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baiffe, il les méprife prefque toujours. Il nous repréfente les Anglois comme ayant le génie & la liberté en partage, & il laille à deviner quel eft le partage des François.

L'homme judicieux & équitable fera auffi éloigné de rabaiffer les Anglois, que de s'en fier aux décisions de M. de Voltaire. Il refpectera toujours ces illuftres & dignes rivaux de notre Nation pour les fciences & les arts: il fe fera un plaifir de leur rendre juftice; il admirera toujours les fublimes génies que l'Angleterre a fournis, & les favants hommes qu'elle a donnés; il avouera qu'elle a eu des Nevvton, des Pope, des Milton; mais il ne lui donnera pas le privilege exclufif de produire les grands génies il ne trouvera, parmi les Anglois, ni des Moliere, ni des Racine, ni des Corneille; encore moins y trouveratil des hommes d'une éloquence auffi élevée & auffi fublime que celle du grand Boffuet, ou des Ingénieurs tels que le Marquis de Vauban, ou des Architectes tels que Blondel & Bullant. Je ne parle point de certains arts, comme la Peinture, la Sculpture, la Mufique: ils ne prétendent pas même nous le difputer, ni entrer

en parallele avec nous fur ces points-là, Cette Nation, profonde & favante, paroît, en général, plus propre à s'enfoncer dans les raifonnements, qu'à faire fa cour aux graces. Elle réuffie mieux dans ce qui n'eft que pour inftruire , que dans ce qui peut plaire; elle a beaucoup plus à nous envier du côté du goût, que nous n'avons à lui envier du côté de la profondeur, de la fublimité, de la fécondité, de Pélévation il n'eft prefque aucun genre où nous ne les ayions égalés; il en eft plufieurs où ils n'ont rien qu'ils puiffent nous oppofer, & en quoi ils puiffent fe comparer avec nous.

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Que M. de Voltaire cite tant qu'il voudra les Shakespear, les Driden, les Adiffon, les Waller; qu'il choififfe les plus beaux endroits de ces Auteurs, qu'il traduira & qu'il embellira encore de fon mieux, pour les proposer à notre admiration, nous reconnoîtrons avec plaifir & avec équité les beautés qui y brillent. Mais que n'auroient pas à admirer les Anglois, fi on leur préfentoit en détail les beaux endroits de nos grands Auteurs ? Les jugements qu'ils en porteroient fur ces morceaux détachés, feroient bien plus fûrs que ceux que nous pourrions

porter fur les extraits que M. de Voltaire nous préfente. La raifon de cela eft que nos Ouvrages font généralement mieux foutenus que ne le font la plupart des Ouvrages Anglois. Nous ne retombons pas fi aisément après nous être relevés; nous ne donnons pas fi aifément dans les deux extrêmités du fublime & du bas, du grand & du puérile, de la décence & de la bouffonnerie.

Dans la comparaifon que fait M. de Voltaire, des Ouvrages Anglois avec les nôtres, il paroît qu'il juge plus par prévention & par paffion, que par raison & par goût. Et fi nous en jugeons nous-mêmes, par les morceaux qu'il nous cite, nous en concevrons plus de défiance que d'admiration. En effet, la plupart de ces morceaux ne font que des fatyres contre les Catholiques, ou des infultes aux François ou bien des traits d'impiété. On laiffe à deviner la raison qui a décidé M. de Voltaire dans ce choix.

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Mais il n'eft guere de pieces, où il marque plus hardiment fon mépris outrageant pour fa Nation, & fon admiration outrée pour les Anglois, que dans l'impie apothéofe qu'il a

faite de fa Comédienne, Mademoifelle le Couvreur. Voici comment il s'exprime

Ah! verrai-je toujours ma foible
Nation

Incertaine en fes vœux, flétriri ce
qu'elle admire,

Nos mœurs avec nos loix toujours fe contredire,

Et le François volage endormi fous l'empire

De la fuperftition?

Quoi ? N'eft-ce donc qu'en Angle

terre,

Que les mortels ofent penfer?

O rivale d'Athene! O Londre! heureufe terre,

Ainfi que des tyrans vous avez fut

chaffer

Les préjugés honteux qui vous liguerre !

vroient la

C'eft-là qu'on fait tout dire & tout récompenfer.

Quiconque a des talents, à Londre eft un grand homme.

L'abondance & la liberté

Ont, après deux mille ans, chez vous reffufcité

L'efprit de la Grece & de Rome. Il faut avouer qu'on ne pouvoit dire en plus beaux vers des injures plus groffieres à la Nation Françoife, & des injures moins méritées. Ce qui

échauffe tant la bile de M. de Voltaire contre les François, c'eft le refus qu'ils ont fait de dreffer des Autels à une Comédienne, qui avoit toutes les vertus, qu'ont ordinairement les filles qui montent fur le théatre. Y avoit-il là un motif fuffilant pour nous maltraiter fi fort, & la faute n'étoit-elle pas excufable & pardonnable? Il eft bien plus indulgent pour les Anglois; il ne les éleve pas moins, quoiqu'ils faffent mourir les Rois fur les échafauds, & qu'ils raillent de toutes les Religions.

Le François Catholique n'eft, felon M. de Voltaire, qu'un homme volage fuperftitieux, foible, honteux, efclave des préjugés. Mais l'Anglois qui ne croit rien, qui tantôt plie avec lâcheté fous le joug d'un tyran comme Cromvvel, tantôt entre en fureur contre fes Rois légitimes, les détrône & les bannit; l'Anglois eft un homme qui fait, qui ofe penfer, qui fait fe délivrer de fes préjugés, ainfi que de fes tyrans.

La France, felon M. de Voltaire, n'eft plus qu'un ftérile champ; elle n'eft plus la patrie des talents & de la gloire. Mais Londres qui est si fouvent obligée d'emprunter de la France & de l'Italie les beaux arts,

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