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bres; elle s'avance avec une dignité toute castillane, apporte au lecteur sa petite réflexion plus ou moins ingénieuse, puis cède la place à une autre qui affecte exactement la même marche, la même tournure. Ses périodes se produisant par système et non par inspiration, semblent toutes jelées dans le même moule : on sent dans chacune d'elles le travail d'une composition détachée et indépendante. Elles se succèdent comme autant de sonnets cadencés, harmonieux et couronnés par une pensée brillante. Ce style a quelque chose de la monotonie solennelle des vagues qui viennent régulièrement frapper la plage, apportant pour tribut, l'une de brillantes coquilles, l'autre une algue stérile. On sent un homme qui écrit pour écrire; ce n'est point la pensée qui pousse la plume, c'est la plume qui va chercher

pensée, et qui s'en passe quand elle ne la trouve pas. Aussi point de dessin général, point d'ensemble, ni de plan; son style ne se nourrit que de ce qu'il rencontre sur sa route il vit au tour le tour. Il ne marche point vers un but, il se promène; pour lui le chemin est l'essentiel peu lui importe d'arriver. Il cueille, en passant, les contrastes; les antithèses, les comparaisons, les parallélismes. Il y a déjà du Fléchier dans Balzac. Il prend autant de peine à travailler ses ouvrages que les anciens sculpteurs à faire les dieux'. A ce beau corps il ne manque qu'une âme, qu'une idée grande, un intérêt sérieux. Quand par hasard il le rencontre, la véritable éloquence éclate aussitôt sous sa plume. Dans son Socrate chrétien que M. Sainte-Beuve appelle spirituellement l'Isocrate chrétien, on trouve quelques pages admirables, celles où l'auteur développe la merveilleuse diffusion de l'Évangile, celles encore où il montre la main de Dieu cachée derrière les événements de l'histoire. Dans ses lettres mêmes, dès qu'il s'occupe d'une affaire, si petite qu'elle soit, comme par exemple de la publication de ses euvres, confiée au prudent et silencieux Conrard, le style devient infiniment meilleur. Ces dernières lettres sont de 1648,

Lettres diverses de M. de Balzac, livre I, lettre xvi.

.Discours et discours vin.

1649, 1650; l'auteur est vieux, fatigué, malade, il écrità un ami, il ne prend pas la peine de mal faire. D'ailleurs, le Cid, suivi des autres chefs-d'œuvre de Corneille, a paru depuis plus de douze ans (1636), et il y a presque aussi longtemps que Descartes a publié sa Méthode (1637) et ses Méditations (1641).

Le malheur de Balzac fut de n'avoir pas souvent à traiter d'affaires sérieuses. Son éloquence est généralement creuse et vide. Elle ne s'occupe que d'elle-même, et porte dans sa stérilité la peine de son égoïsme. Retiré orgueilleusement près d'Angoulême, dans son château, Balzac communique à peine avec ses semblables. Il est aux antipodes, où il n'y a que de l'air, de la terre et une rivière. Pour trouver un homme, il faut faire plus de dix journées; partant, il n'a de communication qu'avec les morts1. Ne voyant quasi que des objets qui ne parlent point, et passant sa vie parmi des choses mortes et inanimées, il chemine sans guide et sans compagnie tous les secours qu'un autre pourrait avoir lui manquent. Encore si cette retraite était celle du philoso phe! Mais Balzac n'est point un Descartes. De plus, il est aussi indifférent au genre humain qu'il en est éloigné. Il regarde ce qui se passe chez nous et chez nos voisins comme l'histoire du Japon ou les affaires d'un autre siècle. Il pense que nous n'aurions jamais fait si nous voulions prendre à cœur les affaires du monde et avoir de la passion pour le public dont nous ne faisons qu'une petite partie3. Les arts sont pour lui aussi muets que la société. S'il va à Rome, il jette à peine un regard dédaigneux sur les chefs-d'œuvre qu'elle renferme. Il n'a pas beaucoup de curiosité pour ces choses-là, et admire peu du marbre qui ne parle point et des peintures qui ne sont point si belles que la vérité. Il faut, dit-il, laisser cela au peuple. Il lui laisse probablement aussi les sentiments de famille. « Depuis ma dernière lettre, écrit-il négligemment à un correspondant, j'ai perdu mon bon homme de père.» Voilà toute sa sensibilité. Un pareil

1. Lettres diverses, livre I, lettre Ix.

2. Le Prince, ch. 1.

3. Lettres diverses, livre II, lettre 1.

être ne risquait pas de tenir tous les hommes pour ses parents et de porter le deuil tout le temps de sa vie.

Aussi son éloquence ressemble-t-elle trop souvent au portrait qu'il a tracé lui-même. « L'éclat ne suppose pas toujours la solidité, et les paroles qui brillent le plus sont souvent celles qui pèsent le moins. Il y a une faiseuse de bouquets et une tourneuse de périodes, je ne l'ose nommer éloquence, qui est toute peinte et toute dorée; qui semble toujours sortir d'une boîte, qui n'a soin que de s'ajuster et ne songe qu'à faire la belle; qui, par conséquent, est plus propre pour les fêtes que pour les combats, et plaît davantage qu'elle ne sert, quoique néanmoins il y ait des fêtes dont elle déshonorerait la solennité, et des personnes à qui elle ne donnerait point de plaisir1. »

Malgré ce qui manque à Balzac pour être véritablement éloquent, il faut néanmoins reconnaître en lui le créateur des formes nobles et harmonieuses dont l'éloquence devait bientôt se revêtir. Il a préparé la langue oratoire des Pascal et des Bossuet; il est le Malherbe de la prose.

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Voiture en fut le Desportes, mais avec plus d'esprit et d'afféterie encore. Il serait injuste de le juger comme un auteur. Voiture n'a jamais eu l'intention de l'être il n'a jamais rien imprimé. C'est après sa mort que son neveu Pinchesne a publié quelques-unes de ses lettres et de ses vers de société. Pour lui, il ne songea qu'à jouir agréablement de la vie; il plaça tout son talent en viager, et devint l'homme le plus aimable et le plus recherché de son temps. Simple roturier, il vécut sur le pied de l'égalité avec les plus grands noms, fut l'idole de l'hôtel de Rambouillet, qui mourut pour ainsi dire avec lui.

Il écrivit comme il fallait écrire pour charmer ses aimables et spirituelles correspondantes. Ne lui demandez ni le sérieux de la pensée, ni la gravité du langage. Tout ce qu'il en dit n'est que pour trouver moyen de remplir ses lettres.

1. Paraphrase,

ou De la grande éloquence, discours vi.

2. Né en 1598 à Amiens; mort en 4648.

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OEuvres des lettres et des sies; Histoire d'Alcidalis et de Zelide, roman non achevé; quelques poéLes latines, espagnoles, italiennes. Edition 1729, 2 vol. in-12.

Et en vérité n'est-il pas excusable? Car, pour parler franchement, on est souvent bien empêché à trouver que dire, et sans quelques inventions comme cela, des personnes qui n'ont ni amour, ni affaires ensemble ne se peuvent écrire souvent 1.

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Le grand moyen de Voiture, c'est la surprise; le parfait pour lui, c'est l'inattendu, fût-il bizarre ou absurde. La forme de ses lettres ressemble à celle qu'avait adoptée Balzac, si ce n'est qu'il substitue la vivacité à l'ampleur. Balzac arrondissait le madrigal, Voiture l'aiguise. Ce dernier est plus libre, plus sautillant dans son allure, plus recherché dans ses concetti, plus entortillé dans les replis parfumés de ses compliments; il creuse davantage un frivole rapport, il est plus profond dans le faux, plus riche de clinquant, plus étincelant de paillettes. Il dit encore moins de choses en plus de paroles. Il s'entend mieux à combiner les allusions légères, les jolis caprices de langage qui ont cours dans sa société. Balzac avait au moins quelques idées géné rales ici tout est local, c'est l'esprit d'une réunion d'initiés, c'est un papillotage de petits riens jolis, d'imperceptibles détails, d'énigmes de galanterie qui exigent souvent du lecteur l'attention la plus soutenue. Une spirituelle enfant de douze ans, Mlle de Bourbon, qui devint Mme de Longueville, a caractérisé Voiture mieux que tous les critiques; elle était d'avis qu'il fallait le conserver dans du sucre'. Lui-même plaisantait agréablement sur ses hyperboles; car, à la différence de Balzac, Voiture sourit ne plus ne moins que s'il était véritablement un simple mortel. Séduits par ses charmants défauts, ses contemporains voyaient en lui le plus parfait des écrivains; on se disputait ses lettres : les Condé, les Grammont, les Lavalette, les d'Avaux étaient les correspondants du fils d'un marchand de vin. Boileau lui-même fut entraîné par ce torrent d'admiration; il plaça sans hésiter Voiture auprès d'Horace. Cet engouement d'un siècle peut être exagéré; il n'est jamais inexplicable. C'est qu'en effet Voiture faisait rentrer dans la littérature fran

1. Lettre de Voiture à Me de Rambouillet.

2. Lettre de Voiture à Mile Paulet.

çaise ce que la France aime le mieux, l'esprit. Ses écrits étaient une aimable réaction contre le genre ennuyeux si cultivé au xvr siècle. La nation reconnaissante pardonna beaucoup à l'écrivain qui, le premier, ne voulut être qu'un homme du monde. Voiture fut l'enfant gâté de l'opinion publique.

Autres célébrités contemporaines.

Au-dessous de Balzac et de Voiture se classent, dans la première partie du xvne siècle, des noms qu'il serait injuste d'oublier, tels que Mainard, écho affaibli de Malherbe; Segrais, bel esprit et agréable poëte; Benserade, si célèbre par son sonnet de Job, rival du sonnet à Uranie de Voiture; l'emphatique Brébeuf, traducteur de Lucain, ou, pour mieux dire, auteur d'une Pharsale aux provinces si chère! Godeau, le nain de Julie, petit, laid et spirituel abbé, qui reçut de Richelieu l'évêché de Grasse en échange d'une paraphrase du Benedicite; Chapelain, homme de mérite, érudit, grammairien et critique distingué, qui eut le malheur de se croire poëte épique, et le ridicule d'attenter au plus beau sujet de notre histoire: Boileau a trop vengé Jeanne d'Arc. D'autres essais épiques eurent alors le même succès. Le matamore Scudéry, gouverneur de Notre-Dame de la Garde, poëte guerrier qui se vantait d'avoir usé plus de mèches en arquebuses qu'en chandelles, ne put néanmoins triompher d'Alaric. Il se dédommagea en mettant la main aux romans héroïques de sa sœur, où il jeta des descriptions de batailles. Le badin et cynique Saint-Amant s'avisa tout à coup d'emboucher la trompette,

Et poursuivant Moïse à travers les déserts,
Vint avec Pharaon se noyer dans les mers2.

A l'exemple de Boileau, nous passerons ici sous silence le jésuite Lemoine, auteur d'un Saint Louis. « Il est trop fou

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OEuvres :

4. George de Scudéry, né au Havre en 1604; mort en 1667. seize pièces de théatre; poésies diverses; Alaric, épopée; le Voyage fortune, roman doucereux; des discours et des traductions.

2. Boileau, Art poetique.

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