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Au contraire, que les consonnes consécutives, autres que jumelles, sont très-dures, munissent ordinairement les extrémités des mots, et, si on les veut articuler toutes, hérissent la phrase d'aspérités, et font un obstacle considérable à la liaison de ses éléments.

M. Guessard veut qu'il ne soit question que des consonnes jumelles. Je l'ai prié d'accorder son interprétation avec le texte complet, de m'aplanir ces difficultés. Il garde le silence.

Examinons, ai-je dit ensuite, la logique des idées de Bèze, et leur enchaînement, en prenant le sens de mon adversaire : le français est si antipathique à toute rudesse de prononciation, qu'il n'articule jamais les consonnes jumelles (qui sont très-douces); mais il a grand soin d'articuler les autres consécutives, comme st, sp (qui sont très-rudes); d'où il résulte que la prononciation des Français est pleine de mollesse, et que dans leur bouche une phrase entière glisse comme un seul mot.

Profond silence de M. Guessard.

Il se contente de dire, en termes vagues : « M. Génin sue « sang et eau à défendre un contre-sens. » (Page 357.) Non, je ne sue ni sang ni eau; je cite en entier un texte que vous aviez tronqué. Je vous dis d'un grand sang-froid que votre sens mène à l'absurde. Que me répondez-vous?

Au lieu de me répondre, il cherche à opérer une diversion, et à me faire paraître dans la position fâcheuse où lui-même se sent arrêté. Voici comme il s'y prend : il va chercher un passage où Bèze avertit que ct, à l'intérieur des mots, se prononce entièrement. Ce sont là, dit M. Guessard, des consonnes consécutives, ou jamais ; donc elles n'étaient pas muettes.

«Voilà cet illustre savant, qui pose une règle, qui en ex« cepte quatre cas, ni plus ni moins, et qui, vingt pages plus « loin, dans un petit livre de quarante-deux feuillets seule«ment, oublie sa règle et ses quatre exceptions, pour se «< contredire lui-même, en m'apprenant que ct se prononce en«< tièrement ! . . . . Mais alors votre illustre savant n'est plus qu'un illustre radoteur, ou bien c'est vous qui ne l'avez pas

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compris, et qui me le rendez tel. Il n'y a pas de milieu entre «< ces deux propositions, et le choix n'est pas douteux. Sortez « de là: JE VOUs en défie résoLUMENT!.... » (Page 358.)

M. Guessard prend toujours des tons incroyables pour les choses les plus simples du monde : Je vous en défie résolúment! On dirait un paladin de Charlemagne ! Résolument est superbe! Comment n'être pas convaincu par résolúment?

Oui, Bèze remarque que b se prononce dans absent, obsèques, objet; que ct sonne pleinement dans acte, actif, affection, détracteur; que st, sp se prononcent quelquefois en double, et plus souvent en simple. Et puis, vous prétendez que c'est là un argument en votre faveur ? Vous n'y songez pas. Quelle est la règle générale, selon vous ? Que les consécutives ne s'éteignaient jamais. Alors pourquoi Bèze relèvet-il des mots où elles ne s'éteignent pas ? Qu'y a-t-il là d'extraordinaire? Nous sommes dans la règle. Ah! si la règle était ce que j'ai dit, de ne prononcer pas les consonnes consécutives, la remarque de Bèze serait toute naturelle; mais ici, ce qu'il aurait fallu signaler, au contraire, ce seraient des mots où ces consécutives non jumelles se seraient éteintes, car c'est seulement alors que votre règle eût été violée.

Voilà votre thèse, et voici la mienne, dans laquelle je résume et concilie tout ce qu'a dit Th. de Bèze.

Il est de règle, pour obtenir une prononciation molle et coulante, de ne point faire sentir deux consonnes consécutives.

Nous en exceptons quatre cas de consonnes jumelles; ct, à l'intérieur des mots, et quelques autres, comme le b dans absent, objet, obsèques.

Toute l'argumentation diffuse de M. Guessard repose sur ce que Bèze n'a point réuni sous sa règle tous les cas d'exception, et n'a mentionné d'abord que les jumelles. Bèze ne peut avoir signalé plus loin d'autres exceptions, ou bien il se serait rendu coupable d'oubli de ses propres paroles, de contradiction, de radotage. Mais les gros mots ne prouvent rien, et nous avons déjà vu que le fort de M. Guessard est de poser des alternatives qui n'en sont pas, des dilemmes ouverts de toutes

parts. C'est alors que, dans la joie de son cœur, il s'écrie: Sortez de là, je vous en défie résolûment!.....

Je l'ai dit et redit à satiété : au xvi° siècle, la tradition du langage primitif est considérablement altérée: on n'y peut plus recueillir que des vestiges et des débris. On avait oublié les anciennes règles du x11° siècle. Les vieux mots restaient sous l'empire du vieil usage; mais les mots nouveaux, qui s'introduisaient en foule, entraient avec la marque de l'usage nouveau. Les grammairiens se transmettaient encore l'ancienne règle; mais ils étaient obligés d'y signaler des exceptions à chaque pas. Leur procédé, à cet égard, est empirique. Tel mot se dit ainsi. - Pourquoi ? Il se dit ainsi ; n'en demandez pas davantage. Mais cela semble contredire une règle que vous venez de poser. Que voulez-vous que je vous dise? Je suis le

greffier de l'usage.

En voici un pourtant qui a mis un pied hors de ce cercle étroit; c'est Jacques Dubois (d'Amiens), qui, sous le nom de Sylvius, imprimait sa Grammaire chez Robert Estienne en 1531. Il avertit que «s devant t et quelques autres consonnes se pro<< nonce rarement en plein dans le corps des mots; on l'obscurcit " ou la supprime, pour la rapidité du langage.» Et, tout de suite, il cite des mots exceptionnels où st sonne en plein: domestique, fantastique, organiste, évangéliste, etc...; probablement, ajoute-t-il, parce que ces mots ont été depuis << peu puisés par les doctes aux sources grecques et latines (1). »

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(1) « S ante t et alias quasdam consonantes in media dictione raro ad plenum sed tantum tenuiter sonamus, et pronuntiando vel elidimus vel obscuramus, ad sermonis brevitatem.......... Quem (sibilum) in quibusdam perfecte cum Græcis et Latinis servamus, ut domestique, phantastique, scholastique.... etc., forte quod hæc haud ita pridem a doctis in usum Gallorum ex fonte vel græco vel latino invecta sunt. » (Sylvius, p. 7.)

Pendant que je tiens Sylvius, je ne le laisserai point aller sans en tirer un autre témoignage. J'ai mis en principe que la consonne finale d'un mot était muette, et se réservait à sonner sur la voyelle initiale du mot suivant. (Des Var., p. 41.) C'était la conséquence rigoureuse de la règle des consonnes consécutives. M. Guessard, qui a nié la première règle, nie égale

1

Voilà la raison bien simple de ces exceptions. Si Th. de Bèze ne la donne pas, Sylvius supplée à Th. de Bèze. On prononçait avec les deux consonnes objet, absent, obsèques, détracteur, action, parce que c'étaient des mots nouveaux.

Observez un point essentiel dans le passage de Bèze invoqué par M. Guessard: ct, y est-il dit, sonne pleinement dans le corps des mots; c'est assez dire qu'aux extrémités il ne sonnait pas. Ainsi le e s'entendait dans affection, détracteur, mais non à la fin de subject, object. Cette geminata consonans eût empêché la liaison des mots. On ne disait pas un objecte divin, mais on disait, comme aujourd'hui, objet divin, sans faire soupçonner ni le c ni le t. Sur trois consonnes consécutives, on effaçait les deux premières. Leur rôle se bornait à ouvrir le son de l'e précédent, comme s'il y eût eu objait.

On voit combien il importe, dans les exemples que l'on crée pour rendre une théorie sensible par l'application, de n'admettre que des mots contemporains de la règle. C'est un soin que M. Guessard, soit hasard ou calcul, néglige toujours il puise sans scrupule dans la langue du XIXe siècle des exemples qu'il soumet aux lois du xe, et ne manque pas de trouver l'effet ridicule. Il ne peut se persuader qu'on ait jamais prononcé, sous Henri III, teme et pete pour terme et perte; tenir pour ternir, la chateté pour la chasteté, un âtrologue, etc. Mais ces mots terme, perte, ternir, chasteté, astrologue, les avez-vous jamais rencontrés dans un texte du XIIIe siècle? S'ils sont entrés dans la langue après la désuétude de l'ancienne règle et sous l'empire de la règle nouvelle, qui était l'opposé de l'autre,' quel argument pouvez-vous en tirer par rapport à un principe qui concerne le moyen âge exclusivement? C'est là pourtant l'artifice le plus habituel de M. Gues

ment la seconde. Je lui ai montré la première écrite dans Palsgrave; voici la seconde dans Sylvius:

«

In fine quoque dictionis nec illam (s) nec cæteras consonantes eadem de causa (ad sermonis brevitatem) ad plenum sonamus; scribimus tantum, nisi aut vocalis sequetur, aut finis clausulæ sit, etc. » (P. 7.)

sard. Qu'on y regarde, et l'on verra que les trois quarts de ses objections seraient réduites à néant par cette distinction bien simple de l'âge des mots. Si cette tactique fait briller l'esprit de M. Guessard, c'est aux dépens de sa loyauté.

Au xve siècle, deux systèmes étaient en présence, l'ancien et le moderne. C'est ce que les grammairiens constatent par leurs règles et leurs exceptions. J'ai invoqué subsidiairement les règles pour constater le règne de l'ancien système avant le XVIe siècle; M. Guessard s'appuie des exceptions du xvIe siècle pour soutenir que le système moderne a toujours régné seul.

Dans l'intervalle écoulé depuis mon ouvrage et la critique de M. Guessard, j'ai découvert, chez un grammairien du commencement du xvi siècle, ma règle des consonnes consécutives, mais formelle, précise, ne laissant pas la moindre prise aux distinctions, aux mille arguties de mon adversaire. J'ai cité Palsgrave: à Palsgrave M. Guessard oppose Fabri. Qu'est-ce que c'est que Fabri? C'est l'auteur d'un grant et vray art de plaine rhetorique, «qu'il écrivait >> (notez ces mots) « à la fin du xve ou au commencement du xviR siècle. » C'est le même Fabri qui avait fourni à M. Guessard ce triste argument du Cacephalon, dont il est (je l'en loue) si confus qu'il n'ose pas y revenir. Eh bien! voyons votre Fabri; que dit-il?

e

« Le lecteur a pu le voir dans mon précédent article: st << se profère après a, comme astuce, astrologue, astrolabe;

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après i, comme histoire, etc........ On ne disait donc pas átrologue, châteté, etc.; par conséquent Palsgrave et Fabri se « contredisent, juste à la même époque, sur la même ques ́«tion ! » (P. 260.)

M. Guessard ajoute que, dans le doute, il aime mieux s'en rapporter au témoin français qu'à l'anglais.

L'autorité comparative de ces deux écrivains diffère autant que leurs matières. L'un écrivait ex professo sur la grammaire; l'autre ne traite que la rhétorique. C'est seulement à propos de la rime que Fabri écrit, sur la prononciation de l's devant le t, quatre lignes sans profondeur comme sans portée. Il remarque que tantôt l's est articulée et tantôt ne l'est pas.

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