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tice vient déployer à Fontainebleau sa poétique imagination et son élégance à la fois forte et voluptueuse. C'est à son appel que Jean Cousin, notre Michel-Ange, fonde l'école française et opère la transition de la peinture sur verre à la peinture à l'huile. Cependant s'élèvent de tous côtés ces châteaux de la Renaissance, qui viennent remplacer sur notre sol les forteresses féodales; c'est Madrid, l'élégant manoir du bois de Boulogne; c'est la Muette, SaintGermain, Villers-Cotterets, Chantilly, Follembray, et ce palais de fées créé au fond des bois de la Sologne, le merveilleux et fantastique Chambord. Toute la noblesse, lasse du triste séjour des noirs et solitaires donjons, accourt près du roi-chevalier, dans ces élégantes et somptueuses demeures où la vie s'écoule dans une fête éternelle. On voit arriver à l'envi les grands seigneurs et leurs jeunes femmes, les érudits et les artistes, étrange et brillante société où la science est admise à titre de luxe, où les hardiesses de la pensée sont accueillies comme une jouissance nouvelle de l'imagination.

Loin de s'éteindre avec François Ier, l'influence italienne vint au contraire prendre officiellement possession du trône des Valois. Catherine de Médicis, qui joignait toutes les qualités de l'esprit à tous les vices du cœur, avait apporté de Florence le noble goût des beaux-arts. Non contente de protéger les artistes, elle participait elle-même à leurs travaux. Philibert Delorme, qui construisit pour elle le palais des Tuileries, la loue du grandissime plaisir qu'elle prend en l'architecture, pourtrayant et esquichant les plans et les profils des édifices qu'elle fait élever'. C'est sous son triple règne que la Renaissance trouva enfin son expression artistique la plus élevée et la plus significative, la poésie. Ici encore, au milieu d'innovations plus importantes dont nous aurons bientôt à parler, se montrèrent les traces nombreuses de l'imitation italienne. Joachim du Bellay préconise le sonnet presque à l'égal de l'ode; Ronsard doit à l'inspiration des poëtes de l'Italie quelques-unes de ses meilleures pièces,

1. Traité de l'architecture. Paris, '667.

les seules que tâchent de reproduire ses disciples Desportes et Bertaut. Il n'est pas jusqu'aux jeunes seigneurs qui, d'abord par fanfaronnade guerrière, et ensuite par esprit courtisanesque, ne mêlent à la vieille langue de leurs pères les idiotismes toscans, qu'ils ont rapportés du théâtre de leurs exploits, ou recueillis dans la conversation de leur reine et de ses filles d'honneur.

Étude de l'antiquité; invention de l'imprimerie; Collége

de France.

A considérer ainsi isolément la tranquille invasion de l'art italien dans la France, il semble qu'il va se borner à y fournir la même carrière que dans sa terre natale, jetant sur son passage des rayons semblables, mais affaiblis. On s'attend presque à retrouver de ce côté des Alpes l'élégante mais timide contrefaçon de la Renaissance ultramontaine. Il n'en fut rien néanmoins; les événements de l'histoire, l'agitation des esprits troublèrent violemment la civilisation du xvi siècle, mais enrichirent son cours d'un sédiment fécond. Les travaux mêmes auxquels l'Italie avait convié l'Europe portaient en eux le germe d'une rénovation intellectuelle et politique. L'Italie moderne ne se présentait pas seule à l'étude de la France, elle amenait avec elle toute l'antiquité grecque et romaine; et, bien que le culte de la science classique dût souvent ressembler à une superstition, cette innovation n'en fut pas moins un immense progrès : en changeant de servitude, la pensée moderne apprenait à être libre.

L'empire de Constantinople s'était écroulé en 1453. De savants Grecs, échappés à l'asservissement de leur patrie, étaient venus chercher un asile en Italie, et payaient l'hospitalité des Latins par l'enseignement de la langue d'Homère et de Démosthène.

Le 19 janvier 1458, l'Université de Paris reçut une demande de Grégoire, né à Tiferno, dans le royaume de Naples, à l'effet d'être admis dans son sein comme professeur de grec et de rhétorique. Cette offre fut accueillie; mais le nouvel enseignement, isolé au milieu des chaires de logique

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et de théologie scolastiques, regardé avec défaveur par les partisans coalisés des vieux systèmes, se vit à peine toléré, et ne porta que des fruits médiocres. Toutefois la tradition ne s'en perdit pas; ce fut d'un des élèves de Grégoire qu'un jeune Allemand destiné à une haute célébrité, Reuchlin, le patron et le maître de Mélanchthon, apprit, vers l'an 1470, les premiers éléments de la langue grecque. Quelques années plus tard, Reuchlin retrouvait dans la même ville, pour professeur de grec, un véritable enfant de la Grèce, qui toutefois devait sa célébrité plutôt à sa patrie qu'à son savoir1: c'était George Hermonyme. Seul alors à Paris, il parlait ou plutôt balbutiait le grec, et n'avait pas plus le désir que la capacité de l'enseigner aux autres. Mais ses rares élèves suppléaient à l'insuffisance de ses leçons par un dévouement à l'étude qui avait quelque chose de l'enthousiasme religieux des néophytes. Je me suis donné de toute mon âme à l'étude du grec, écrit l'un d'eux, et aussitôt que j'aurai quelque argent, j'achèterai des livres grecs d'abord et ensuite des vêtements. » Bientôt après les livres devinrent moins rares. L'Italie avec laquelle continuaient nos rapports, multipliait ses doctes envois. Déjà commençaient à eirculer des livres qu'on croyait encore manuscrits, mais remarquables par la régularité extraordinaire de l'écriture, de plus à bon marché et en grand nombre. Plus on en achetait, plus il y en avait à vendre. Ils se trouvaient, chose merveilleuse! tous semblables entre eux, comme s'ils fussent tous sortis au même instant de la même main. L'imprimerie, qui ne fut d'abord que l'art de graver ou de stéréotyper sur bois, procédé connu en Chine de temps immémorial, devint, vers 1450, l'invention admirable des caractères mobiles. On l'attribue généralement à Guttenberg, né à Mayence, mais établi à Strasbourg. Fust, riche négociant de cette première ville, aida l'inventeur de ses capitaux; et Schoeffer, leur collaborateur, perfec

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4. Non tam doctrina quam patria clarus. » Beati Rhenani epistola ad Reuchlinum, folio 52.

2, a Unus Georgius Hermonymus græce balbutiebat, sed talis ut neque potuisset docere, si voluisset; neque voluisset, si potuisset. » Erasmi epistola

LVIII.

3. Erasmi epistola xxix.

tionna l'invention en imaginant un procédé plus facile pour la fonte des caractères1.

Fichet, recteur de la Sorbonne, introduisit l'imprimerie à Paris en 1469. Les nouvelles presses produisirent sept cent cinquante-un ouvragės jusqu'à la fin du xv siècle, et dès le commencement du suivant elles ne donnèrent pas moins de huit cents publications dans l'espace de dix ans; dans le nombre se trouvaient quelques ouvrages grecs. Le nonchalant Hermonyme était remplacé par le savant Italien Aleandro, recteur de l'Université de Paris en 1512, pensionné par Louis XII, et enseignant le grec et peut-être l'hébreu.

Ce fut surtout sous François Ier que la Renaissance prit l'essor. Jamais l'esprit humain n'avait développé une curiosité plus enthousiaste pour le passé, une activité plus studieuse, plus passionnée pour les lettres. Les imprimeurs, pleins de la dignité de leur mission, marchaient de pair avec les premiers savants de leur siècle. Aux Badius Ascensius, aux Gourmont, aux Colines, aux Dolet, succéda la famille des Estienne, ces prodiges de science et de travail, qui, pendant quatre générations, élevèrent l'art de la typographie à la plus haute perfection qu'il ait jamais atteinte. François Ier lui-même témoignait sa sollicitude à cette dixième muse par la création de l'imprimerie royale. Cet établissement n'était que l'appendice d'une institution encore plus importante. Laissant à la Sorbonne sa stérile escrime théologique, le roi conçut et réalisa la pensée de séculariser l'enseignement. Le College royal (Collège de France), créé en 1531, se remplit de chaires d'hébreu, de grec, de latin, de médecine, de mathématiques et de philosophie, admirable pêle-mêle de science, désordre fécond d'une généreuse époque, que des temps plus rassis eussent dû peutêtre assujettir à une organisation plus méthodique. C'est là que brillèrent les Vatable (Wastebled), les Danès, les Toussain, et le savant Turnèbe et le disert Lambin, dont la

1. H. Hallam, Histoire de la littérature de l'Europe, t. I, p. 154, analyse et résume les longues discussions auxquelles a donné lieu cette matière. Les principaux auteurs qui y ont pris part sont indiqués dans l'Histoire litteraire de l'Italie, par Ginguené, t. III, p. 270.

sage lenteur enrichit la science antique de nombreux commentaires et la langue française d'un terme expressif emprunté à son nom.

Budé; Erasme.

Aux souvenirs du Collège de France se rattachent les deux renommées les plus brillantes parmi les savants du xvi" siècle, Budé et Érasme, dont l'un détermina le roi à créer cet établissement, l'autre refusa d'en être le chef et d'aliéner ainsi son indépendance d'homme de lettres. Grâce à Guillaume Budé1, le plus savant helléniste de l'Europe, la France n'eut plus rien à envier à l'Italie, sous le rapport de la science philologique. Ce fut lui qui, le premier, détrônant l'insuffisante compilation de Guarino (l'Etymologicum magnum de Phavorinus), et devançant de 43 ans le véritable Trésor de Henri Estienne, fixa, dans ses Commentaires, le sens d'une grande partie des mots de la langue grecque, et se fit le législateur d'une science qui n'avait eu jusqu'alors que d'aventureux champions. Chez lui se manifeste déjà la tendance sérieuse et positive de l'érudition cisalpine; même dans un travail sur les mots, Budé se préoccupe des choses. Il explique, avec une justesse et une précision qui n'ont pas été surpassées, les termes grecs du droit et du barreau, et les rapproche des termes de la jurisprudence romaine. C'est ainsi que, dans son excellent traité de Asse, il expose les dénominations et la valeur des monnaies romaines à toutes les époques de l'histoire, et que, dans ses Observations sur les Pandectes, il appliqua le premier la philologie et l'histoire à l'intelligence du droit romain, innovation qui, perfectionnée dans la génération suivante par des hommes plus versés dans la jurisprudence, devait y produire une sorte de révolution. Toute la gloire littéraire de Budé peut se résumer en un mot : il excita la jalousie d'Erasme, qui resta pourtant son ami.

Érasme de Rotterdam vint plusieurs fois et vécut longtemps à Paris. Il est nôtre par ses relations avec la France

1.1467-1540. Ouvrages principaux : Annotationes in Pandectas; de Asse; de Studio litterarum; Commentaria in linguam græcam.

2. Né en 1467, mort en 1536.

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