Images de page
PDF
ePub

ger, Courier, sont moins éloignés entre eux au terme qu'au début de leur carrière. Ne peut-on pas conjecturer que l'anité, ce bien si désirable, n'est pas définitivement refusée à notre âge?

CHAPITRE XLVII.

LA CRITIQUE ET L'HISTOIRE.

LE GLOBE.-LA SORBONNE, —LES DIVERSES ÉCOLES HISTORIQUES.—M. GUIZOT. -M. DE BARANTE. MM. AUGUSTIN thierry, de SISMONDI, MICHELET ET

THIERS.

Le Globe.

Le mouvement littéraire qu'on a nommé le romantisme, et dont nous avons déjà vu les premiers symptômes dans la Muse française, se prononce davantage à partir de 1824. Il se dégage de l'alliance ultra-monarchique, pour se pénétrer de plus en plus des inspirations libérales. C'est alors que Chateaubriand, le chef de l'école, tombé du ministère, passe à l'opposition et au journal des Débats. C'est alors que se forme une réunion de jeunes écrivains pleins d'ardeur, de savoir, d'audace, qui rédigent pendant six années avec un succès toujours croissant, la plus importante de toutes les publications périodiques de la restauration, le journal le Globe. Un jeune professeur d'un talent remarquable, destitué en 1822, pour ses opinions politiques, M. Pierre Dubois, en conçoit la pensée et en prend la direction. Il porte dans cette œuvre, avec toute la verve de son style, toute la décision de sa pensée. Son but avoué, proclamé hautement, c'est de donner toutes les libertés pour conséquences à la liberté politique, de faire rayonner les principes de 89 dans la sphère de l'art, de la philosophie, de la religion. Près de lui se rangent son condisciple, M. Pierre Leroux, qui, avec des connaissances spéciales, dirige le matériel de l'entreprise, et son brillant élève, M. Sainte-Beuve, qui après quelques pré

ludes sur la géographie de la Grèce, question alors toute vivante, ouvre dans le Globe la campagne romantique, par son Tableau de la poésie française au xvr siècle; M. Damiron y publie, en une série d'articles, son Histoire de la philosophie du XIXe siècle. Jouffroy, autre professeur en disgrâce, comme Dubois, apporte au Globe sa noble et éloquente parole, habituée à la clarté par l'étude des philosophes écossais il débute dans le onzième numéro du Globe par son fameux article: Comment les dogmes finissent. Deux élèves de Jouffroy, MM. Duchâtel et Vitet, enrichissent le journal de leurs travaux l'un sur l'économie politique, l'autre sur les arts'. M. Ch. Magnin y expose ses larges idées sur les grandes questions littéraires, et dissimule une immense érudition sous la vivacité brillante de sa polémique. M. Patin, jeune lauréat de l'Académie française, y déploie déjà ce goût si pur, ce savoir à la fois si solide et si ingénieux qu'il a portés depuis dans une des chaires de la Sorbonne. Enfin MM. de Rémusat et Duvergier de Hauranne viennent augmenter le nombre des hommes distingués dont le Globe est le centre, et quand ce journal agrandi aura fourni le cautionnement. (en 1828), ils en partageront la direction politique avec le rédacteur en chef. Cependant Dubois se réserve l'examen du théâtre français: il pressent que c'est là que vont se livrer les grandes luttes. La poésie lyrique a déjà déployé son vol, grâce à Lamartine et à Béranger : elle poursuivra bientôt son glorieux essor avec les Orientales et les Feuilles d'automne de V. Hugo; c'est vers le drame que la critique va convier désormais la jeune poésie française. Déjà les traducteurs ont donné le signal; M. Guizot a revu et redonné au public le Shakspere de Letourneur, avec une remarquable préface; la grande collection intitulée Chefs-d'œuvre des théâtres étrangers, signée des noms les plus honorables, ceux des Barante, des Andrieux, des Nodier, des Villemain, des Rémusat et autres, a initié le public à des nouveautés

4. M. Vitet a publié de plus en 4826, 1827 et 1829, des Scènes historiques d'un mérite remarquable, les Barricades, les Etats de Blois et la Mort de Henri III. L'intelligence des faits et des passions y est habilement mêlée à la peinture des mœurs locales.

ger, Courier, sont moins éloignés entre eux au terme qu'au début de leur carrière. Ne peut-on pas conjecturer que l'unité, ce bien si désirable, n'est pas définitivement refusée à notre âge?

CHAPITRE XLVII.

LA CRITIQUE ET L'HISTOIRE.

LE GLOBE.-LA SORBONNE.-les diverses Écoles histoORIQUES.—M. GUIZOT. -M. DE BARANTE. MM. AUGUSTIN THIERRY, DE Sismondi, MICHELET ET THIERS.

Le Globe.

Le mouvement littéraire qu'on a nommé le romantisme, et dont nous avons déjà vu les premiers symptômes dans la Muse française, se prononce davantage à partir de 1824. Il se dégage de l'alliance ultra-monarchique, pour se pénétrer de plus en plus des inspirations libérales. C'est alors que Chateaubriand, le chef de l'école, tombé du ministère, passe à l'opposition et au journal des Débats. C'est alors que se forme une réunion de jeunes écrivains pleins d'ardeur, de savoir, d'audace, qui rédigent pendant six années avec un succès toujours croissant, la plus importante de toutes les publications périodiques de la restauration, le journal le Globe. Un jeune professeur d'un talent remarquable, destitué en 1822, pour ses opinions politiques, M. Pierre Dubois, en conçoit la pensée et en prend la direction. Il porte dans cette œuvre, avec toute la verve de son style, toute la décision de sa pensée. Son but avoué, proclamé hautement, c'est de donner toutes les libertés pour conséquences à la liberté politique, de faire rayonner les principes de 89 dans la sphère de l'art, de la philosophie, de la religion. Près de lui se rangent son condisciple, M. Pierre Leroux, qui, avec des connaissances spéciales, dirige le matériel de l'entreprise, et son brillant élève, M. Sainte-Beuve, qui après quelques pré

:

ludes sur la géographie de la Grèce, question alors toute vivante, ouvre dans le Globe la campagne romantique, par son Tableau de la poésie française au XVIe siècle; M. Damiron y publie, en une série d'articles, son Histoire de la philosophie du XIX siècle. Jouffroy, autre professeur en disgrâce, comme Dubois, apporte au Globe sa noble et éloquente parole, habituée à la clarté par l'étude des philosophes écossais il débute dans le onzième numéro du Globe par son fameux article: Comment les dogmes finissent. Deux élèves de Jouffroy, MM. Duchâtel et Vitet, enrichissent le journal de leurs travaux l'un sur l'économie politique, l'autre sur les arts1. M. Ch. Magnin y expose ses larges idées sur les grandes questions littéraires, et dissimule une immense érudition sous la vivacité brillante de sa polémique. M. Patin, jeune lauréat de l'Académie française, y déploie déjà ce goût si pur, ce savoir à la fois si solide et si ingénieux qu'il a portés depuis dans une des chaires de la Sorbonne. Enfin MM. de Rémusat et Duvergier de Hauranne viennent augmenter le nombre des hommes distingués dont le Globe est le centre, et quand ce journal agrandi aura fourni le cautionnement (en 1828), ils en partageront la direction politique avec le rédacteur en chef. Cependant Dubois se réserve l'examen du théâtre français : il pressent que c'est là que vont se livrer les grandes luttes. La poésie lyrique a déjà déployé son vol, grâce à Lamartine et à Béranger: elle poursuivra bientôt son glorieux essor avec les Orientales et les Feuilles d'automne de V. Hugo; c'est vers le drame que la critique va convier désormais la jeune poésie française. Déjà les traducteurs ont donné le signal; M. Guizot a revu et redonné au public le Shakspere de Letourneur, avec une remarquable préface; la grande collection intitulée Chefs-d'œuvre des théatres étrangers, signée des noms les plus honorables, ceux des Barante, des Andrieux, des Nodier, des Villemain, des Rémusat et autres, a initié le public à des nouveautés

4. M. Vitet a publié de plus en 4826, 1827 et 1829, des Scènes historiques d'un mérite remarquable, les Barricades, les Etats de Blois et la Mort de Henri III. L'intelligence des faits et des passions y est habilement mêlée à la peinture des mœurs locales.

qui l'eussent scandalisé autrefois. Le directeur du Globe éperonne de sa critique acérée les traînards de la vieille tragédie impériale. Il se raille de ces peuples d'abstraction, de conjurés stéréotypes qui ne sont créés et mis au monde que pour crier laconiquement. Courons! nous le jurons! ou bien qu'il meure! Aux cadres de convention où les classiques impénitents emprisonnent invariablement tous les sujets, il oppose tout simplement l'histoire. La chronique en main, i montre au public la stérilité de leurs créations étroites. « Ot sont, je le demande, les inventions qui pourraient ici rivaliser avec la réalité? Quel homme pourrait se flatter d'avo.: plus de poésie dans l'esprit qu'il n'en ressort de toutes ces scènes de désordre, de passion, de fanatisme, d'hypocrisie et d'intrigue? » Toutefois ce n'est pas un grossier réalisme que le critique préconise. Il veut que la tragédie retrouve l'idéal à force de vérité et d'imagination: « La merveille, ajoute-t-il, c'est de faire revivre les figures qui paraissent mortes et inanimées sur les pages d'une chronique; c'est de retrouver par l'analyse toutes les nuances des passions qu ont fait battre ces cœurs; c'est de recréer leur langage et leur costume. Voilà ce qu'a fait Shakspere dans presque toutes ses pièces historiques; voilà ce qu'a fait Racine dans Athalie1»

Tel était l'esprit de sagesse et de haute critique qui inspirait le Globe. Tout ce qui s'intéressait à la littérature en France, c'est-à-dire alors toute la partie éclairée du public, était attentif à de pareilles leçons. L'Allemagne ne s'en préoccupait pas moins. Elle admirait cette raison qui, pour être élevée, ne se croyait pas obligée d'être obscure ni injurieuse. «Les rédacteurs du Globe, disait Goethe, sont hommes du monde, leur langage est clair, net, hardi à l'extrême. Quand ils blâment, ils sont délicats et polis, bien différents de nos lettrés allemands, qui croient devoir haïr quiconque ne pense pas comme eux. Je regarde ce journal comme le plus inté ressant de notre époque, et je ne saurais m'en passer'.

4. P. Dubois, Globe, 1826. Analyse de la tragédie de Marcel.
2. Eckermann's Gespräche mit Goethe, B. I, S. 249, Juny, 1826.

« PrécédentContinuer »