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fait attention à ce qui fuit: Le vrai Sceptique a compté & pefé les raisons ; mais ce n'eft pas une petite affaire que de pefer des raifonnemens. Qui de nous en connoît exactement la valeur? Ainfi, à l'entendre, le vrai Sceptique qui, felon la définition de l'Académie, doute de tout, eft un homme qui ne doute qu'après avoir bien compté & pefé les raifons; & encore une fois voilà, felon lui, le vrai Sage. Cependant il désespére de le trouver. Qui de nous, s'écrie-t-il, connoît exactement la valeur des raifonnemens? Et dès-lors, Monfieur, que devient le Chriftianifme? Que devient même la Religion naturelle? Que devient: la croyance de l'exiftence de Dieu ? Qui pourra jamais être fûr de la force ou de la foibleffe d'une preuve ou d'une objection? Il paroît que l'Auteur fuit ici la définition que l'Académie nous donne du Sceptique, & que fa prétention est que, pour raifonner en Sage, il faut n'admettre aucune vérité ; c'eft-à-dire que la fageffe confifte à ne rien croire, à ne rien fçavoir, ou ce qui revient au même, à fçavoir qu'on ne fçait rien.

Qu'on apporte cent preuves de la

même vérité, pourfuit-il, aucune ne manquera de partifans. Sans doute, Monfieur, que chacune de ces cent preuves pourra bien avoir fes partifans; & les partifans de chacune de ces preuves admettront tous la même vérité, pourvû que chaque preuve de cette vérité foit fuffifante & capable de faire impreffion fur un efprit raisonnable. Car enfin c'eft affez d'une feule preuve pour la démonf tration d'une vérité quelconque. · Peu importe donc que l'on foit divifé fur la valeur intrinféque de ces preuves, ou que l'on s'accorde fur leur poids relatif. Qu'ai-je befoin en effet de connoître la valeur intrinféque de quatre-vingt-dixneuf preuves que j'ignore, ou dont je ne fens pas la force, fij'en ai une centiéme qui me fuffit: Je donne la préférence à celle-ci, & perfonne n'a droit de m'en blâmer. L'Auteur demande combien il faut de preuves morales pour contrebalancer une conclufion métaphyfique. Je réponds, Monfieur, qu'il implique qu'aucune preuve morale proprement dite puiffe jamais contrebalancer une conclufion métaphyfique. Qu'entend-il, au refte, par conclufion métaphylique, par preuve morale ? Pour

pefer ces preuves & ces conclufions, pour les apprécier, il faut, comme il le fuppofe fans doute, que ce foient de vraies preuves & de véritables conclufions, c'est-à-dire que ces preuves foient victorieuses & ces conclufions démonfratives. Or, dans ce cas, c'eft fuppofer que la vérité peut être contraire à ellemême; ce qui eft la plus grande de toutes les abfurdités. En bonne foi, Monfieur, le procédé de l'Auteur eft-il concevable? Vous l'avez déja entendu traiter de billevefées toutes les conclufions métaphyfiques. D'un autre côté il combat, comme vous le verrez bientôt, la valeur de nos preuves morales. N'est-ce pas choquer le bon fens que de nous demander après cela, combien il faut de preuves morales pour contrebalancer une conclufion métaphyfique? En partant des notions qu'il lui plaît de nous en donner, c'eft proprement nous demander combien il faut de chimères d'une telle espèce pour contrebalancer telle autre espèce de chimère. Sont-ce, dit-il, mes lunettes qui péchent, ou les vôtres ? La question, Monfieur, est facile à réfoudre. Il eft clair qu'un Raifonneur qui ne s'entend pas lui-même,

qu'un Auteur qui voit fon objet avec peu de netteté, a des lunettes qui péchent.

Si donc, continue-t-il, il eft fi difficile de pefer des raifons; & s'il n'eft point de queftions qui n'en ayent pour & contre, & prefque toujours à égale mefure, pourquoi tranchons-nous fi vite? D'où nous vient ce ton fi décidé? Sou venez-vous, Monfieur, que l'Auteur vous a dit ci-devant [6] qu'une multitude de vérités inutiles lui font démontrées fans réplique ; & le voici qui admet qu'il n'eft point de queftions qui n'ayent des raifons pour & contre, & prefque toujours à égale mesure. Qu'il s'accorde donc avec lui-même. D'où nous vient, dit-il, ce ton fi décidé? Je réponds qu'il vient aux uns de la conviction intime qu'opère en eux l'éclat de la vérité, aux autres de l'ignorance, de l'aveuglement & de l'orgueil. Mais pourquoi l'Auteur lui-même qui ne reconnoît ici d'autre fageffe que le doute univerfel, parle t il en mille autres endroits de la manière du monde la plus

[b] Pensée XX.

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décidée ? Le ton décidé révolte fans doute, lorsqu'il eft déplacé. Mais fi je dis que la lumière luit en plein midi que la partie ne fçauroit égaler fon tout qu'entre deux points donnés la ligne droite eft de toutes les lignes poffibles la plus courte, mon affurance dogmatique ne révoltera que des infenfés.

Quant à ce que l'Auteur nous cite du Sceptique Montagne, il nous permettra de ne pas regarder cette autorité comme attérante, ni même comme fort respectable. Il y a fans doute de grandes vérités chez cet Ecrivain; mais il ne faudroit que le prendre par lui-même, pour faire fentir le peu de jufteffe de fes raifonnemens. Montagne a-t-il toujours foûtenu ce ton fceptique? Mais laisons -lé ton à part: il s'agit fur-tour du fond des choses. Montagne endoctrinoit fes Lecteurs, & vouloit en être cru; prétention qui ne fçauroit être celle d'un Sceptique, s'il entend fes principes. Il avoit raison, au refte, de dire qu'on lui faifoit hair les chofes vraisemblables, quand on les lui plantoit pour infaillibles ; & ce langage, Monfieur, n'eft nullement celui d'un Sceptique. Les

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