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tument l'imagination à la vérité, en >> attendant que la Raifon puiffe s'y » tourner par principe [b]. « Vous ne doutez point, Monfieur, que ce grand Prélat ne s'entendît mieux en éducation que notre Antagoniste. Je dis plus ne vaudroit-il pas mieux que la connoiffance de la vérité fe tret dans nos efprits confondue avec un oule de préjugés, que de ne point s y trouver du tout? Mais notre Auteur craint qu'en s'appercevant de la fauffeté de ces préjugés, on ne mette les vérités au même rang. Je me contente de lui demander fi celui qui mettroit les vérités au rang des préjugés, fuivroit en cela la faine Raifon & dès que la faine Raison les diftingue effentiellement, notre caufe 'est décidée.

On nous dit, Monfieur, que les Philofophes ont bien de la peine à répondre à la queftion: QU'EST-CE QUE Dieu ? Mais de quels Philofophes veut on nous parler Cette question n'eft certainement embarraffante pour aucun Philo

[b] M. de Fénélon, Educ. des filles, c. 7.

fophe Chrétien. Pour ce qui eft de l'Athée, il ne refufe d'admettre un Etre fuprême, que parce qu'il s'en forme une idée abfurde. La vraie notion de Dieu fuffit pour foumettre tous les efprits & tous les cœurs, pour leur imprimer le respect, l'amour & l'adoration. L'Auteur, fi je ne me trompe, a eu en vuë la réponse de Simonide au Tyran Hiéron, qui l'interrogeoit fur la nature de Dieu. Le Philofophe » demande un jour » pour y penfer, le lendemain deux » autres jours: & comme chaque fois »il doubloit le nombre des jours qu'il » demandoit, Hiéron voulut en fçavoir » la cause. C'est que plus j'y fais réfléxion, répondit Simonide, plus la » chofe me paroît obfcure; ce qui me » fait juger, ajoûte Ciceron dont je » viens de vous citer les paroles, que » Simonide qui n'étoit pas feulement » un Poëte délicat, mais qui d'ailleurs » ne manquoit ni d'érudition ni de bon »fens, perdit à la fin toute efpérance » de trouver la vérité, après que fon efprit fe fût promené d'opinions en » opinions, les unes plus fubtiles que les » autres, fans pouvoir trouver la véri

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table [] « Le même Ciceron dit cependant autre part » qu'on ne peut >> concevoir Dieu, que fous l'idée d'un » efprit pur, fans mêlange, dégagé de

toute matière corruptible, qui con»noît tout, qui meut tout, & qui a de » lui-même un mouvement éternel [d]. Bien que le Philofophe Romain s'expri me, dans ces deux endroits, d'une manière différente, nous n'y voyons, Monfieur, nulle espèce de contradiction. L'efprit humain, quelque degré de sublimité qu'on lui fuppofe, ne fçauroit se former une idée parfaire de la Divinité. Dieu est un Etre infini en perfections; & comment une intelligence finie parviendroit - elle à le connoître parfaitement? Le Chriftianisme lui-même n'en promet qu'une idée imparfaite. Au refte, Monfieur, fi notre Auteur a voulu parler des Philofophes Chrétiens, comme de ceux de l'Antiquité, comment ofe-t-il affurer que ceux-là ne fçavent que répondre à la queftion, Qu'est-ce que Dieu ? Qu'il nous faffe donc voir l'in

[c] Cic. de Nat. Deor. L. 1. n. 22. Trad, de M. l'Abbé d'Oliver.

fuffifance de la notion que la Religion nous donne de ce premier Etre.

Je fuis, &c.

LETTRE XXIII.

Sur la XXVI des Penfées Philofophi

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ques.

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N nous parle trop tôt de Dieu : autre défaut on n'infifte pas » affez sur sa présence. Les hommes ont » banni la Divinité d'entre eux ; ils l'ont » releguée dans un Sanctuaire ; les murs » d'un Temple bornent fa vuë; elle » n'existe point au delà. Infenfés que » vous êtes, détruifez ces enceintes qui » retréciffent vos idées, élargiffez Dieu,

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voyez-le par-tout où il eit, ou dites qu'il n'eft point. Si j'avois un enfant » à dreffer, moi, je lui ferois de la Divinité une compagnie fi réelle, qu'il » lui en coûteroit peut-être moins pour » devenir Athée, que pour s'en diftraire. » Au lieu de lui citer l'exemple d'un » autre homme qu'il connoît quelque

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fois pour plus méchant que lui, je lui dirois brufquement, Dieu t'entends » & tu ments? Les jeunes gens veulent être pris par les fens: je multiplierois donc autour de lui les fignes indica»tifs de la présence divine. S'il fe fai» foit, par exemple, un cercle chez » moi, j'y marquerois une place à Dieu; » & j'accoûtumerois mon élève à dire : » Nous étions quatre, Dieu, mon ami, >>mon Gouverneur & moi [a]. «

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Nous avons vu, Monfieur, dans la Lettre précédente, que l'Auteur des Penfées Philofophiques craint qu'un enfant trouvant, à l'âge de vingt ans - l'existence de Dieu confondue dans fa stête avec une foule de préjugés ridicules, ne vienne à la méconnoître : il ajoûte ici qu'on nous parle trop tôt de Dieu. Ne pourroit-on, pas en inférer que, felon lui, un homme qui dreffe un enfant, ne doit pas lui parler de Dieu qu'il n'ait atteint l'âge de vingt ans ? Du moins paroît-il certain qu'il voudroit qu'on attendît pour cela que cet enfant fût capable de fentir la force d'une dé

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