l'Église. Le xvi siècle enflamma cette parole de toute l'ar- Les prédicateurs étaient en effet l'âme de la Ligue. Ce sont eux qui communiquaient au peuple l'enthousiasme de la résistance, qui lui faisaient braver la mort et souffrir la faim sans murmure. Il n'y avait pas à Paris d'église ni de chapelle où l'on ne prêchât au moins deux fois par jour. Les orateurs sacrés annonçaient, commentaient les nouvelles. politiques, attaquaient les personnes, discutaient les intérêts de l'État. Ils déclaraient ne vouloir point prêcher l'Évangile,« parce qu'il était trop commun et que chacun le sa vait; ils aimaient mieux raconter « la vie, gestes et faits abominables de ce perfide tyran Henri de Valois.» Le sermon était à la fois le club et le journal. Il avait toute la violence démagogique des époques les plus sanguinaires. Boucher, prêchant le carême à Saint-Germain l'Auxerrois, prétendait « qu'il fallait tout tuer, qu'il était grandement temps de mettre la main à la serpe et d'exterminer ceux du parlement et autres. » Il fut si au long question de sang et de boucherie, qu'un conseiller de la cour, voyant ces gestes et paroles atroces, désirait se sauver du milieu de cette foule qui écoutait, de peur que Boucher « ne descendît de sa chaire pour saisir quelque politique au collet et le manger à belles dents.» Rose, de son côté, s'écriait « qu'une saignée de Saint-Barthélemy étoit nécessaire, et qu'il falloit par là couper la gorge à la maladie. » Commolet disait « que la mort des politiques étoit la vie des catholiques; » Aubry, « qu'il marcheroit le premier pour les égorger; » Cueilly, « qu'il vouloit qu'on se saisît de tous ceux qu'on verroit rire; » et Guincestre, «< qu'on eût à jeter à l'eau tous les demandeurs de nouvelles. » Le ton de ces orateurs était digne de leur politique. L'Étoile n'exagère pas en comparant l'un d'eux à une harengère en colère. On pressent toutefois que, si l'éloquence est le don d'agir sur les âmes, les discours des chefs de la Ligue durent être souvent éloquents. Après que Henri eut fait assassiner à Blois les princes lorrains, ce fut sans doute un moment terrible et sublime que celui où Guincestre, dans la chaire de l'église Saint-Barthélemy, exigea de tous ses auditeurs le serment d'employer jusqu'au dernier denier de leur bourse et jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour venger les nouveaux martyrs. « Levez la main, disait-il au président de Harlay, assis en face de lui au banc d'œuvre, levez-la bien haut, s'il vous plaît, monsieur le président, afin que tout le monde vous voie. » Et le président était contraint d'obéir, car le peuple, exalté par la harangue démagogique, l'eût infailliblement mis en pièces. L'éloquence des prédicateurs parlait quelquefois aux yeux du peuple par d'imposants spectacles. Telle fut cette procession où plus de cent mille personnes portant des cierges les éteignaient tout d'un coup en s'écriant: « Dieu, éteignez ainsi la race des Valois ! » Un témoin oculaire qui ne peut être suspect, le protestant d'Aubigné, nous atteste en ces termes la puissance que la chaire exerçait alors sur les esprits: La France, comme étant venue au période de son éloquence, déployant plusieurs discours dans les chaires et par les écrits, étoit agitée de raisons contraires. Les ligués étoient plus avantagés que ceux de la réforme par les sermons des prêcheurs, comme possédant les suggestes des grandes villes, et puis ayant l'acte de Blois (le meurtre des Guise) sur lequel les prêcheurs paratragédiaient à plein fond; ils avaient encore la grande secte des jésuites tout entière pour eux, comme servant au grand dessein. Ces esprits choisis, comme l'on sait, se servirent de l'horreur de l'acte que nous avons dit, et élevèrent pour un temps la plupart des courages de la France à un haut degré de vengeances qui sentoient le juste et le glorieux 1. » C'est dans les revers, c'est quand il fallait contre-balancer la souffrance par l'enthousiasme qu'éclatait la puissance des prédicateurs. Le moine Christin, chargé d'annoncer au peuple la défaite d'Ivry, que les Seize venaient seuls d'apprendre par un prisonnier relâché sur parole, prit pour texte de son sermon ces mots de l'Écriture: « Je châtie ceux que j'aime. » Dans son premier point, il prépara les Parisiens, le peuple aimé de Dieu, à recevoir quelque marque sévère de cette prédilection divine. Il allait commencer le second point quand un courrier entra dans l'église et lui remit une lettre. Alors l'orateur se haussant dans la chaire, cette missive à la main, s'écria que le ciel l'avait inspiré sans doute et avait voulu faire de lui en ce jour un prophète. Il raconta alors la bataille d'Ivry à cette foule ainsi préparée; puis, avec toute la force de son éloquence, il se répandit en exhortations si pathétiques, en prières si efficaces, que ce peuple, qui l'écoutait d'abord en silence et avec tristesse, passa de la terreur à l'enthousiasme, et se montra disposé à tout souffrir pour la sainte cause de l'Union. 4. D'Aubigné, Histoire universelle, t. III, p. 288. Pendant le siége de Paris et la famine qui l'accompagna, ce furent encore les prédicateurs qui soutinrent le courage du peuple. Leur éloquence mérita le bel éloge que Pline décernait à l'orateur romain: Te dicente, alimenta sua abdicaverunt tribus! « Ces orateurs, dit un contemporain, charmoient en quelque façon la langue pour se plaindre, et l'estomac pour aboyer après le pain 1. » Toutefois ces résultats merveilleux ne doivent pas nous donner une idée trop haute des moyens oratoires destinés à les obtenir; chez un peuple grossier, la vulgarité du langage, l'impudeur des invectives est souvent un moyen de succès. L'éloquence peut être alors un pouvoir, mais elle n'est point encore une littérature. Pour entrer dans le domaine de l'art, elle doit non-seulement émouvoir les cœurs, mais encore élever les âmes jusqu'à la vue calme et sereine de la vérité. Quelquefois la verve triviale des orateurs de la Ligue trouvait quelque trait d'esprit au milieu de ses grossièretés trop fréquentes. Boucher faisait ainsi le portrait de Henri III: « Ce teigneux est toujours coiffé à la turque d'un turban, lequel on ne lui a jamais vu ôter, même en communiant; et quand ce malheureux hypocrite faisoit semblant d'aller contre les reistres, il avait un habit d'Allemand fourré et des crochets d'argent, qui signifioient la bonne intelligence et accord qui étoient entre lui et ces diables noirs empistolés. Bref, c'est un Turc par la tête, un Allemand par le corps, une harpie par les mains, un Anglois par la jarretière, un Polonais par les pieds, et un vrai diable en l'âme. >> ་་ Ce ton vif, pénétrant, familier, revient souvent chez ce prédicateur. Veut-il mettre en doute la sincérité de la conversion du Béarnais : On l'a vu, dit-il, en une même heure huguenot, et en la même catholique! et puis le voilà à la messe! et sonne le tambourin! Vive le roi! » Ailleurs, dirigeant au même but un trait plus sérieusement lancé, il 4. Mathieu, Histoire de France, t. II, p. 44. 2. Allusion à la fuite du roi de Pologne, quittant précipitamment ses Etats. 3. Sermons de la simulée conversion et nullité de l'absolution de Henri de Bourbon. Paris, Chaudière 4594. Réimprimés à Douai, 4594. oppose éloquemment la pompe militaire de l'abjuration à l'humilité qui convient à un pénitent. « Quelle cendre? s'écriet-il, quelle haire? quels jeûnes? quelles larmes ? quels soupirs? quelle nudité de pieds? quels frappements de poitrine? quel visage baissé ? quelle humilité de prières ? quelle prostration par terre en signe de pénitence? Les gens de guerre embâtonnés, les fifres, les tambours sonnant, l'artillerie et escopetterie, les trompettes et clairons, la grande suite de gentilshommes, les demoiselles parées, la délicatesse du pénitent, appuyé sur le col d'un mignon, pour le grand chemin qu'il y avait à faire, environ cinquante pas, depuis la porte de l'abbaye jusqu'à la porte de l'église; la risée qu'il fit, regardant en haut, avec un bouffon qui étoit à la fenêtre : « En veux-tu pas être?» Le dais, l'appui, les oreillers, les tapis semés de fleurs de lis, l'adoration faite par les prélats à celui qui se doit soumettre et humilier devant eux, sont les traits de cette pénitence. Voici le jugement que porte sur le style de ce chef des ligueurs parisiens, type des orateurs sacrés de cette époque, un jeune et spirituel écrivain, qui en a fait l'objet d'une étude approfondie': Son style est un style de transition. Sa phrase est longue, savante, périodique, chargée d'incises et de retours, n'évitant pas l'expression franche, attrapant souvent l'expression pittoresque à la manière du XVIe siècle; mais aussi elle est déjà pleine d'images prétentieuses, elle vise au bel esprit, comme dans les homélies de Godeau, comme au temps de l'hôtel de Rambouillet. Boucher procède volontiers par énumération et par apostrophes. Il y a chez lui un certain souffle abondant, une certaine verve amère, une certaine plénitude verbeuse, qui devaient séduire les imaginations faciles de ce temps. Ces citations entremêlées de l'histoire profane et de la Bible, cette succession incohérente d'anecdotes, de plaisanteries, de périodes solennelles, et enfin, si l'on peut dire, ce cliquetis perpétuel de l'érudition du rhé 4. Ch. Labitte, dans son curieux et intéressant ouvrage de la Démocratie chez les predicateurs de la Ligue, où nous avons puisé la plus grande partie des détails qui précèdent. |