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vie! etc., etc. C'est ainsi qu'à propos de tout et de rien, d'un manuscrit indiqué, d'une syllabe restituée, d'une virgule rectifiée, on sonne des fanfares mutuelles, on se fait connaitre réciproquement, on se tient, on se pousse, on arrive à quelque chose, ne fût-ce qu'à la croix d'honneur; on obtient le grand résultat, le résultat unique qui se poursuive aujourd'hui, et n'importe par quel chemin : paraître, faire du bruit, être quelqu'un, esse aliquis!

Nous avons continuellement sous les yeux la scène de Trissotin et Vadius: ils n'en ont retranché que la fin; ils ne déposent plus l'encensoir pour se gourmer et se prendre aux cheveux; l'art de donner le coup de poing et le croc-enjambe ne s'exerce plus qu'envers les membres d'une coterie adverse; et, naturellement, qui n'appartient à aucune les a toutes contre soi.

De même que dans les salles d'escrime chaque maître bretteur a sa botte secrète et favorite, de même ici j'observe que cette accusation de plagiat paraît être la botte secrète, le moyen victorieux de M. Guessard. Voici la formule fondamentale mise à nu: Ce qui est de vous est détestable ; ce qui est bon n'est pas de vous. Lorsque M. Ampère publia son Histoire de la formation de la langue française, le même M. Guessard précipita sur ce livre son avalanche de petites critiques pointues, nébuleuses, douteuses, entortillées, auxquelles le lecteur a plus tôt fait de se rendre sans conviction que de les examiner à la loupe, avec la certitude de plusieurs migraines. Ce n'est point faire un grand compliment à M. Ampère que de répéter ici que sa science est hors de doute. Écoutez cependant M. Guessard :

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L'ouvrage de M. Ampère n'est pas original, il s'en faut! Il ne l'est ni dans la théorie générale, ni dans les détails. M. Ampère a emprunté son système sur la formation des langues néo-latines à Scipion Maffei, l'a habillé d'un surtout indoeuropéen, et l'a présenté au lecteur ainsi déguisé. A côté de ce système s'élevait celui de M. Raynouard; M. Ampère l'a attaqué et renversé avec les armes de M. Fauriel...»

Le reste de ce long passage constitue M. Ampère débiteur

de M. Dietz, de M. Schlegel, de M. Orell, de M. Lewis; et quand il est à bout de noms propres, M. Guessard fait arriver les complaisants et cætera de M. Gail, qui du moins ne les employait, lui, qu'à se louer, et non pas à diffamer les autres.

Un petit détail entre mille, pour faire apprécier la méthode et la sincérité de M. Guessard. M. Ampère n'a pas cru devoir reconnaître aux dialectes l'importance que leur attribuait le livre de Fallot, en quoi je suis parfaitement de son avis; de sorte que M. Ampère, ni moi, ne nous en sommes point occupés. M. Guessard trouva que c'était une impardonnable lacune dans M. Ampère. « Une grande question et neuve, «< celle des dialectes, offrait à l'historien de la langue française « l'occasion de déployer toute sa sagacité philologique; mais <«< il n'existait sur ce sujet qu'un livre, un seul, imparfait, « inexact même. L'analyser était imprudent; (pourquoi ?) « pour le refaire il fallait du temps, et le reste. M. Ampère a « nié l'importance du problème, et par là il s'est évité de le « résoudre.» (Bibliot. de l'Éc. des chartes, octobre 1831, p. 100.)

Maintenant il s'agit de blâmer le même tort chez moi, et surtout de l'aggraver le plus possible :

« Tout autre que M. Génin, qui aurait pris pour sujet l'histoire de la formation de la langue française, aurait pu, sans « trop d'inconvénient, négliger les dialectes; cette négligence « n'était pas permise dans un livre sur la prononciation. (Biblioth. de l'Éc. des chartes, janvier 1846, p. 198.)

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Ainsi, en 1841, M. Guessard déclare le péché de M. Ampère irrémissible: Négliger les dialectes dans une histoire de la formation de la langue! ô ciel !.....

En 1846, je comparais à mon tour au tribunal de la pénitence. Aussitôt M. Ampère se trouve innocent, et l'anathème passe de sa tête sur la mienne : On pourrait sans inconvénient négliger les dialectes dans une histoire de la formation de la langue; mais dans les Variations du langage français, c'est impardonnable.

Cela ressemble un peu à la casuistique des révérends pères Jésuites, qui prisent si haut dans leur journal l'esprit charmant

et la vaste érudition de M. Guessard. Comme eux, M. Guessard a ses principes de rechange, selon les temps et les gens; ce système n'est pas moins commode en critique qu'en morale, et je ne suis pas surpris que cette théologie prête la main à cette philologie ce sont des sœurs qui s'embrassent geminata

consonans.

On vient de voir comment M. Guessard juge une moitié du livre de M. Ampère, la moitié d'emprunt; quant à l'autre partie, celle qui appartient en propre à l'auteur, écoutez le ton dogmatique de M. Guessard, présidant du haut de son tribunal infaillible :

Je vois un mauvais système mal appliqué, au fond; « dans la forme, nul enchaînement, nulle suite, nul ordre ri« goureux. Beaucoup de lecture et d'acquit, mais peu ou point d'intelligence directe du sujet. Du métier, de la science, si « l'on veut, mais point d'études mûres et profondes sur les faits (des études múres et profondes!); des généralisations in« discrètes (1); trop de détails puérils ou faux. »>

«

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(Bibl. de l'Éc. des ch., octobre 1841, p. 101.)

En d'autres termes: Ce qui est de vous est détestable; ce qui est bon n'est pas de vous.

M. Guessard a-t-il, comme il y visait, détruit le livre de M. Ampère? Pas le moins du monde.

Dans les citations précédentes, substituez mon nom à celui de M. Ampère, vous aurez la critique que M. Guessard a faite de mon livre, la seule apparemment qu'il sache faire. Quand M. Guessard publiera des travaux philologiques, ces travaux seront tous di prima intenzione; il ne s'appuiera sur rien ni sur personne; il tirera tout de son imagination et de son génie. Mais quand en publiera-t-il? quand luira ce grand jour?

(1) C'est aussi le principal grief de M. Guessard contre mon ouvrage. M. Guessard paraît nourrir des prétentions extrêmes au titre de personnage discret; c'est pour y arriver qu'il écrit des articles de 137 pages, ayant soin d'avertir, il est vrai, que ce n'est là qu'une faible partie de ce qu'il a sur le coeur.

Gare qu'on ne puisse appliquer trop justement à M. Guessard l'épigramme de J. B. Rousseau:

Petits auteurs d'un fort mauvais journal,

Pour Dieu, tâchez d'écrire un peu moins mal,

Ou taisez-vous sur les écrits des autres.

Vous vous tuez à chercher dans les nôtres

De quoi blâmer, et l'y trouvez très-bien;

Nous, au rebours, nous cherchons dans les vôtres
De quoi louer, et nous n'y trouvons rien.

J'avais déclaré ne travailler que pour la recherche de la vérité; M. Guessard m'exhorte à ne travailler désormais que pour l'argent, parce que la vérité, dit-il, me fuira toujours. Je ne crois pas plus à cet oracle qu'aux autres sortis de la même bouche, et je renvoie le conseil à son auteur, qui seul de nous deux est digne de le suivre, ayant été capable de le donner. Veuillez recevoir, Monsieur et cher Éditeur, l'assurance de mes sentiments les plus distingués et affectueux.

Paris, le 30 octobre 1846.

F. GÉNIN,

Professeur à la Faculté des lettres de Strasbourg.

P. S. On vient de me montrer, dans un journal religieux (1), deux articles où je suis diffamé, travesti, calomnié, insulté, etc., pour la plus grande gloire de M. Guessard et de saint Ignace de Loyola. Depuis la publication de mes Jésuites, l'Univers s'efforce charitablement d'appeler sur moi les rigueurs du pouvoir; depuis notre concours sur la langue de Molière, M. Guessard sollicitait discrètement contre mes travaux le ressentiment de l'Académie; tous deux travaillent à me perdre dans l'opinion publique. Aimable concert! pieuse collaboration! association honnête et morale! M. Guessard con

(1) L'Univers du 24 et du 25 octobre 1846.

naît sans doute l'écrivain anonyme qui le porte aux nues, et reproduit si affectueusement ses doctrines et ses objections contre mon livre (sans dire un mot de mes réponses). Pour moi, je ne le connais ni ne veux le connaître. Je vois seulement que M. Guessard a pour soi l'Univers; mais comme c'est l'Univers qui loge rue du Vieux-Colombier, no 29, je ne m'en inquiète guère : j'ai depuis longtemps renoncé à l'espoir d'être canonisé par les jésuites; au contraire, je suis ravi de voir les opinions de M. Guessard soutenues par la Société de Jésus : d'une et d'autre part l'orthodoxie me semble égale, et j'espère que les deux causes, unies dans la défense, ne seront point séparéés dans le succès définitif.

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