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rable texte au bas de la page, afin que monsieur le char- ́ trier, grand éplucheur de textes, puisse s'assurer si je n'y ai pas fait quelque incroyable contre-sens, et si je n'ai pas, encore cette fois, pris le contre-pied de la pensée, comme il déclare que c'est ma coutume habituelle.

- "

« Qu'il vienne à présent m'alléguer qu'à la fin du seizième siècle on articulait, dans certains mots, les consonnes consécutives: que me fait cela? ce n'est point mon affaire; ou plutôt, si vraiment ce l'est, puisque j'ai dit que le seizième siècle avait perdu la tradition de l'ancien langage. Il va chercher dans Pierre Fabri ou Lefebvre une phrase dont il prétend m'accabler, en prouvant que, dès 1534, on prononçait des consonnes consécutives. Il est, dit Fabri, un barbare de rude langage à ouïr, qui s'appelle Cacephaton ou Clipsis (1), comme gros, gris, gras, grant et croc, cric, crac; et évangélistes, stalle, stille... » Premièrement, il s'agit là d'un assemblage cherché de consonnances étranges; et ensuite Fabri lui-même déclare ce langage barbare; donc ce n'est pas le langage ordinaire. Les vieux grammairiens rangent ce Cacephaton parmi les figures de mots : quel rapport d'un trope ridicule avec la prononciation? C'est bien de l'érudition perdue.

-« Après avoir cité une règle qui n'a jamais existé, l'au<< teur en cite une autre qui n'a aucun rapport à la question. En « effet, il s'agit de prouver qu'on n'a jamais prononcé deux «< consonnes de suite; et M. Génin s'évertue à établir qu'au « seizième siècle on n'en prononçait pas trois, ce qui serait << encore contestable. »

Il s'agit de prouver qu'on ne prononçait pas les consonnes consécutives; et après avoir montré qu'on n'en prononçait pas deux, je montre qu'on n'en prononçait pas trois. Si nous avions des groupes de quatre et de cinq consonnes, j'aurais eu à les examiner à leur tour. C'est être, assurément, dans la question; et il faut tout le parti pris de mon critique pour déclarer que cela n'y a nul rapport..

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Çà, maître Jehan Palsgrave, avancez de nouveau; car

(1) Apparemment il faut lire Eclipsis. Je cite d'après mon adversaire.

c'est vous, aussi bien que moi, qui êtes en cause, vous qui, après avoir parlé des doubles consonnes consécutives, avez aussi battu la campagne en parlant tout de suite des triples consonnes. Cette coïncidence est vraiment merveilleuse! mais la découverte si à propos de ce volume ne l'est pas moins. O bon Palsgrave, sans vous j'étais perdu! l'École des chartes me foudroyait !... Je reprends la citation au dernier mot où je l'ai laissée : Et si trois consonnes sont rassemblées, «ils (les Français) en laissent toujours les deux premières « inarticulées, ne faisant, je le répète, aucune différence si « ces consonnes sont ainsi groupées toutes dans un seul mot « ou réparties entre des mots qui se suivent; car souvent leurs « mots se terminent par deux consonnes, à cause du retran<< chement de la dernière voyelle du mot latin: par exemple, « corps, temps, etc. (1). »

«

Palsgrave ajoute que cette distinction entre les consonnes purement étymologiques qu'on éteint et celles qu'on doit faire sonner, est la grande difficulté pour les Anglais : hath semed unto us of our nation a thyng of so great difficulty.

<< Monsieur mon contradicteur trouve-t-il encore contestable cette proposition, qu'on ne prononçait, pas trois consonnes consécutives?

Quant à n'en prononcer qu'une sur deux, admettra-t-il enfin cette monstruosité, qui lui a mis l'esprit à la torture? « Je me suis mis l'esprit à la torture pour m'expliquer com«ment Th. de Bèze avait pu écrire une pareille règle, et en « quel sens il fallait l'entendre; car, de la prendre à la lettre, «je n'en voyais pas le moyen!» J'espère qu'il en voit le moyen à cette heure? En général, il répète souvent: Je ne puis m'imaginer, je ne puis comprendre; il prend cela pour un argument irrésistible!

(1) And if the thre consonantes come together, they ever leve two of the first unsounded, putting here, as I have said, no difference whether the consonantes thus come together in one worde alone, or the wordes do folowe one another; for many tymes theyr wordes ende in two consonantes, bycause they take awaye the last vowell of the latine tong, as corps, temps. ID., ibid.

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« Voilà comment ce fort Samson fait fléchir les clefs de voûte. Je le prie de recevoir mes remercîments: un principe fondamental, qui pour moi n'était pas douteux, mais qui peutêtre pouvait le sembler à d'autres, croyant le renverser, il m'a fourni l'occasion d'y revenir, et de le mettre, j'espère, au-dessus de toute contestation.

« De toutes les prétentions, la plus folle serait celle de plaire à tout le monde. Je ne vise pas si haut: je me contente de l'assentiment des meilleurs juges, principibus placuisse viris. S'agit-il de l'érudition? Quels noms plus imposants que ceux de MM. Victor le Clerc, Naudet, Littré, Augustin Thierry? Parlez-vous de cet heureux instinct, de ce génie de la langue qui éclate si vivement dans la Fontaine et dans Molière ? Où le trouver plus complet et plus profond que dans notre Béranger? Quels plus illustres suffrages serait-il possible d'ambitionner? Et quand on les a réunis, est-on bien à plaindre d'avoir manqué celui de M. Guessard ?

Et qu'importe à mes vers que Perrault les admire ? »

Telle fut en abrégé ma réponse au premier article de M. Guessard; voici maintenant ma réponse au second:

Le procès continue sur la geminata consonans de Th. de Bèze. Je suis obligé de défendre jusqu'au bout ma traduction, puisque M. Guessard fait dépendre de ce mot l'estime de tout mon ouvrage, et que j'ai accepté son défi. Au surplus, je vous dirai, en passant, que M. Guessard n'a pas son pareil pour trouver de ces alternatives. Son esprit net et concis aime à réduire toutes les questions à deux termes. Vous en verrez plus d'un exemple dans cette réponse. J'avais, dans la première, cru tirer autorité de quelques suffrages imposants, tels que ceux de MM. Augustin Thierry, Victor le Clerc, Naudet, Littré, Béranger; mais me voilà bien loin de compte! M. Guessard exige, pour se rendre, « un arrêt en bonne forme,» signé de ces messieurs ; il dresse, le plus sérieusement du monde, un formulaire en trois articles, dont le dernier doit attester « qu'une

seule des assertions de mon livre est restée debout, après l'examen que M. Guessard en a fait. » J'irai présenter ce formulaire à la signature des illustres juges par moi invoqués; et si je ne le rapporte à M. Guessard, revêtu de toutes les formalités authentiques, je suis déclaré vaincu aux yeux du monde savant (page 362).

M. Guessard a bonne opinion des effets de sa dialectique; mais on ne voit pas où il prend le droit d'exiger des certificats de ses erreurs. S'il n'y veut pas croire à moins, d'autres ne seront pas si difficiles. Ne nous dérangeons pas, et ne dérangeons personne, pour si peu.

Geminata consonans, voilà donc la grande énigme. Est-ce, au sens le plus large, deux consonnes consécutives? ou bien, dans un sens beaucoup plus restreint, la même consonne redoublée? Je défends la première interprétation, qui contient la seconde, puisque les consonnes redoublées sont consécutives; M. Guessard soutient la seconde, qui exclut la première. L'un de nous fait un contre-sens, mais lequel des deux?

Avant tout, je dois reconnaître à M. Guessard un merveilleux talent pour embrouiller les questions les plus nettes, dissimuler les parties d'un texte qui lui nuisent, et mettre en relief, au contraire, celles qui paraissent le servir. Au nom de la logique, il assemble d'épais nuages; et puis, quand tout est noir partout, quand on n'y voit plus goutte, il s'écrie, du ton le plus naturel et le plus persuadé: Est-ce clair?... Est-ce encore clair?... Le pauvre lecteur serait bien tenté de lui répondre : Ma foi, non ! Mais tant d'assurance intimide; on se dit: Apparemment que c'est bien clair pour les gens au fait de la matière. Allons, accordons-lui ce point, et suivons. On avance, et il vous conduit de l'analogie dans l'amphibologie, de l'amphibologie dans la battologie, de la battologie dans la tautologie et la macrologie: de la macrologie à la périssologie il n'y a qu'un pas; la périssologie mène infailliblement à l'acyrologie, qui produit la cacologie, d'où vous tombez dans la céphalalgie, et de la céphalalgie dans un profond sommeil, pendant lequel M. Guessard chante victoire tout à son aise !

Voyons toutefois qui sera le plus habile, lui à condenser le brouillard, ou moi à le dissiper.

J'ai aussi la prétention de m'appuyer sur la logique pour déterminer le sens de l'expression geminata consonans. Le passage où elle se trouve est complété, éclairci jusqu'à l'évidence par un autre passage voisin du premier. Il paraît que M. Guessard n'avait pas aperçu ce second passage. Je le lui ai mis sous les yeux dans ma réponse, et pour cette fois j'ose affirmer qu'il l'a très-bien vu et en a compris la portée; car sa réplique n'en souffle mot. Il bat la campagne à côté. Puisque cette partie de mon argumentation l'embarrasse, je vais la reprendre.

C'est à la page 9 que Th. de Bèze explique l'euphonie du parler français, par l'attention de ne prononcer nullam geminatam consonantem.

A la page 10, il revient sur ce caractère général de notre langue (1).

<< La prononciation des Français, mobile et rapide comme << leur génie, ne se heurte jamais au concours des consonnes, <«< ni ne s'attarde guère sur des voyelles longues. Une consonne << finit-elle un mot? elle se lie à la voyelle initiale du mot << suivant, si bien qu'une phrase entière glisse comme un mot << unique. >>

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Ces deux passages évidemment se rapportent à la même idée, et renferment le vrai sens de geminata consonans. Il s'agit de les expliquer en les conciliant.

J'ai fait observer que les consonnes jumelles sont très-coulantes, et sont toujours placées au cœur des mots. J'ai demandé comment l'extinction de ces jumelles pouvait favoriser la liaison d'un mot à un autre.

(1) Francorum enim ut ingenia valde mobilia sunt, ita quoque pronuntiatio celerrima est, nullo consonantium concursu confragosa, paucissimis longis syllabis retardata.... consonantibus (si dictionem aliquam terminarint) sic cohærentibus cum proximis vocibus a vocali incipientibus, ut integra interdum sententia haud secus quam si unicum esset vocabulum efferatur. (De recta Linguæ francicæ pronunt.)

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