Images de page
PDF
ePub

Avec une tendresse extrême,
Et je ne saurois me résoudre
A lui donner du déplaisir.
Faites, agissez auprès d'elle;

Employez tous vos soins à gagner son esprit ;
Vous pouvez faire et dire

Tout ce que vous voudrez.
Faites, agissez auprès d'elle;

Je veux bien consentir

A lui faire un aveu moi-même

De tout ce que je sens pour vous.

(IV. 1.)

Est-il possible, est-il vraisemblable que le hasard produise de pareils résultats? Qui pourra le croire, s'il manque de goût, ne manquera pas de foi.

Je me borne à ces trois échantillons. La lecture de la pièce entière, à ce point de vue, convaincra, je pense, les plus in

crédules.

Les farces de Molière, comme Pourceaugnac, les Fourberies de Scapin, la Comtesse d'Escarbagnas, même le Bourgeois gentilhomme, semblent écrites dans un autre système, et, comme destinées à rester en prose, ne renferment presque point de vers. Mais il s'en rencontre beaucoup dans George Dandin; ce qui porterait à croire que, dans la pensée de Molière, la forme sous laquelle cette pièce est parvenue n'était point sa forme définitive.

GEORGE DANDIN.

Ah! qu'une femme demoiselle
Est une étrange affaire!

Et que mon mariage
Est une leçon bien parlante
A tous les paysans qui veulent s'élever
Au-dessus de leur condition,

Et s'allier, comme j'ai fait,
A la maison d'un gentilhomme!

Et j'aurois bien mieux fait,

Tout riche que je suis,

De m'allier en bonne et franche paysannerie (1),

(1) Paysannerie de quatre syllabes, comme paysan, de deux. C'est encore ainsi que l'on prononce partout en Bretagne.

Que de prendre une femme
Qui se tient au-dessus de moi,
S'offense de porter mon nom,
Et pense qu'avec tout mon bien
Je n'ai pas assez acheté

La qualité de son mari.

George Dandin, George Dandin,

Vous avez fait une sottise..., etc.

(I. 1.)

La leçon donnée dans George Dandin valait la peine d'être présentée en vers, autant que celle qui résulte de l'École des femmes et de l'École des maris. Celle-ci eût été l'École des bourgeois.

Si c'étoit une paysanne,

Vous auriez maintenant toutes vos coudées franches

A vous en faire la justice

A bons coups de bâton.

Mais vous avez voulu tâter de la noblesse,

Et il vous ennuyoit d'être maître chez vous.
Ah! j'enrage de tout mon cœur!

Et je me donnerois volontiers des soufflets!

(G. D. I. 3.)

Dirigé dans ce sens, un examen attentif et délicat du style de Molière conduirait peut-être à des inductions intéressantes sur la manière de travailler de ce grand génie, et sur les intentions que la mort ne lui a point permis de réaliser.

Vaugelas le premier s'est avisé de signaler, comme un grand défaut, les vers que le hasard seul, et non l'intention de l'écrivain, a répandus dans la prose. La pratique de presque tous nos grands auteurs condamne l'opinion de Vaugelas. Les orateurs grecs et les Latins rencontraient souvent des ïambes tout faits sans les chercher. Il y a des alexandrins dans la prose de Cicéron, dans Tacite et dans Tite-Live. Il s'est glissé des yers dans la traduction des Psaumes de David et jusque dans les formules du droit romain (1). Et Ménage remarque assez plaisam

(1) Les Annales de Tacite débutent par un hexamètre : « Urbem Romam a principio reges habuere. » Le Miserere finit par un pentamètre :

Imponent super altare tuum vitulos.

Semper in obscuris quod minimum est sequimur. (De regulis juris.)

.

ment que Vaugelas s'est pris lui-même dans sa propre sentence, en écrivant, du mot sériosité :

Ne nous hâtons pas de le dire,

Et moins encore de l'écrire:
Laissons faire les plus hardis,

Qui nous frayeront le chemin.

Il est certain que l'affectation d'écrire en vers blancs, telle qu'on la voit dans les Incas, par exemple, serait une chose insupportable. En cela, comme en tout, c'est le goût qui décide et marque la limite.

VERSER LA RÉCOMPENSE D'UNE ACTION:

Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense,
D'une bonne action verser la récompense.

(Tart. V. 7.) Un cœur qui verse la récompense d'une bonne action ne paraît pas d'un style digne de Molière.

(Voyez l'examen de tout ce passage à l'article 11, p. 210.)

VERSER L'HONNEUR D'UN EMPLOI :

Madame, vous avez cent personnes dans votre cour sur qui vous pourriez mieux verser l'honneur d'un tel emploi. (Am. magn. I. 2.)

L'usage qui permet de déverser l'outrage, l'ignominie sur quelqu'un; de verser sur lui des faveurs, ne permet pas de verser un honneur ni des honneurs.

VERTU, efficacité :

Le théâtre a une grande vertu pour la correction. (Préf. de Tartufe.)

VERTU, dans le sens plus large du virtù italien :

le mérite, la bravoure:

Plus l'obstacle est puissant, plus on reçoit de gloire;

[blocks in formation]

VIDER, verbe neutre, dans le sens de sortir; VIDER

D'UN LIEU :

M. LOYAL.

Monsieur, sans passion,

Ce n'est rien seulement qu'une sommation,
Un ordre de vider d'ici vous et les vôtres.

Vuyde dehors, fol insensé;

(Tart. V. 4.)

▾ Car il est temps que tu t'en partes. » (Le Nouveau Pathelin.) Montaigne l'emploie activement, dans la réponse des sauvages américains aux Espagnols:

"

Ainsi, qu'ils se despeschassent promptement de vuider leur terre. »
(Essais. III. 6.)

-VIDER, V. actif, figurément, au sens de purgare:
Adieu; videz sans moi tout ce que vous aurez. (Fácheux. III. 4.)
Videz tous vos différends.

On disait vider un procès, vider une cause, difficultés, vider ses intérêts.

Laissez-moi, madame, je vous prie,

Vider mes intérêts moi-même là-dessus.

vider toutes les

(Mis. V. 6.)

VIN A FAIRE FÊTE, digne d'être bu dans une fête :

Était-ce un vin à faire féte?

(Amph. III. 2.)

VISAGE, au figuré, en parlant des actions:

Cet amas d'actions indignes, dont on a peine, devant le monde, d'adoucir le mauvais visage. (D. Juan. IV. 6.)

Le visage d'une action est une métaphore qui ne saurait être admise aujourd'hui, mais qui paraît l'avoir été autrefois; car Montaigne a dit le visage d'une entreprise. C'est en parlant du dessein qu'il a formé d'écrire ses Essais:

« Si l'estrangeté ne me saulve et la nouvelleté, qui ont accoustumé de « donner prix aux choses, je ne sors jamais à mon honneur de cette sotte entreprinse; mais elle est si fantastique, et a un visage si esloingné de l'u

[ocr errors]

« sage commun, que cela luy pourra donner passage. »

(Essais. II. 8.)

Cela montre qu'il faut être très-circonspect à condamner Molière, lors même qu'il paraît le plus clairement avoir tort.

Ce tort, tout réel, peut n'être pas le sien, mais celui de ses contemporains, ou de ses prédécesseurs les plus dignes de servir de modèles.

VISÉE; METTRE SA VISÉE A...;

Votre visée au moins n'est pas mise à Clitandre? (Fem. sav. I. 1.)

J'ai grand regret, monsieur, de voir qu'à vos visées

Les choses ne soient pas tout à fait disposées. (Voyez PRENDRE visée.)

VISIÈRE; ROMPRE EN VISIÈRE:

Je n'y puis plus tenir, j'enrage; et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain.

Qu'un cœur de son penchant donne assez de lumière,

(Ibid. IV. 6.)

(Mis. I. 1.)

Sans qu'on nous fasse aller jusqu'à rompre en visière. (Ibid. V. 2.)

VISIONS, idées folles, rêves:

Et dans vos visions savez-vous, s'il vous plaît,

Que j'ai pour Henriette un autre époux tout prêt?

[blocks in formation]

Des visions effrayantes ou simplement chimériques; mais, dans la bouche du pauvre Sganarelle, l'expression de visions cornues a une double portée.

VISIONS DE NOBLESSE :

Ce nous est une douce rente que ce monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu'il est allé se mette en tête. (B. gent. I. 1.)

VOICI VENIR :

Mais les voici venir.

Voici venir Ascagne.

(L'Et. V. 14.) (Dép. am. V. 8.)

Voici est pour vois ici : vois ici venir Ascagne. On disait au pluriel veez-ci, voyez ici. L'union intime des deux racines a depuis fait perdre de vue le sens de la première; voici n'est plus

« PrécédentContinuer »