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FROSINE.

C'est qu'elle est encore toute surprise; et puis, les

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filles ont toujours honte à1 témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'âme.

HARPAGON.

Tu as raison. Voilà, belle mignonne, ma fille qui 5 vient vous saluer.

SCÈNE VI

ÉLISE, HARPAGON, MARIANE, FROSINE

MARIANE.

2

Je m'acquitte bien tard, Madame, d'une telle visite.

ÉLISE.

Vous avez fait, Madame, ce que je devais faire, et c'était à moi de vous prévenir.

HARPAGON.

Vous voyez qu'elle est grande; mais mauvaise herbe 10 croît toujours.

MARIANE, bas, à Frosine.

Oh! l'homme déplaisant!

HARPAGON.

Que dit la belle?

FROSINE.

Qu'elle vous trouve admirable.

HARPAGON.

C'est trop d'honneur que vous me faites, adorable nignonne.

Quel animal!

MARIANE, à part.

HARPAGON.

Je vous suis trop obligé de ces sentiments.

MARIANE, à part.

Je n'y puis plus tenir.

HARPAGON.

Voici mon fils aussi qui vous vient faire la révérence.1

MARIANE, à part, à Frosine.

Ah! Frosine, quelle rencontre! C'est justement celui dont je t'ai parlé.

FROSINE, à Mariane.

L'aventure est merveilleuse.

HARPAGON.

5

Je vois que vous vous étonnez de me2 voir de si grands 10 enfants; mais je serai bientôt défait et de l'un et de l'autre.

SCÈNE VII

CLEANTE, HARPagon, Élise, Mariane, Frosine

CLÉANTE.

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Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où sans doute je ne m'attendais pas; et mon père ne m'a

pas peu surpris lorsqu'il m'a dit tantôt le dessein qu'il avait formé.

MARIANE.

Je puis dire la même chose. C'est une rencontre imprévue qui m'a surprise autant que vous; et je n'étais 5 point préparée à une pareille aventure.

CLEANTE.

Il est vrai que mon père, Madame, ne peut pas faire un plus beau choix, et que ce m'est une sensible joie que l'honneur de vous voir; mais avec1 tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vous 10 pourriez être de devenir ma belle-mère. Le compliment, je vous l'avoue, est trop difficile pour moi; et c'est un titre, s'il vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paraîtra brutal aux yeux de quelques-uns; mais je suis assuré que vous serez personne à le prendre 15 comme il faudra;' que c'est un mariage, Madame, où3 vous vous imaginez bien que je dois avoir de la répu gnance; que vous n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts; et que vous lez bien enfin que je vous dise, avec la permission de mon père, 20 que si les choses dépendaient de moi, cet hymen ne se ferait point.

HARPAGON.

Voilà un compliment bien impertinent: quelle belle confession à lui faire!

MARIANE.

Et moi, pour vous répondre, j'ai à vous dire que les 25 choses sont fort égales; et que si vous auriez de la

répugnance à me voir votre belle-mère, je n'en aurais1 pas moins sans doute à vous voir mon beau-fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à vous donner cette inquiétude. Je serais fort fâchée de vous causer du déplaisir; et si je ne m'y vois forcée par 5 une puissance absolue, je vous donne ma parole que je ne consentirai point au mariage qui vous chagrine.

HARPAGON.

Elle a raison: à sot compliment il faut une réponse de même. Je vous demande pardon, ma belle, de l'impertinence de mon fils. C'est un jeune sot, qui ne sait 10 pas encore la conséquence des paroles qu'il dit.

MARIANE.

Je vous promets3 que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensée; au contraire, il m'a fait plaisir de m'expliquer ainsi ses véritables sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte; et s'il avait parlé d'autre façon, je l'en 15 estimerais bien moins.

HARPAGON.

C'est beaucoup de bonté à vous de vouloir ainsi excuser ses fautes. Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu'il changera de sentiments.

CLEANTE.

Non, mon père, je ne suis point capable d'en changer, 20 et je prie instamment Madame de le croire.

HARPAGON.

Mais voyez quelle extravagance! Il continue encore plus fort.

CLÉANTE.

Voulez-vous que je trahisse mon cœur?1

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HARPAGON.

Encore? Avez-vous envie de changer de discours? 2

CLEANTE.

Hé bien! puisque vous voulez que je parle d'autre façon, souffrez, Madame, que je me mette ici à la place de mon père, et que je vous avoue que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous; que je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire, et que le titre de votre époux est une gloire, une félicité que je préférerais aux destinées des plus grands princes de la Io terre. Oui, Madame, le bonheur de vous posséder est à mes regards la plus belle de toutes les fortunes; c'est1 où j'attache toute mon ambition; il n'y a rien que je ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse, et les obstacles les plus puissants...

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15

HARPAGON.

Doucement, mon fils, s'il vous plaît.

CLEANTE.

C'est un compliment que je fais pour vous à Madame.

HARPAGON.

5

Mon Dieu! j'ai une langue pour m'expliquer moimême, et je n'ai pas besoin d'un procureur comme vous. Allons, donnez des sièges.

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