L'HUMANITÉ, au sens philosophique : Va, va, je te le donne pour l'amour de l'humanité. (D. Juan. III. 2.) Molière a devancé le XVIIIe siècle dans cette acception du mot humanité, que la philosophie moderne a rendue depuis si commune. Au xvII° siècle, on entendait par l'humanité une vertu analogue à la charité, mais non l'ensemble du genre humain, considéré philosophiquement comme une seule fa.mille. HUMEUR SOUFFRANTE, endurante: Des hommes en amour d'une humeur si souffrante, (Fácheux. II. 4.) Sur ce mot humeur, j'observerai qu'il avait encore du temps de Corneille un sens qu'on a laissé perdre depuis, et qui persiste dans l'anglais humour; si bien que beaucoup de gens, désespérant de faire sentir toute la force et la grâce du mot anglais, le transportent dans notre langue comme ils font du mot fashion, qui n'est que notre façon, et de bien d'autres. CLITON. «Par exemple, voyez : aux traits de ce visage, « Et sitôt que je parle, on devine à demi Cette remarque a échappé à Voltaire, qui en a fait de moins importantes. HYMEN (L') DE, c'est-à-dire, avec : Comme il a volonté De me déterminer à l'hymen d'Hippolyte. (L'Et. II. 9.) Chercher dans l'hymen d'une douce et sage personne la consolation de quelque nouvelle famille. (L'Av. V. 5.) La promesse accomplie Qui me donna l'espoir de l'hymen de Célie. Et l'hymen d'Henriette est le bien où j'aspire. ICI AUTOUR: Depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour. (Sgan. 23.) (Ibid. 24.) (Fem. sav. I. 4.) (D. Juan. III. 2.) Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces. (Préc. rid. 7.) Pour ici dedans, on disait, au moyen âge, ci ens, et plus tard céans. Aujourd'hui on ne dit plus rien du tout, car les tyrans de la grammaire ont proscrit ici dedans. ICI DESSOUS : J'ai crainte ici dessous de quelque manigance. (L'Et. I. 4.) Ici dessous comme ici dedans, bonnes et utiles expressions qui ont disparu, et qu'on n'a point remplacées. Ces anciennes façons de parler ici dedans, ici dessus, ici dessous, persistent en Picardie. IDOLE, ironiquement, UNE IDOLE D'ÉPOUX: Et de n'entrevoir point de plaisirs plus touchants IGNORANT DE QUELQUE CHOSE : (Fem. sav. I. 1.) Ce sont gens de difficultés (les avocats), et qui sont ignorants des détours de la conscience. C'est un latinisme : inscius rei. (Mal. im. I. 9.) Nous construisons de même avec le génitif le verbe ignorer, ce que ne faisaient pas les Latins : << Monsieur l'abbé, vous n'ignorez de rien, Et ne vis onc mémoire si féconde.. (J.-B. ROUSSEAU. Epigr.) IL COUTE, impersonnel, pour il en coûte : Et je sais ce qu'il coûte à de certaines gens, Pour avoir pris les leurs (leurs femmes) avec trop de talents. (Ec. des fem. I. 1.) IL N'EST PAS QUE...: Mais peut-être il n'est pas que vous n'ayez bien vu Ce jeune astre d'amour, de tant d'attraits pourvu. (Ec. des fem. I. 6.) Il n'est pas (possible) que........... Cette manière d'employer que est toute latine. Hoc est quod ad vos venio (PLAUTE), c'est cela que je viens à vous. IL Y VA DU MIEN, DU VÔTRE: A déboucher la porte il iroit trop du vôtre. (Remerciment au Roi. 1663.) Molière a supprimé l'y pour le soin de l'euphonie, ou plutôt s'absorbe dans celui de irait. C'était originairement la coutume, non-seulement pour l'i, mais pour toute voyelle : Seignurs baruns, ki i purruns enveier ? »> (Roland. st. 18.) (Ibid. st. 12.) << La fame s'en prist à apercoivre.» (La Bourse pleine de sens. v. 18.) On ne compte dans la mesure qu'un seul i, un seul a, un seul e. (Voyez des Variations du langage français, p. 192, 193.) Le mien, le vôtre, dans cette locution sont au neutre, signifiant mon intérét, votre intérêt, ou mon bien et le vôtre comme en latin meum, tuum : « Nil addo de meo, » (CICER.) Je n'y ajoute rien du mien. «Tetigin' tui?» (TER.) Ai-je rien pris du tien? IL supprimé après voilà: Eh bien! ne voilà pas mon enragé de maître? (L'Et. V. 7.) Ne voilà pas de mes mouchards qui prennent garde à ce qu'on fait? Ne voilà pas ce que je vous ai dit? (L'Av. 1. 3.) (G. D. III. 12.) IL; deux il se rapportant à des sujets divers : L'éloge de Louis XIV, dans le ve acte de Tartufe, présente un singulier exemple de mauvais style, où l'incorrection des deux il se montre plusieurs fois. Cette tirade, si souvent reprochée à Molière, vaut la peine d'être examinée. Molière commence par dire de Louis XIV : Il donne aux gens de bien une gloire immortelle, Et l'amour pour les vrais ne ferme point son cœur A tout ce que les faux doivent donner d'horreur..... Ce mais et cette remarque ne semblent-ils pas dire Venant vous accuser, il s'est trahi lui-même ; Le sujet change: il n'est plus le roi, c'est Tartufe. Et, par un juste trait de l'équité suprême, S'est découvert au prince un fourbe renommé, Dont sous un autre nom il étoit informé. que d'or Il revient au monarque; sous un autre nom s'applique à Tartufe, et non pas à Louis XIV; c'est Tartufe qui était connu sous un autre nom. Ce monarque, en un mot, a vers vous détesté Sa lâche ingratitude et sa déloyauté. On ne s'exprimerait pas autrement si c'était Louis XIV qui se repentît d'avoir été ingrat et déloyal envers Orgon. A ses autres horreurs il a joint cette suite, Le roi a joint cette suite, ou ce supplément, aux autres horreurs de Tartufe. Et ne m'a jusqu'ici soumis à sa conduite Que pour voir l'impudence aller jusques au bout. Sa conduite, pour dire que Tartufe commandait à l'exempt. Oui, de tous vos papiers, dont il (Tartufe) se dit le maître, Il (le roi) veut qu'entre vos mains je dépouille le traître. Tant d'impropriété de termes, d'incorrection et de négligence, feraient à bon droit soupçonner que ce morceau de placage n'est pas de Molière. Molière en aura donné l'idée et confié l'exécution à quelqu'un des versificateurs de sa troupe. C'est ce qui expliquerait l'étrange disparate de cette tirade dans une pièce qui, parmi toutes celles de Molière, peut récla– mer le prix du style. Enfin, si Molière a versifié lui-même ce passage, il fallait qu'il n'attachất guère d'importance à la matière. L'amant n'a point de part à ce transport brutal. Trop de respect, trop de tendresse : Et si de faire rien à vous pouvoir blesser Il avoit eu la coupable foiblesse, De cent coups à vos yeux il voudroit le percer. (Amph. II. 6.) Le premier il se rapporte au cœur; le second, à l'amant, qui est nommé dans la phrase précédente. Peut-être faudrait-il lire se percer; mais aucune édition ne le donne. Enfin le Malade imaginaire offre de fréquents exemples de cette incorrection : Tout le spectacle se passe sans qu'il (le berger) y donne la moindre attention. Mais il se plaint qu'il est trop court, parce qu'en finissant il se sépare de son adorable bergère. (Mal. im. II. 6.) Le premier il représente le berger; le second, le spectacle ; et le troisième, encore le berger. En finissant, qui grammaticalement ne peut se rapporter qu'au berger, se rapporte au spectacle. On lit dans la même scène : Des manières de vers libres tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver. (Ibid.) Il paraît qu'il faut en ou les faire trouver. On l'avertit que le père de la belle a conclu son mariage avec un autre. (Ibid.) Son ne désigne pas le mariage du père, comme la phrase le ferait entendre, mais celui de la belle. Cette pièce est de toutes celles de Molière la plus négligemment écrite. On y sent en quelque sorte la rapidité de l'auteur fuyant devant la mort, qui l'atteignit à la quatrième représentation. Au reste, cette faute d'employer dans la même phrase deux il relatifs à des sujets différents, se rencontre dans les meilleurs écrivains. En voici un exemple de Pascal : « « Les confesseurs n'auront plus le pouvoir de se rendre juges de la dis position de leurs pénitents, puisqu'ils (les confesseurs) sont obligés de « les croire sur leur parole, lors même qu'ils (les pénitents) ne donnent « aucun signe suffisant de douleur. » (10e Prov.) Et l'on sait pourtant avec quel soin les Provinciales étaient travaillées ! Mais nul n'est exempt de faillir, ni Pascal, ni Molière, ni Bossuet. |