, je lis sur ces deux verbes : « Nul doute que la particule initiale du second ne vienne du latin ad......... Maigrir est toujours neutre et intransitif; au contraire, amaigrir se prend d'ordinaire dans le sens actif; au lieu d'énoncer simplement le fait, il le fait comprendre davantage, il le montre s'accomplissant dans un objet, etc. » (2).

J'avoue que je ne saisis pas la distinction que l'auteur s'évertue à établir. Le résumé le plus clair de ce long paragraphe, c'est que maigrir est intransitif, et amaigrir, représentatif. Sunt verba et voces. Les faiseurs de synonymes sont les pre

(1)« Le enfançunet que David out engendred de la femme Urie, enmaladid e fut << desesperez, (Rois, 160.) Si l'amad tant forment qu'il enmaladid (Rois, 162.) Mes sires me «< guerpi, pur co que ier e avant ier enmaladi. (Rois 115.) »

(2) Traité des Synonymes, par M. B. Lafaye. Mon dessein n'est nullement de faire de la peine à l'auteur de ce travail consciencieux. Je désire montrer seulement combien il est utile de connaître l'ancienne langue pour étudier la langue moderne. S'il eût consulté la vieille langue, M. B. L. n'eût point dit que amaigrir renfermait la préposition ad, et l'erreur du point de départ ne se fût pas répandue sur toute la route.

miers hommes du monde pour trouver un mot à des énigmes qui n'en ont pas.

Je reviens à la distinction d'anoblir et ennoblir, dont on veut que le premier soit pour le sens propre, et le second pour le sens métaphorique. C'est là, dis-je, une distinction toute chimérique. Montaigne se sert d'anoblir au figuré :

се

Les lois prennent leur auctorité de la possession et de l'usage il - est dangereux de les ramener à leur naissance (1); elles grossissent et s'anoblissent en roulant, comme nos rivieres. » (MONTAIGNE. II. 12.)

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Nicot ne connaît pas anoblir, mais seulement ennoblir. Il n'y avait qu'une prononciation; on l'a notée par deux orthographes; puis les gens qui font gloire et métier de raffiner sur les mots, ont voulu assigner à chaque orthographe sa valeur à part.

:

Le plus simple bon sens indique que toujours l'acception figurée est venue à la suite de l'acception propre pourquoi donc où l'origine est commune voulez-vous prescrire des formes différentes?

L'étymologie d'ennoblir est in et nobilitare, sans conteste. Et anoblir, d'où viendra-t-il? De ad et nobilitare, sans doute, parce que ad est plus métaphorique que in? Belles finesses! Dufresny, au contraire, se sert d'ennoblir dans le sens propre :

«Mais ici j'ai de plus un grade que j'ai pris
<< Avec feu mon mari, doyen de ce bailliage.
« C'est ainsi que je vins m'ennoblir au village;
<< Bonne noblesse au fond, etc. >>

(La Coquette de village. I. 1.) La distinction d'anoblir et ennoblir est toute récente. Le Dictionnaire de l'Académie, de 1718, ne donnait encore qu'ennoblir, avec cette définition : « Rendre plus considérable, plus noble, plus illustre. » Trévoux (1740) met les deux formes, mais seulement comme différence d'orthographe, et en attribuant à chacune les deux valeurs : « ANOBLIR Se dit figurément en parlant du langage: Anoblir son style. (D'Ablancourt.)»

(1) Les lois civiles et politiques, s'entend; car quant aux lois de la grammaire et du langage, on ne saurait trop en examiner et maintenir l'origine.

Et au mot ENNOBLIR : « On distingue ordinairement trois degrés de noblesse : l'ennobli, qui acquiert le premier la noblesse; le noble, qui naît de l'ennobli; l'écuyer ou le gentilhomme, qui est au troisième degré. (Le P. Menestrier.) »

ÉMOUVOIR UN DÉBAT:

Souffrez qu'on vous appelle

Pour être entre nous deux juge d'une querelle,

D'un débat qu'ont ému nos divers sentiments

Sur ce qui peut marquer les plus parfaits amants. (Fácheux. II. 4.) EMPAUMER L'ESPRIT :

Je vois qu'il a, le traître, empaumé son esprit. (Ec. des fem. III. 5.) Métaphore prise du jeu de paume. Empaumer la balle, c'est la saisir bien juste au milieu de la paume de la main, ou de la raquette qui remplace la main; ce qui donne moyen de la renvoyer avec le plus de puissance et d'avantage possible.

La racine est palma, syncope du grec akάun, paume de la main. Nos pères, ne voulant jamais articuler deux consonnes consécutives, changeaient al en au. Cette règle primitive de formation ou de transformation fut oubliée dès le xvi® siècle ; aussi avons-nous aujourd'hui les mots palme, palmė, palmipède.

Nos pères avaient fait le verbe paumoier, que nous avons laissé perdre, et que manier remplace bien faiblement. EMPÊCHER absolument, dans le sens d'arrêter, embarrasser :

Oui, j'ai juré sa mort; rien ne peut m'empécher.
Mais aux hommes par trop vous êtes accrochées,
Et vous seriez, ma foi, toutes bien empêchées

Si le diable les prenait tous.

(Sgan. 21.)

(Amph. II. 5.)

Dis-lui que je suis empéché, et qu'il revienne une autre fois.

« Je suis bien empêché : la vérité me presse, .
« Le crime est avéré; lui-même le confesse. »

(L'Av. III. 13)

(RACINE. Les Plaideurs. III. 3.) Les Latins employaient de même impeditus au figuré. --EMPÊCHER QUE sans ne. (voyez à NE supprimé.)

ΙΟ

EMPLOIS; FAIRE SES EMPLOIS DE QUELQUE CHOSE en faire son occupation favorite :

Et que je fasse enfin mes plus fréquents emplois

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De parcourir nos monts, nos plaines et nos bois. (Pr. d'El. I. 3.) EMPLOYÉ; C'EST BIEN EMPLOYÉ, espèce d'adage: Poussez, c'est moi qui vous le dis; ce sera bien employé ! (G. D. I. 7.) Ce sera un effort bien employé, ce sera bien fait. EMPORTER, au sens figuré :

Monsieur, cette dernière (abomination) m'emporte, et je ne puis m'empêcher de parler. (D. Juan. V. 2.) Métaphore tirée de la balance, quand un plateau emporte l'autre.

EN, archaïsme de prononciation pour on:

MARTINE.

Hélas! l'en dit bien vrai :

Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage.

- Oui.

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....Ce que j'ai?

J'ai que l'en me donne aujourd'hui mon congé.

(Fem. sav. II. 5.) Cette confusion de formes, occasionnée par l'analogie des sons, était originairement permanente dans le meilleur langage. « Et tenoit l'en que le dit arcevesque avoit ung dyable privé qu'il appe«<loit Toret, par lequel il disoit toutes choses que l'en lui demandoit...... Maugier cheit en la mer, et si se noya que l'en ne le peut sauver. »

ce

(Chr. de Norm., dans le Recueil des historiens des Gaules. XI. 338.) Les exemples en sont trop communs pour s'arrêter à les recueillir; mais il est intéressant d'observer que cette forme, aujourd'hui reléguée chez le peuple, était encore, au xvıa siècle, en usage à la cour et chez les mieux parlants. Dans l'aînée de toutes les grammaires françaises, celle que Palsgrave écrivit en anglais pour la sœur de Henri VIII (1530), on voit constamment l'en figurer à côté de l'on :

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« Au singulier, dit Palsgrave, le pronom personnel a huit formes: je, tu, il, elle, l'en, l'on ou on, et se. Exemple : l'en, l'on ou on parlera, etc. » (Fol. 34 verso.) « Annotations pour savoir quand on doit employer l'en, l'on ou on..... L'en, l'on ou on, peult estre bien joyeux. » (Fol. 102 verso.)

J'ai eu ailleurs l'occasion de montrer que François Ier disait et écrivait : j'avons, j'allons. D'où l'on voit que ces formes, considérées comme des vices de la rusticité, sont nées au Louvre, et sont descendues de la bouche des rois dans celle des paysans.

EN, préposition, représentant par syllepse le pluriel d'un substantif qui n'a figuré dans la phrase qu'au singulier :

Comme l'amour ici ne m'offre aucun plaisir,

Je m'en veux faire au moins qui soient d'autre nature;

Et je vais égayer mon sérieux loisir.....

Je veux me faire des plaisirs qui soient.....

-EN sans rapport grammatical:

Mais je ne suis pas homme à gober le morceau,

Et laisser le champ libre aux yeux d'un damoiseau.
J'en veux rompre le cours.

(Amph. III. 2.)

(Éc. des fem. III. 1.)

Rompre le cours de quoi? Des yeux du damoiseau ? Des yeux n'ont point de cours. Cet en figure par syllepse avec l'idée d'intrigue, qu'ont fait naître les premiers vers.

EN pour avec, de: ASSAISONNER EN :

Il n'y a rien qu'on ne fasse avaler, lorsqu'on l'assaisonne en louanges.

EN pour à; s'ALLIER ÈN :

(L'Av. I. 1.)

J'aurois bien mieux fait, tout riche que je suis, de m'allier en bonne et franche paysannerie.

(G. D. I. 1.)

EN, comme, en qualité de :

Autrement qu'en tuteur sa personne me touche. (Éc. des mar. II. 3.)

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A celui que déjà je regarde en époux.

Je la regarde en femme, aux termes qu'elle en est.

Je la regarde comme ma femme.

(Ibid. 14.)

(Éc, des fem. III, 1.)

Touchez à monsieur dans la main,

Et le considérez désormais, dans votre âme,

En homme dont je veux que vous soyez la femme. (Fem. sav. III. 3.)

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