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la différence absolue des législations et à la nécessité de soustraire les chrétiens au fanatisme musulman, les consuls obtinrent dans le principe et conservent encore une juridiction exceptionnelle trèsétendue, qui n'a aucune raison d'être dans les pays de chrétienté.

Juridiction des consuls en pays hors chrétienté.

Pour l'étude de cette matière, les traités faits par la France méritent une attention spéciale; cette puissance a ouvert la voie.

En 1534, François Ier envoya vers l'empereur des Turcs son conseiller Jean de la Forest, avec le titre d'ambassadeur et ministre plénipotentiaire. Ses instructions lui prescrivaient non-seulement de tenir la main aux anciennes capitulations, ou lettres-patentes, données en faveur des Français et des Catalans, mais aussi d'obtenir des concessions encore plus favorables et de négocier la paix, au nom de tous les princes chrétiens, à l'exception de Charles-Quint. Jean de la Forest réussit à faire, au mois de février 1535, un traité de commerce et d'amitié, en vertu duquel la France obtint la prééminence politique en Turquie.

Ce traité renferme, au sujet de l'établissement des consulats de France dans l'empire Ottoman et des rapports judiciaires des Français, la disposition suivante :

Art. 3. Toutes les fois que le roi mandera à Constantinople ou à Péra ou aux autres lieux de cet empire un bayle (1), comme à présent il tient un consul à Alexandrie, que lesdits bayle et consul soient entretenus en autorité et convenance, de manière que chacun d'eux en son lieu et selon leur foi et loi, sans qu'aucun juge, cadi ou soubachi ou autres y interviennent, puissent ouir, juger et prononcer, tant au civil qu'au criminal sur toutes les causes, procès ou différends qui naîtront entre marchands et autres sujets du roi seulement; et au cas que les ordonnances desdits bayle et consul ne fussent obéies, et que, pour les exécuter, ils requissent les soubachi ou autres officiers du Grand Seigneur, lesdits soubachi et autres requis devront leur donner aide et main-forte nécessaires, non que les cadi ou autres officiers du GrandSeigneur puissent juger aucun différend desdits marchands et sujets du roi, encore que lesdits marchands la requissent; et si d'aventure lesdits cadis jugeaient, que leur sentence soit de nul effet. »

Sous la date du 25 février 1597, un traité nouveau fut conclu entre Henri IV et Mahomet III, en faveur des ambassadeurs de France, résidents, consuls, interprètes et autres marchands français dans le Levant, comme aussi de toute autre nation allant faire le

(1) Denomination speciale la consul de Venise residant à Constantinople,

commerce dans les États du grand Seigneur, à condition qu'ils naviguent sous le pavillon et la protection du roi de France. Ce traité fut confirmé le 28 mai 1604, Voici les principales stipulations de cet acte international :

Art. 3. «Que les ambassadeurs qui seront envoyés de la part de Sa Majesté à notre Porte; les consuls qui seront nommés d'elle pour résider dans nos havres et ports; les marchands et sujets qui vont et viennent par iceux, ne soient inquiétés en aucune façon, mais, au contraire, reçus et honorés avec tout le soin qui se doit à la foi publique.

D

Art. 4. «Que les Vénitiens et Anglais, les Espagnols, Portugais, Catalans, Ragusais, Génois, Anconitains, Florentins et généralement toutes autres nations quelles qu'elles soient, puissent librement venir trafiquer par notre pays, sous l'aveu et sûreté de la bannière de France, laquelle ils porteront comme leur sauvegarde, et de cette façon ils pourront aller et venir trafiquer par les lieux de notre Empire, comme ils y sont venus d'ancienneté, obéissant aux consuls français, qui résident et demeurent dans nos havres et échelles. Voulons et entendons qu'en usant ainsi, ils puissent trafiquer avec leurs vaisseaux et galions sans être inquiétés, et ce seulement tant que ledit roi de France conservera notre amitié et ne contreviendra à celle qu'il nous a promise. »

Art. 17. Que survenant quelque meurtre ou autre inconvénient entre quelques marchands français et négociants, les ambassadeurs et consuls d'icelle nation puissent, selon leur lois et coutumes, en faire justice, sans qu'aucun de nos officiers prennent aucune connaissance, ni juridiction. »

Art. 33. « Qu'aux changements et établissements des consuls français en nos échelles d'Alexandrie, Tripoli de Syrie, Alger et autres pays de notre obéissance, nos gouverneurs et autres officiers ne puissent opposer ni empêcher qu'ils soient établis ou changés. »

Art. 35. « S'il naît quelque contention et différend entre deux Français, que l'ambassadeur ou le consul aient à le terminer, sans que nos juges ou officiers les en empêchent et en prennent aucune connaissance. »

Des dispositions semblables se trouvent inscrites dans les capitulations renouvelées entre Louis XIV et Mahomet IV, le 5 juin 1675, et dans le traité du 28 mai 1740, entre Louis XV et Mahmoud Ier.

Par l'art. 2, du traité signé, le 25 juin 1802, entre la république française et la Turquie, « les traités ou capitulations qui, avant la guerre, réglaient les relations de tout genre, existants entre les deux puissances, furent renouvelés dans toutes leurs parties. »

Les concessions faites à la France furent successivement accordées aux autres puissances chrétiennes, qui traitèrent avec la Sublime Porte.

Jusqu'à la fin du XVIe siècle, le commerce entre les Pays-Bas et le Levant se fit par l'entremise des Français et des Italiens. Ce ne

fut qu'après leur révolution de 1579 que les Provinces-Unies commencèrent à exploiter elles-mêmes la navigation de la Méditerranée.

En 1612, des capitulations assurèrent aux Hollandais la liberté de trafiquer sous leur propre pavillon, l'égalité de traitement avec les Anglais et les Français, ainsi que le droit d'envoyer des ambassadeurs et d'établir des consuls. Ces capitulations furent renouvelées en 1634. Toutefois, il parait que les négociants et les armateurs des Pays-Bas trouvèrent d'abord qu'il était plus sûr de rester, comme auparavant, sous une protection étrangère que de se prévaloir de leurs propres priviléges. Les ambassadeurs d'Angleterre et de France se disputaient le droit de les protéger.

Ce ne fut qu'à la suite des capitulations accordées aux ProvincesUnies, en 1680, par le sultan Mahomet IV, que les Hollandais trafiquant dans l'empire Ottoman, furent protégés et défendus exclusivement par les ambassadeurs et les consuls de la république.

Le traité de 1680 renouvelle les stipulations de celui de 1612; il y est dit :

« Tous les procès et différends qui seront entre ceux des Pays-Bas, même les plaintes de meurtres, si l'un ou l'autre venait à mourir, seront jugés par les ambassadeurs et consuls, suivant leurs lois et coutumes, sans que les juges et gouverneurs de mon empire puissent s'y mêler en aucune manière. (Art. 11.)

Enfin, l'art. 41 contient cette clause générale : « Toutes les capitulations de mon empire accordées à la France et à l'Angleterre, et tout ce qui y est écrit et déclaré, est également accordé à ceux des Pays-Bas. »

Sous la domination Espagnole, comme sous la domination Autrichienne et pendant l'existence du royaume de Pays-Bas, les provinces belgiques profitèrent des concessions qui avaient été faites par les empereurs Ottomans à l'Espagne, à l'Autriche et aux Hollandais. Après 1830, avant l'établissement des relations diplomatiques entre la Belgique et la Turquie, les Belges profitaient du droit que la Porte reconait à tout européen de se placer sous la protection d'une puissance chrétienne.

En 1838, une mission belge fut envoyée à Constantinople. Un traité fut conclu le 3 août 1838; il stipule, art. 8, § 2:

« Les Belges vaquant honnêtement et paisiblement à leurs occupations ou à leur commerce, ne pourront jamais être arrêtés ou molestés par les autorités locales; mais, en cas de crimes ou de délits, l'affaire sera remise à leur ministre, chargé d'affaires, consul ou vice-consul; les accusés seront jugés par lui et punis selon l'usage établi à l'égard des Francs. >>

A partir de 1838, les agents belges en Orient, s'attribuèrent donc la même juridiction que leurs collègues; non-seulement en matière répressive mais en matière civile.

La Cour d'appel de Liége a, avec raison, déclaré sans fondement, le droit de juridiction civile qu'ils s'arrogaient (Arrêt du 25 mars 1848). On paraît croire, dit l'arrêt, que le pouvoir judiciaire des consuls belges a ses bases légales dans les art. 12, 18 et 18 du titre IX de l'ordonnance de la marine du mois d'août 1681 1. Cette opinion est erronée, l'art. 94 de la Constitution belge portant que, « nul tribunal, nulle juridiction contentieuse, ne peut être établi qu'en vertu d'une loi,» a, après la loi fondamentale des Pays-Bas, abrogé l'ordonnance de 1681. Il en est de même de l'édit du mois de juin 1778, qui n'a d'ailleurs été enregistré qu'au parlement d'Aix (15 mai 1779), et des ordonnances du 28 février 1687, du 24 mai 1728 et du 3 mars 1781, qui n'ont été enregistrées dans aucun des parlemens du royaume. La juridiction des consuls belges a sa base dans la loi du 31 décembre 1851.

La loi se compose de deux parties distinctes:

Le titre premier contient les dispositions générales applicables à tous les consulats; le titre second, les dispositions spéciales pour les pays hors de la chrétienté.

Le titre II est divisé en trois chapitres.

Le premier est relatif à la juridiction, tant en matière civile qu'en matière répressive.

En matière civile, les contestations nées entre les belges et les indigènes sont jugées conformément aux lois et usages de ces pays, et aux conventions diplomatiques.

Les contestations nées entre les Belges et les citoyens d'autres pays, lorsque les premiers sont défendeurs, sont jugées de la même manière que les contestations nées entre les nationaux, s'il n'y a rien de contraire dans les usages et les conventions diplomatiques.

« Art. 12. Quant à la juridiction, tant en matière civile que criminelle, les consuls se conformeront à l'usage et aux capitulations faites avec les souverains des lieux de leur établissement. »>

« Art. 13. Les jugements des consuls seront exécutés par nous en matière Civile en donnant caution. »

« Art. 18. Les appellations des jugements des consuls établis tant aux échelles du Levant qu'aux côtes d'Afrique et de Barbarie, ressortiront au parlement d'Aix et toutes les autres au parlement le plus proche du consulat où les sentences auront été rendues. "

Le consul statue en dernier ressort jusqu'à la valeur de cent francs. Au delà de cette valeur, il statue, en premier ressort, assisté de deux assesseurs, sauf l'exception établie pour les échelles du Levant et de Barbarie, où l'appel n'est recevable que dans le cas où l'objet de la demande excède la valeur de 500 francs.

En matière de simple police, le consul statue seul et sans appel. En matière correctionnelle, il prononce, assisté de deux assesseurs, toujours à charge d'appel.

L'appel, tant en matière civile qu'en matière correctionnelle, est déféré à la cour d'appel de Bruxelles, et la connaissance des affaires criminelles est attribuée à la cour d'assises du Brabant.

Dans tous les cas, les contraventions, les délits et les crimes sont punis des peines portées par les lois belges.

Une exception à cette règle est toutefois commandée par les circonstances particulières à plusieurs des pays où la loi doit recevoir son application. Une prison convenable peut y faire défaut, et la peine de l'emprisonnement ne doit pas être une cause de ruine pour les nationaux qui sont allés fonder un établissement commercial, dans la direction duquel ils ne peuvent être remplacés. Ces circonstances et d'autres de cette nature sont laissées à l'appréciation du tribunal consulaire.

La juridiction de la cour de cassation est réservée.

Juridiction des consuls dans les pays de chrétienté.

L'exercice de la juridiction consulaire dans les pays de chrétienté est subordonné, soit à l'usage, soit aux traités existants entre la Belgique et les différentes puissances près desquelles les consuls sont établis. Cette restriction est juste et naturelle, car l'exercice de la juridiction comprenant le droit de commandement, un souverain ne saurait l'assurer à ses consuls en pays étrangers, qu'avec l'agrément et par délégation, en quelque sorte, du souverain territorial. En supposant donc qu'un acte législatif donne aux consuls le caractère de juges, l'exercice de leur juridiction ne peut être fixé et l'étendue de leur compétence définie que par des stipulations diplomatiques.

Les conventions actuelles entre la Belgique et les autres États chrétiens ne contiennent rien de relatif à la juridiction contentieuse des consuls. L'unique règle à invoquer pour en déterminer l'exercice est, par conséquent, l'usage ou la jouissance des attributions habituellement reconnues aux consuls par les différentes puissances.

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