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Après cette petite raillerie, il prend un ton plus férieux. Il canonife de fa pleine autorité les grands Saints du Paganifme; mais je ne fais s'il feroit content d'être placé à côté d'eux dans l'autre monde, & s'il borne-là toutes fes efpérances & tous fes defirs. Penfe tu, dit-il en parlant à un Chrétien :

Penfe - tu que Socrate & le fage
Ariftide,

Solon, qui fut des Grecs & l'exemple
& le guide;

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Penfe tu que. Trajan, Marc-Aurele,
Titus,

Noms chéris, noms facrés, que tu
n'as jamais lus,

Aux fureurs des démons font livrés

en partage

Par le Dieu bienfaifant dont ils étoient l'image?

Enfuite, tendrement intéreffé pour fes chers Anglois & pour tous ceux qui aiment leur maniere de penfer, il demande grace pour le Socinien ou Arien Nevvton, pour Locke qu'il repréfente comme l'Apôtre du Matérialifme, &c.

Sois fauvé, j'y confens; mais l'immor-
tel Newton,

Mais le favant Leibnitz, & le fage
Adiffon,

Et ce Locke, en un mot, dont la main
courageufe

A, de l'efprit humain, pofé la borne heureuse:

Ces efprits qui fembloient de Dieu même éclairés,

Dans des feux éternels feront-ils dévorés ?

Porte un arrêt plus doux, prends un ton plus modefte.

Ami, ne préviens point le jugement célefte

;

Respecte ces mortels, pardonne à leur

vertu,

Ils ne t'ont point damné, pourquoi les damne-tu ?

Je ne fais pas pourquoi dans ce catalogue des Saints il n'a pas encore mis quelques Comédiens & quelques Comédiennes; car ces fortes de perfonnes ont bien autant de droit, que des Hérétiques & des Païens au Paradis de Voltaire. Il eft vrai qu'il a déjà fait l'apothéofe de quelquesunes, entr'autres celle de Mademoifelle Le Couvreur. Cette Actrice fut enterrée dans un champ fur les bords de la Seine. M. de Voltaire, dans la

Piece

Piece qu'il a faite fur la mort de cette Comédienne, s'exprime affez énergiquement fur le culte qu'il croit lui devoir; & il témoigne affez ouvertement le mépris qu'il a pour fa Religion & pour fa Nation.

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M. de Voltaire ofe nous avertir de refpecter ces illuftres Païens, Déiftes & hérétiques, qu'il canonife; mais ne fommes-nous pas plus en droit de l'avertir lui-même de refpecter un peu plus les oracles évangéliques? Car nous fuppofons qu'il n'a pas encore renoncé à fon Baptême comme fon grand Saint, l'Apoftat Julien ni abjuré l'Evangile, quoiqu'il faffe tant d'efforts pour l'outrager. Jefus-Chrift nous dit que ceux qui n'auront pas reçu une feconde naiffance fpirituelle par le Baptême, ne pourront pas entrer dans le Royaume des Cieux. Pourquoi donc veut-il y placer, malgré Jesus-Christ, les Tite, les Trajan, les Marc-Aurele, qui n'ont point reçu la grace du Baptême ? L'Ecriture nous apprend que Marc. 264 fans la foi il eft impoffible de plaire à Dieu; que ceux qui n'auront pas la foi, feront condamnés; & que ceux qui n'écoutent pas l'Eglife, doivent être traités comme des Païens. Et pourquoi donc veut-il remplir le Paradis Tome II.

M

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de tout ce qu'il y a d'Hérétiques; de Païens, de gens qui ne croient ni aux Ecritures ni à l'Eglife?

Qu'on cherche, aprè, ce que nous venons d'expofer, la différence qu'il peut y avoir entre ces Philofophes, qui veulent tout tolérer, & des hommes fans religion, & dont les principes ne menent qu'au mépris & à l'anéantiffement de la Religion.

ARTICLE VI.

Des Avantages du Tolérantifme.

A

Près avoir entrepris de prouver. que, de quelque Religion qu'on fût, tout étoit égal; après avoir mis pêle-mêle en Paradis l'Idolâtre, l'Arien, le Déifte, le Catholique, le Luthérien, M. de Voltaire prend une autre voie pour perfuader la tolérance; c'eft de la faire regarder comme la mere de la paix & comme le premier des biens,

Que conclure à la fin de tous ces longs propos ?

C'eft que les préjugés font la raison des fots,

Il ne faut pas pour eux fe déclarer la

guerre :

Le vrai nous vient du Ciel, l'erreur vient de la terre;

Et parmi les chardons qu'on ne peut arracher,

Par des fentiers fecrets le fage doit marcher.

La paix, enfin, la paix que l'on trouble & qu'on aime,

Eft d'un prix auffi grand que la vérité mênie.

Il y auroit bien des obfervations curieufes & des queftions délicates à faire fur ce qu'on doit entendre par ces préjugés qui font la raifon des fots; par ces chardons qu'on ne peut arracher; par ces fentiers fecrets dans lefquels le fage doit marcher. Quel dangereux ufage ne peut-on pas faire de ces expreffions? Quelle défiance ne doivent-elles pas infpirer ? Quels abominables principes ne peuvent-elles pas couvrir? N'est-ce point fous ces mots qu'eft caché le déteftable fecret des Déiftes Adeptes dont nous parle M. de Voltaire dans fon Chapitre du Déifme? Ne font-ce pas nos Dogmes refpectables qu'on défigne ici par le mot de Préjugés? Ces fots, aux yeux de la cabale philofophique & anti

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